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Critique de Alexein


La promenade au Phare, le voyage au Phare ou Vers le Phare, selon les traductions, est un livre pas banal qui raconte pourtant des évènements banals. Virginia Woolf prend un virage dans la façon de raconter les histoires et passe au crible le moindre des mouvements de l'âme de ses personnages.

L'histoire, tout en symboles, est dense et certains passages sont ennuyeux, voire soporifiques. Cependant ils sont rachetés, et très largement, par des réflexions d'une très grande acuité et exprimées avec une poésie d'une grande délicatesse. Les personnages, tout au long de ce livre, roulent leurs pensées comme des vagues, avec un flux et un reflux tantôt joyeux et espiègles, tantôt très amers, inquiets, angoissés.

Dès la première ligne, le phare est planté au coeur du tableau comme le centre de gravité de l'histoire, comme un but ultime à atteindre pour les jeunes enfants, mais pas uniquement pour eux, qui sont impatients d'aller s'y promener.

C'est une critique bien difficile à faire : dans ce livre, il ne se passe rien et il y a tant de choses à en dire. Il s'agit de petits riens, d'aventures anecdotiques comme la perte d'une broche, la cuisson réussie d'un boeuf en daube, la longueur d'un bas à tricoter, le placement d'un arbre sur une peinture, etc. Tous ces menus évènements suscitent bien des réflexions dont la petite voix intérieure de la narration déroule pour nous le fil fragile.

Dans cette atmosphère engourdissante, le passage du temps, les questionnements sur le sens de la vie, des pensées nées de ces « petites allumettes inopinément craquées dans le noir » imprègnent l'esprit de considérations semblables et y résonnent sourdement, comme une lame de fond.

Les symboles pas toujours évidents à déchiffrer savent se faire une place et le lecteur plonge dans un abîme de souvenirs rafraîchis par de belles phrases qui sont comme des bribes de conscience naïves, spontanées et parfois fascinantes.

Virginia Woolf fixe des états d'esprit, des changements d'humeur, peint les tourments de l'âme, les ambitions, les regrets, l'excitation, les peurs dans un grand mouvement cyclique tournant autour de la question du sens de l'existence, et dont le phare me semble être le point d'ancrage.

Ce ne fut pas une sinécure que de lire ce livre. Et pourtant, et pourtant…
Il est un peu comme une nappe de brume. L'auteur y lève un coin de voile par-ci par-là, brosse un tableau impressionniste. Ce n'est pas parce que le narrateur pénètre l'esprit de ses personnages qu'il nous en donne toutes les clefs : une part d'ombre intrigante les rend étrangers à eux-mêmes, semblables à des îles en partie inexplorées sur lesquelles l'oeil du phare jettera, ainsi que semblent l'espérer certains, peut-être un peu de sa lumière.

Car le phare est le point de repère de ces vaisseaux humains ballottés par les flots d'un océan d'incertitudes, d'angoisses, mais aussi d'émerveillements.

Un livre sans vraies actions marquantes et pourtant foisonnant de vie ; un livre sur les douloureuses difficultés de l'expression et des relations ; un livre sur l'autocensure ; un livre sur la volonté de mettre de l'ordre dans le chaos intérieur de la conscience et le besoin de se laisser surprendre par les sauts de cabris des pensées et les caprices de la mémoire ; un livre qui ne semble pas être un livre, mais la vie, tout « simplement ».
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