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Critique de Iboo


On peut s'interroger sur les raisons qui ont fait que la mauvaise élève - classée "fumiste patentée" par l'ensemble de ses professeurs - soit devenue une sexagénaire studieuse et avide de savoir. Je crois bien que c'est une question de caractère, de sale caractère : j'étais contrainte, donc je ne le faisais pas. Maintenant que l'on ne me demande plus rien, je me sens libre d'apprendre ce que je veux, quand je le veux. Et ma curiosité est insatiable.
Il n'empêche que la volonté ne suffit pas à une juste appréciation de la dimension de certaines oeuvres. Il est donc essentiel d'avoir conscience de nos lacunes, et de les combler, du moins en partie, avant de se prononcer sur ce que l'on vient de lire.
Vous ne m'en voudrez donc pas si je partage avec vous le fruit de mes recherches. D'autant que rien ne vous oblige à me lire, nous sommes bien d'accord.

Le personnage à m'avoir fortement interpellée par ses déclarations est le prophète Iokanaan. Je le cite :
"N'approchez pas, fille de Sodome, mais couvrez votre visage avec un voile, et mettez des cendres sur votre tête, et allez dans le désert chercher le fils de l'Homme."
"Arrière, fille de Babylone ! C'est par la femme que le mal est entré dans le monde. Ne me parlez pas. Je ne veux pas écouter. Je n'écoute que les paroles du Seigneur."
"Ah ! L'impudique ! La prostituée ! Ah ! La fille de Babylone avec ses yeux d'or et ses paupières dorées ! Voici ce que dit le Seigneur Dieu. Faites venir contre elle une multitude d'hommes. Que le peuple prenne des pierres et la lapide."
Bien que n'étant pas experte sur le sujet, il ne me semblait pas que c'était là le message de Jésus de Nazareth dont Iokanaan se revendique.

Mes recherches m'ont donc révélé que Iokanaan n'est autre que Jean le Baptiste, personnage des religions chrétienne et musulmane connu respectivement sous les noms de saint Jean Baptiste ou saint Jean Prodrome (le « précurseur »). Il fut prédicateur en Judée au temps de Jésus de Nazareth.
L'audience de ce prophète apocalyptique n'a cessé de croître, au point de susciter la réaction d'Hérode Antipas, qui, le voyant rassembler ses partisans, craint qu'il ne suscite une révolution. Flavius Josèphe mentionne l'exécution de Jean Baptiste sur l'ordre d'Antipas, dans le contexte d'un conflit de succession au sujet de la tétrarchie. Dans les évangiles synoptiques, le Baptiste est mis à mort pour avoir critiqué le mariage d'Antipas avec Hérodiade.
La religion mandéenne en fait son prophète principal. Il est considéré par l'islam comme un prophète descendant de Îmran.
Fort de cela, les choses me sont apparues beaucoup plus claires.

Dans son étude, Franck Pierobon avance l'idée que le personnage principal de cette tragédie n'est pas salomé mais Hérode. Et, comme je suis incompétente à développer avec autant de justesse et de précision, je vais me permettre de le citer :
" Il est nécessaire d'explorer les caractéristiques des trois personnages de la pièce : Salomé, Iokanaan et Hérode.
Dans l'imaginaire du XIXe siècle, salomé est tragique au sens où elle s'éloigne de l'humain, elle incarne le désir à l'état pur — le désirable : c'est un corps humain qui se sait désiré et désire l'être. À l'inverse Iokanaan refuse de s'incarner. La pièce joue essentiellement sur cette dichotomie entre Iokanaan, homme juif, voix de Dieu et de la conscience, incarnant la parole, et Salomé, femme hellénistique, incarnée, image du désir, voix de son propre désir. Face à ces deux types, Hérode fait figure de héros car il est humain et souffre, seul, sans Dieu, lié aux autres. Seul personnage dont la parole soit performative car il est roi.
La question de l'incarnation souligne les discordances. Iokanaan ne veut pas s'incarner, Salomé n'est qu'incarnée. Dans le traitement qu'en fait Wilde, l'incarnation réunit la question du corps, de la visibilité, et du regard.
Autre enjeu développé par la pièce, Salomé, fille vierge, beauté qui désire (comme le ferait un homme), veut être reconnue comme femme et comme être singulier, comme individu. Comme l'homosexuel, elle cumule les genres féminin et masculin.
Salomé est à la fois la désirabilité et le désir (actif et passif).
Salomé qui devrait, en tant que femme, en tant qu'incarnation dionysiaque de la beauté, être du côté passif, de ce qui s'offre au regard et au désir, transgresse son état en éprouvant du désir et en décidant selon lui. le regard d'Iokanaan serait une rédemption pour elle mais signifierait l'incarnation pour lui.
Hérode apparaît alors comme le personnage principal : il écoute Iokanaan, regarde Salomé, n'agit pas et cependant les fait tuer. Il détient le pouvoir et l'incarne. À la suite de cette incarnation, il doit survivre à la perte de la voix sainte, et de la beauté divine.
Comme Hérode, Wilde fait face à un paradoxe : l'esthétique catholique l'attire, mais la morale catholique le rejette.
C'est ainsi qu'Oscar Wilde ne peut que se reconnaître mimétiquement dans le Christ et plus exactement dans la figure du réprouvé, honteux et glorieux, bestial et divin, acteur du théâtre mondain et auteur d'une oeuvre qui lui fait miroir, mais il ne peut achever de s'y reconnaître qu'au delà de la mort symbolique, dans sa propre passion, dont son propre procès sera comme le décalque."

Je vous demande humblement pardon d'avoir emprunté le travail d'un autre pour rédiger ce billet mais il faut savoir reconnaître les limites de ses compétences et, n'en ayant aucune en matière de tragédie antique, j'ai préféré m'effacer afin de vous proposer une analyse à la hauteur de l'oeuvre De Wilde.

Voilà, voilà... Je ne sais pas ce que vous en pensez mais si j'avais fait l'effort de rendre un tel devoir alors que j'étais encore écolière, peut-être aurais-je pu envisager la Fac au lieu d'enquiller une brillante carrière de smicarde à 16 ans à peine.

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