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Critique de Opuscules


Mon libraire, d'ordinaire affable à forte tendance mutique, m'avait collé Richard Yates dans les bras un jour où j'errai sans but dans son antre, en pleine panne d'inspiration. Son visage s'était éclairé en me décrivant la puissance de cet auteur dont j'ignorai tout, il avait poussé sa métamorphose jusqu'à sourire franchement en le comparant à Carver. le pétillement dans les yeux du bouquiniste taciturne a rapidement eu raison de moi et de ma faible volonté en matière de littérature américaine, et je suis rentrée avec sous le bras les deux romans de Yates qu'il avait en stock. 

Depuis que j'ai dévoré les deux textes, j'ai compris le sourire du libraire. J'ai compris - ou du moins entrevu - ce qu'il entendait en qualifiant Yates de génie méconnu. J'ai compris son enthousiasme frénétique et son engouement viscéral pour l'écrivain. 

Easter Parade est un diamant brut, un bijou littéraire rare et précieux. Il retrace la vie des soeurs Grimes, nées dans l'est des Etats-Unis dans les années trente. Sarah et Emily passent leur enfance sous le joug d'une mère délurée, aussi fantasque qu'alcoolique, qui enchaîne les déménagements en espérant toucher du bout des doigts la petite bourgeoisie de banlieue. Sarah, l'aînée, se marie et se fond dans une vie de famille en apparence idyllique. Emily quant à elle grandit en devenant ce que certains qualifieront d'esprit libre. Elle s'investit dans ses études et son travail, enchaîne les relations sans jamais s'enfermer dans le carcan des bien-pensants. Au travers de ces destins d'apparence diamétralement opposée, Yates brosse le portrait amer d'une génération, avec pudeur et tendresse. Il nous jette à la figure le vide de l'existence et le néant qui s'invite le soir, quand la frénésie du dehors n'arrive plus à étouffer la solitude qui ronge. Les soeurs Grimes préféreront tout plutôt que le silence, peu importe qu'il s'agisse de l'alcool, des hommes ou des belles apparences pour cacher leurs drames silencieux. Enfermées dans leur époque et dans leur condition, elles n'empêcheront pas l'inéluctable explosion de leurs façades vouées à voler en éclat. 


Le génie de Yates se terre dans les moindres recoins, il est dans tous les petits riens qui font la vie. Il est dans les taches de gras aux commissures des lèvres, il est dans les infimes détails que seule une plume de génie peut décrire. Il ne se passe pas grand'chose, dans Easter Parade, et pourtant tout se passe. L'amour, la mort, les espérances et les désillusions ; la vie dans ce qu'elle a de plus ordinaire et plus douloureux. Pour Yates, cette vie de presque rien est toujours sur la tangente, elle flirte souvent avec la folie, comme pour mieux y succomber. 

Je souhaite à chacun de connaître ce que j'ai ressenti en terminant ce grand roman. Je souhaite à chacun de connaître l'exaltation du lecteur abasourdi, de ressentir un jour l'intense frémissement qui gronde dans chaque nerf, dans chaque synapse, le fourmillement qui électrise et retient le temps en suspens, après que la dernière page ait été tournée.Je souhaite à chacun de lire Yates, à coeur ouvert.
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