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Critique de MaggyM


Il n'a jamais fait bon être intellectuel, poète, écrivain ou journaliste en Chine. Tout simplement, refuser de se conduire comme un mouton décérébré, faire travailler ses neurones pour poser un regard critique sur sa vie, et par ricochet, sur la société en général, a toujours été dangereux. Et c'est toujours le cas aujourd'hui.

Quand Liao Yiwu rédige le poème Massacre en 1987, à l'heure où les étudiants risquent leur vie pour un soupçon de liberté sur la place Tien' anmen, il sait qu'il prend un risque. Mais il lui reste une pincée d'insouciance qu'il perdra bien vite quand il se fera arrêter à un arrêt de bus en 1990.
Et l'enfer sur terre s'ouvre sous ses pieds. Du centre de détention dans lequel il restera "en préventive" pendant 2 ans à attendre un procès qu'il sait joué d'avance, aux prisons insalubres, l'auteur a traîné sa rage et son amertume pendant 4 ans. Sans rien renier de ce qu'il était avant.

4 ans dans la crasse, dans les bas-fonds de la société chinoises, dans cet enfer où les prisonniers participent eux-mêmes aux interrogatoires inhumains de leurs co-détenus, dans ce cloaque où chaque homme ne dispose pas toujours d'un mètre carré pour vivoter, dans cet immonde institution où les condamnés sont exploités pour fabriquer les emballages de médicaments à très bas prix...

Et l'auteur tente d'exorciser ces années perdues, effrayantes sur le moment et qui le sont toujours autant avec le recul, en partageant avec le monde ce qui lui est arrivé, et plus largement, comment se comporte la société chinoise avec les érudits, les libres penseurs et ceux qui osent ne pas être en accord avec le pouvoir en place. Derrière l'humour parfois féroce, derrière le sarcasme ponctuel, on sent l'amertume, la peur, le découragement, l'incompréhension, la révolte, la rage et parfois l'envie d'en finir, une fois pour toute. Parce que, comment trouver un sens à sa vie et à tout ce qui l'entoure, quand on est enfermé, torturé, maltraité, affamé... pour des idées auxquelles on croit?

En Europe, on sait tout cela, mais il est tellement pratique de s'aveugler, de faire la sourde oreille quand on voit les avantages que l'on peut retirer d'une collaboration avec cette société totalitaire. A l'heure où beaucoup se posent des questions sur notre société de consommation et l'asservissement européen à l'Empire du milieu, lire Dans l'empire des ténèbres est un acte nécessaire.
Et si d'aucuns pensent que ceci est histoire, puisque se déroulant au 20e siècle, qu'ils revoient bien vite leur copie. Parce qu'aujourd'hui, Liao Yiwu reste en danger s'il ose franchir les frontières; parce qu'il a fallu qu'il se réfugie en Allemagne et qu'il y reste pour pouvoir, enfin, partager son histoire après que ses manuscrits lui aient été confisqués à plusieurs reprises; parce que les amis qui l'ont aidé à rejoindre l'Europe ont a leur tour été emprisonnés.

Un grand merci aux éditions François Bourin pour avoir eu la brillante idée de dédier la Collection Moutons Noirs à ces auteurs dissidents, qui osent mettre des mots sur l'innommable pour tenter d'ouvrir les yeux des nantis que nous sommes sur ces victimes anonymes de la folie humaine à travers le monde.
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