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Critique de kielosa



En recevant ce livre par la poste, je me suis vite rendu compte que je l'avais déjà dans ma bibliothèque et lu depuis un bon bout de temps. J'ai été induit en erreur par la traduction du titre de l'Hėbreu ("Sipur Hirbet Hiza") vers d'autres langues. Ce n'est pas bien grave, puisqu'il s'agit d'un ouvrage important publié par un homme important.

S. Yizhar ou Yizhar Smilansky (1916-2006) a poursuivi une double carrière, comme politicien et académicien. Pendant 17 ans, il a été membre de la Knesset, le parlement israélien, ce qu'il a combiné avec un professorat ďe littérature à l'université de Tel Aviv. Il passe pour un des grands innovateurs de la langue hébraïque et est l'auteur d'une trentaine d'oeuvres.
En 1942, Yizhar a épousé Noemi Wollman, avec qui il a eu 3 enfants : Yisrael, Hila et Ze'ev.

Le 14 mai 1948 l'ami de l'auteur, David Ben Gourion (1886-1973), a proclamé l'État d'Israël et un an après, en 1949, Yizhar a sorti ce récit d'une expulsion fictive du village fictif de Chirbet Chiz'a, ou Hirbat-Hiza, des Arabes palestiniens par l'armée israélienne. Cet ouvrage es devenu très vite un best-seller et depuis les années 1960 inscrit au programme scolaire officiel.

Le professeur David Shulman de l'université hébraïque de Jérusalem et auteur de "Ta'ayush, Journal d'un combat pour la paix" (2006) a, dans une postface, merveilleusement bien situé cette oeuvre : "Hirbat-Hiza est un texte canonique, un chef-d'oeuvre de prose en hébreu moderne...." (page 101).

Pendant la première guerre israélo-arabe qui suit la proclamation de l'État d'Israël, des soldats israéliens reçoivent un "ordre de mission" pour déloger "les agents de la mouvance ennemie" ! En clair : chasser les Palestiniens arabes de leurs villages et terres fertiles. Leur ordre de mission, après un long préambule portant sur la nécessité de l'opération, précise qu'il faut de la "fermeté, mais sans débordements ni dérapages" !

Comme si les Palestiniens arabes n'attendent que cette initiative pour devenir, dans la meilleure des hypothèses, des réfugiés, qui ont perdu ferme, terre et maison. Durant la guerre de 1948-1949, 700.000 Palestiniens ont ainsi dû prendre la route de l'exil. Pendant la Guerre des Six-Jours en 1967, 300.000 Palestiniens s'ajouteront à ceux "partis" 19 ans avant.

Le récit est effectué à la première personne du singulier. Au cours de cette guerre, Yizhar était officier de renseignements de l'armée israélienne et savait donc parfaitement bien ce qui se passait. Ainsi, ce récit poignant d'à peine 90 pages, revêt un caractère d'un réalisme ahurissant. Si Hirbat-Hiza est fictif, à des dizaines d'endroits des pauvres fermiers palestiniens avec leurs familles ont été scandaleusement dérobés et chassés de leurs terres, qui assuraient leur survie.

Le narrateur fait donc parti d'un peloton de simples soldats, tels Gabby, Shmulik, Arieh, Yehuda, Shlomo... sous les ordes de leur chef Moïshé, et ne sont nullement des personnages démoniaques, mais des jeunes très ordinaires, qui exécutent les ordres tout en ayant des doutes et certains ressentent de la pitié avec leurs victimes. Pas autant, toutefois, que le narrateur qui estime que rien ne légitime cette expulsion. S'il est le seul à réellement s'émouvoir, il exécute néanmoins les ordres comme les autres conscrits.

Je ne vais pas résumer le déroulement de cette opération honteuse, car cela reviendrait à causer du tort à la qualité littéraire exceptionnelle du texte, qu'il faut avoir lu. Il y a ce contraste colossal entre cette opération horrible et la beauté poétique et lyrique des descriptions de la nature par l'auteur. Plusieurs phrases j'ai lu et relu, certaines d'ailleurs à haute voix, ce qui ne m'arrive que rarement.

Ce qui est frustrant et triste c'est que des opérations comparables ont lieu encore aujourd'hui. David Shulman, dans sa contribution, évoque des exemples inacceptables par des colons israéliens à l'égard des Palestiniens dans une région à une bonne quarantaine de kilomètres au sud de la ville d'Hébron, dans les territoires occupés.

Je vais terminer cette critique d'un ouvrage extraordinaire, paru il y a 70 ans, en citant le professeur Shulman qui, en faisant référence à la triste réalité où dans maints villages la menace d'expulsion brutale demeure, note : "... le texte implacable de Yizhar garde une actualité déplaisante".
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