AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Acerola13


D'Afrique en Palestine raconte le voyage initiatique « en Orient », comme il était de coutume à l'époque, d'Edward Blyden, homme noir d'origine antillaise, éduqué aux Etats-Unis et émigré au Liberia où il exerce en tant que journaliste puis ambassadeur de ce pays, fief des descendants d'esclaves désireux de retourner sur le continent de leurs ancêtres.

Edward Blyden propose donc au lecteur le récit de son voyage du Liberia en Palestine, dont les deux grands temps forts seront la visite des pyramides et de Jérusalem, assortis de commentaires, de notes et d'observation sur les lieux qu'il parcourt et les personnes qu'il rencontre. Si l'exercice peut sembler redondant au vu du nombre d'Occidentaux (les Français n'étant d'ailleurs pas en reste !) partis pour un Orient réel ou fantasmé, D'Afrique en Palestine a de particulier le prisme d'un homme éduqué qui suscite parfois la défiance en raison de sa couleur de peau.

Sans surprise, on retrouve dans ce récit de voyage des anecdotes sur les rencontres, les salons et les cercles restreints des diplomates et expatriés occidentaux auxquels accède facilement tout voyageur doté de solides relations et recommandations ; on s'amuse de cette mise en scène du gratin anglais et américain, et particulièrement des observations de l'auteur assistant à une cession du Parlement anglais.

S'ensuivent également une série de commentaires sur les us et coutumes, particulièrement en Palestine où Edward Blyden assiste à plusieurs noces donnant lieu à des danses et à des célébrations ; sa visite d'Alexandrie et des pyramides étant elle plus centrée sur l'architecture et la grandeur des monuments, ainsi que de leur origine qu'il maintient comme africaine, tentant là de rompre avec l'idée selon laquelle il n'existerait pas d'histoire de ce continent. Ce désir de réhabiliter l'Afrique noire comme partie intégrante de la gloire de la civilisation égyptienne se heurte souvent aux observations parfois contradictoires de l'auteur sur ses confrères, qu'il décrit comme étant impolis ou impropres.

Mais le thème le plus important de ce récit est bien évidemment la religion : le travail des missionnaires, la perte du sentiment religieux chez les Anglais comparés aux pieux Hindous, l'entreprise de traduction d'une bible en arabe...La visite de Jérusalem est intéressante puisque notre auteur visite l'ensemble des sites sacrés juif, chrétien et musulman, tout en commentant la signification de tel ou tel lieu dans chacune des traditions. Il souligne l'appétit du gain touristique, certains lieux jusque-là interdits aux ressortissants d'autres religions désormais accessibles « quelques shillings ».
Edward Blyden s'attarde également sur la condition des femmes, toutes voilées en Orient ; il soutient d'ailleurs que « une société dans le sens chrétien du terme ne peut exister dans un pays où les femmes sont systématiquement tenues dans l'ignorance et exclues de tout contact avec les hommes, dans la sphère privée aussi bien que dans la sphère publique ».

Enfin, son analyse géopolitique de la région semble annonciatrice des déboires du début du XXe siècle : il dénonce la mauvaise administration turque de la Palestine, contrôlée de facto par les bédouins, et s'étonne que les nations chrétiennes n'aient pas pris le contrôle des lieux saints. Il répond à sa propre interrogation en évoquant les rivalités entre France, Angleterre, Russie et Empire austro-hongrois : « le monde chrétien peut bien prier pour la paix de la biblique Jérusalem. Cependant, il y a au moins un sujet sur lequel il y a une remarquable unanimité entre les principales sectes – juifs, chrétiens et mahométans –, et qui concerne la destinée finale de Jérusalem : la ville sera le théâtre des gloires de la fin des temps, les juifs reviendront sur la terre de leurs ancêtres, et le Messie sera intronisé et règnera dans « la Cité du Grand Roi. » ».

Du côté du style, l'insertion de correspondances, de poèmes voire d'extraits d'autres auteurs peut surprendre, mais témoigne de l'étendue des connaissances de l'auteur ; son ton ironique et amusé lorsqu'il s'agit de croquer la société tranche formidablement avec son attitude béate et extatique lorsqu'il s'agit de décrire la Palestine et Jérusalem : on a parfois l'impression qu'en lieu et place de nos routard et lonely planet, Edward Blyden avait élu les Évangiles, qu'il cite abondamment, en tant que guide de voyage.

Un récit court mais complet, amusant la plupart du temps, soit par l'esprit de son auteur, soit par sa propension à voir de toute part les lieux de la Bible. Une découverte plus accessible et moins chronophage que les pavés De Nerval, Lamartine ou Chateaubriand.
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}