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Critique de Osmanthe


Emi Yagi livre avec Journal d'un vide son premier roman, paru en 2020 au Japon, et qui a reçu le prix Osamu Dazai.

L'intrigue repose sur un mensonge lâché par la narratrice Mademoiselle Shibata au sein de son entreprise. En ayant marre que ses collègues masculins la laisse systématiquement faire le café et débarrasser en cas de réunion ou de réception de clients, elle affirme subitement qu'elle est enceinte, ce qui va lui permettre d'obtenir des conditions de travail aménagées et les égards, gentils mais passablement intrusifs et maladroits de son collègue masculin Higashinakano.

Pour le coup, si c'était prémédité, c'est un peu sorti tout seul, et Shibata va devoir assumer le mensonge au fil des jours, alors que son ventre n'est pas censé s'arrondir. Alors elle mange beaucoup, et comme il faut jouer le rôle au plus près de la réalité, elle se documente en téléchargeant une appli spécialisée qui va lui permettre de vivre sa grossesse. Elle aura notamment accès à des séances d'aérobic où elle sympathise avec de jeunes femmes dans le même état de grossesse, puis un congé maternité. Si elle grossit peu pendant très longtemps, l'échographie qu'elle passe montre bien apparemment un foetus, qui ne se gêne du reste pas pour taper du pied, dans un ventre qui finit par s'arrondir sérieusement. Pourtant on comprend qu'au terme de « l'accouchement », il lui faudra continuer d'esquiver le sujet délicat de ce bébé et s'arranger pour ne pas avoir à le présenter à ses collègues.

Le roman présente pour point fort de nous plonger dans la société japonaise et ses travers en termes de condition de la femme. Elles sont trop souvent contraintes à des tâches peu intéressantes en entreprise, quand elles ont un cdi, et doivent tout faire au foyer, en particulier s'occuper seules du ou des enfants. L'auteure en est fortement agacée, qui en profite pour bien le faire savoir à travers les paroles des amies de Shibata.

Pour le reste, l'histoire tient difficilement debout. L'auteure maintient une ambiguïté sur la réalité de la grossesse dans une grande confusion. J'avoue que s'il n'y avait pas cette échographie qui semble bien montrer un bébé, je livrerai volontiers une explication, avancée par personne dans les critiques des lecteurs qui m'ont précédé : et si tout cela était le fruit d'une grossesse nerveuse ?

Car notre héroïne, c'est entendu, est seule et bien seule, pas de copain, pas de relations sexuelles semble-t-il, elle ne peut pas être réellement enceinte. le passage de l'échographie est donc absurde, l'auteure s'est ratée. Mais s'il eut été plus crédible de sortir un copain de derrière les fagots, le mystère aurait été dissipé et l'histoire n'avait plus aucun intérêt…Du coup, on reste dans un flou, pas très satisfaisant.

J'avoue qu'en tant qu'homme, le déroulé page après page de l'état de grossesse et ce qui va avec ne m'a pas spécialement passionné. En outre, Emi Yagi, comme nombre des écrivaines de la nouvelle génération littéraire japonaise, a la manie du détail dans sa narration. Quel est l'intérêt de noircir des pages et des pages décrivant ce qu'elle décider de s'acheter à manger, ou les courses qu'elle fait ou je ne sais quoi ? Ces éléments n'apportent rien pour saisir la personnalité de Shibata, pas plus que pour l'intrigue. A la place, on aurait préféré davantage d'expression de ses sentiments. Elle ne montre même pas de surprise de se voir réellement enceinte (mais bon justement, l'est-elle vraiment ?!).

Alors oui, la grossesse nerveuse, pourquoi pas ? En tout cas une grossesse vraiment fabriquée par un esprit un peu dépressif ? Elle se sent peut-être seule, la communication avec ses parents est assez difficile et impersonnelle, elle ne leur confie d'ailleurs pas son secret. Elle est déjà trentenaire, pas mariée, pas de copain, c'est assez mal vu au Japon. Sans compter, donc, un boulot qui peut ne pas la passionner.

Et si le vide, c'était d'abord un vide de l'esprit plus que du ventre, l'expression d'une solitude intérieure, un malaise que Shibata va tenter de combattre en s'inventant une vie, une vie de femme « normale », dans un pays où la conformité à la norme est très souhaitable ? C'est une hypothèse, à laquelle je me suis raccroché pour trouver un peu de consistance et de crédibilité à cette fable féministe.
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