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Critique de Apoapo


Longtemps, la discipline des relations internationales a été dominée par les doctrines réalistes et néoréalistes qui, sous l'influence du droit international et d'une longue tradition historiographique, ne reconnaissaient que les États (et éventuellement les organisations internationales) comme uniques sujets ou acteurs politiques. Depuis la fin de la bipolarité, certains politologues – par ex., en France, Bertrand Badie – ont commencé a mettre en doute la primauté du « concert des nations » dans l'analyse politique internationale, en leur adjoignant ou remplaçant des acteurs transnationaux, publics ou privés, ou infranationaux, jusqu'à l'individu : ce livre a pour objet d'étudier comment le phénomène migratoire, tout en « introdui[san]t une anomie dans l'espace étatique et international », ainsi qu'un élément paradoxal à l'intérieur du libéralisme, dans la mondialisation tout entière, questionne les principales fonctions régaliennes (la souveraineté, la citoyenneté), comment il met à mal leur symbole, les frontières, enfin comment surgit une « diplomatie des migrations internationales », bi- ou multilatérale et fondée sur une tripartition d'intérêts éventuellement non contradictoires : entre pays (régions) d'accueil, pays de départ et migrants.
Dans le premier chapitre, les migrations internationales sont caractérisées comme un enjeu mondial : inscrites dans une globalisation contradictoire, non seulement elles revêtent un aspect bien plus général et complexe que ne le montre notre perspective habituelle, mais elles nous somment de modifier les catégories des migrants, elles impliquent la question du développement économique et humain à l'échelle mondiale lié au transfert de fonds, les problématiques démographiques des deux rives, l'exportation du chômage et des revendications démocratiques, les conséquences des bouleversements climatiques.
Face à la régionalisation des flux, l'État est menacé dans ses frontières, ses politiques s'avèrent dérisoires et antinomiques avec ses propres valeurs, tout d'abord celles des droits humains, contradictoires aussi avec l'économie de marché, les deux réclamant un droit à la mobilité qui commence à poindre timidement en droit international. Dans les pays d'accueil la démocratie devient prétexte ou instrumentalisation de la répression de la migration, tandis que dans les pays de départ celle-ci se transforme progressivement en instrument de pression ou d'ingérence diplomatiques (le roi du Maroc s'exprimant à la télévision française sur le port du voile à l'école dès 1989, politiques diasporiques, double nationalité, chantages dans les accords de réadmission des déboutés, etc.). L'échelle de l'Union européenne – Schengen, Dublin I, Dublin II – fondée sur le dénominateur commun du tout sécuritaire-répressif brille pour son inadéquation [mortifère, criminelle].
Les migrations rendent le concept de citoyenneté « évolutif », pour les migrants dont la « double absence » d'Abdelmalek Sayad s'est transformée en son inverse, pour les réfugiés, les apatrides, les double-nationaux, mais aussi dans toutes les sociétés hier encore multiculturelles et aujourd'hui traversées déjà par des « citoyennetés transnationales », avec leur propres valeurs.
L'émergence d'une « diplomatie des migrations internationales » (et non des « relations internationales » - coquille évidente qui se répète sur 60 p.) tient compte de la gouvernance mondiale onusienne, depuis l'analyse méritoire de Kofi Annan, jusqu'au « Forum mondial sur la migration et le développement » (Bruxelles, Manille, Athènes, etc.), depuis 2007 ; elle n'oublie pas les influences de la société civile et des ONG ; elle reprend la coopération régionale, les politiques diasporiques, les limites des accords bilatéraux.

Cet essai très pédagogique et apportant des lumières originales, autant dans la discipline que dans l'analyse de l'actualité, ne possède cependant pas la structuration ni l'exhaustivité d'un traité. Certaines redites auraient été évitables, certaines idées auraient gagné à être étoffées davantage, les références et la bibliographie sont intéressantes, la conclusion résume opportunément sans suggérer « d'ouverture », le style présente des lourdeurs.
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