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Critique de Meps


J'aime beaucoup les livres qui nous transportent de l'autre côté d'une frontière que l'histoire a tracé entre nous et un morceau de l'humanité. Dans la guerre Etats-Unis/Japon, nous sommes clairement du côté de la bannière étoilée et avons donc eu plutôt l'occasion d'entendre les voix américaines la décrire. le livre de Yoshimura nous invite à regarder avec d'autres yeux.


Et quand il s'agit de ceux de Shinishi, un jeune garçon de 14 ans qui vient d'être enrôlé dans l'armée pour défendre sa terre d'Okinawa, petit bout de Japon situé à égale distance de Taiwan et de la mère patrie, on est invité dans le surréalisme. Les Américains arrivent au large, bombardent l'île et toutes les forces vives doivent être réquisitionnées. Les élèves de 12 et 13 ans râlent même qu'on leur refuse l'intégration. On est donc très vite confronté à la fierté japonaise, à leur jusqu'au-boutisme qui s'illustre par les kamikazes (qu'on voit ici à l'oeuvre pas uniquement dans les avions mais à pied, face aux chars, une mine dans le dos), à leur désir de mourir en héros. J'ai redécouvert les phénomènes de l'emprise que je côtoie professionnellement au quotidien dans les problématiques de violences conjugale. La majeure partie de la population semble hypnotisée et dirigée vers un but commun.


La prose de l'auteur est âpre, rude. Aucun détail ne nous est épargné, tout est décrit, la boue qui englue tout le monde, les pous qui recouvrent le corps tout entier, les asticots qui envahissent les blessures qu'on ne parvient pas à faire cicatriser... Je m'arrête de peur de trop vous effrayer, mais sachez juste que je ne suis pas encore arrivé au pire. Il n'y a pas de jugement subjectif sur l'horreur décrite, le héros semble en pilotage automatique, seulement étonné parfois lui-même par son absence d'émotions. Yoshimura nous laisse donc un peu seul face à cette horreur et cela ne fait finalement pour moi que renforcer l'effet répulsif de la guerre et de ses drames. C'est un choix osé mais payant.


Alors qu'on se trouve régulièrement au coeur des combats, sous les bombes, les balles qui sifflent, les bruits des chars, c'est presque à un roman contemplatif, comme le désert des Tartares de Buzatti, qu'on est confronté. Car au fil des fonctions subalternes qui lui sont confiés (transmission de messages, transport des blessés) et des déplacements de troupes ordonnés par les gradés, le destin glorieux de Shinichi ne cesse de lui échapper. Même dans les moments les plus tendus, il ne cesse d'être empêcher de réaliser son rêve: tuer un ennemi, servir sa patrie. le devenir des blessés est craint, les morts inutiles également. Il faut que la mort serve à quelque chose, sinon toute cette horreur aura été inutile. Dans ces circonstances extrêmes, plus rien n'est respecté, les caveaux servent d'abri, les tas de cadavres de cachettes, les liens familiaux disparaissent.


Ce livre nous confronte de plein fouet à la déshumanisation totale qu'entraîne la guerre, à son inutilité aberrante. Sans aucun moment moralisateur, il est tellement plus efficace que les multiples déclarations d'intention des plus grands pacifistes.
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