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Critique de MakeSomeoneHappy


Ce livre est un grand livre mais je l'aurai mal aimé.
Peut-être ne l'ai-je pas lu au bon moment. Peut-être cette période chargée au boulot n'était-elle pas la plus propice. Peut-être est-ce la traduction d'un texte écrit dans une autre langue, un peu de sa poésie égarée au passage.
Me resteront, comme deux bornes, aux deux bouts du livre, ces deux éclats de lame, ces deux moments traversés d'émotion, soudaine pour la première, plus attendue pour la seconde et même annoncée, par petites touches, tout au long du texte : la mort des deux jumeaux, Grover et puis Ben.
Plus que le personnage central du livre, Eugène, ce sont ces deux-là dont la mort m'a ému. Je sais, bien sûr, que c'est l'effet de ces morts sur le jeune Eugène, la façon dont il les raconte, ses mots à lui et donc beaucoup de lui-même, qui amenèrent cette émotion. Mais je fus moins touché, je compris moins, je passais pour tout dire à peu près à côté du reste de ses errances et de ses réflexions. Esprit supérieur, trop éloigné, bien trop éloigné du reste de sa famille et de son milieu. Souffrance qui en découle, bien sûr, effort magnifique pour la transcender par les mots, mais pour en extraire une morale, une poésie que je n'ai pas su saisir.
Une seule autre fois, une seule, je fus vraiment touché par sa douleur devant l'amour perdu de Laura. Elle me rappelait les petites trahisons que j'avais ressenties adolescent et jeune adulte, quand j'avais cru aimer et que mon amour m'était resté, à chaque fois, sur les bras. Je retrouvais subrepticement cette émotion lorsqu'il racontait comment Laura était partie avec un autre, comment ce premier grand amour (le seul ? le vrai ?) s'était arraché à lui, laissant la plus grande des brûlures, la cicatrice de toute une vie.
Mais, pour le reste, il me semblait que je ne ressentais pas d'empathie, d'identification à Eugène. Et que je n'étais pas ému par son destin comme je l'avais été, transpercé, par la vie trop tôt enlevée à Grover. Injustice immense, tragique, petit être sans défense qui ne connut pas la vie, ou si peu. Innocent sacrifié sans raison.
Puis, beaucoup plus loin, cette autre émotion quand je réalisais, finalement, comme frappé en pleine figure, que Ben, son jumeau, était en fait aussi mort ce jour-là, le jour de la mort de Grover. Ensuite, durant les vingt ans qui suivirent, il n'était déjà plus qu'un fantôme, qu'une carcasse brinquebalée par la vie et dont l'âme n'était que souffrance, incapable d'embrasser une vie qui ne valait plus, dont il ne voulait plus, depuis le départ de cette autre partie de lui-même. Comme un poison jeté dans son coeur le jour de la mort de Grover et qui avait commencé, dès ce jour-là, à le tuer à petit feu.
Voilà, c'est dit. Ces quelques mots m'ont soulagé. Ils ont fixé ces personnages sur mon cahier. le livre, je peux maintenant le ramener au magasin central de la Médiathèque de Toulouse. Au-delà de la note moyenne que je lui donnerai, au-delà de cette douloureuse sensation d'en être passé un peu à côté, je sais qu'il me restera ces mots, que je ne l'aurai pas complètement perdu, donc.
Et j'en ressens un vrai soulagement.
La vie, parfois, passe sur moi sans aucune trace et c'est un grand tourment, cette sensation que je la laisse filer.
Mais pas Grover et pas Ben. Je les ai un peu rattrapés, à travers les âges. Ils vivent un peu, aussi, à travers ces deux pages. Petite revanche, infime revanche sur leurs souffrances. Mais revanche quand même. Compassion pour ceux qui n'avaient aucunes chances.
Ce présent merveilleux qu'ils me font (et que me fait Thomas Wolfe, bien sûr) : l'empathie de l'homme pour l'Homme, la certitude, quelques instants, qu'il existe vraiment parmi les siens.
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