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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Madly ever after (épisodes 1 à 5) qu'il vaut mieux avoir lu avant, pour comprendre qui est Gertrude et dans quelle situation elle se trouve. Il comprend les épisodes 6 à 10, initialement parus en 2016, écrits, dessinés et encrés par Skottie Young, avec une mise en couleurs de Jean-François Beaulieu. 14 pages de l'épisode 8 ont été dessinées et encrées par Jeffrey Cruz.

À la fin du tome précédent, Gert (pour Gertrude) avait accédé au plus haut poste de responsabilité dans Fairyland, d'une certaine manière à son corps défendant. Dans l'épisode 6, elle préside donc aux affaires du royaume, en sa qualité de reine. Elle ne se fait aucun ami et règne en despote pas très éclairé. Dans l'épisode suivant, elle entame un périple avec Larry (Larrington Wentsworth III) pour trouver un moyen de retourner sur Terre, pour qu'elle retrouve son vrai corps de femme de 33 ans. Ces déplacements sont concomitants avec les mésaventures de Duncan, un vrai enfant déguisé en Dragon. D'ailleurs cet épisode s'intitule comment drainer son dragon.

Dans l'épisode suivant, Gert continue de se servir des connaissances acquises pendant son règne pour dénicher des individus, voire des créatures, capables de l'aider à regagner son monde. Cette fois-ci elle s'adresse à un sage qui lui indique un endroit où se rendre : la tour des batailles. Ensuite, elle participe à un tournoi de jeu de cartes dans lequel elle perd toute sa mise. Ça la contraint à aller chercher un Catastrophon dans le chapeau magique de Larry, où elle rencontre des individus peu contents de leur sort, sachant que c'est elle qui les a mis là. Enfin, elle et Larry se retrouvent dans un donjon, où chaque choix dans le couloir à emprunter peut mener à un futur catastrophique. Malheureusement Gert est incapable de se concentrer assez pour écouter et retenir les conseils du guide.

En ayant lu le premier tome, le lecteur a déjà une bonne idée de ce qui l'attend : encore plus d'humour visuel s'exerçant aux dépends des icônes de l'enfance, d'une manière irrévérencieuse, sadique et inventive. Effectivement, Skottie Young est en pleine forme et il n'a rien perdu de sa verve visuelle. En feuilletant rapidement ce tome, le lecteur réprime une grimace en voyant que les 2 tiers de l'épisode 8 sont dessinés par un autre artiste. À la lecture, il apparaît que l'intrigue comporte un motif valable pour que l'apparence graphique soit modifiée le temps de ces 14 pages. le lecteur n'est pas dupe : il sait bien que cette interruption de service de Young lui donne le temps nécessaire pour pouvoir tenir le rythme mensuel de sortie de sa série. Néanmoins, il peste un peu moins fort car il y a une raison logique à l'intérim dans les dessins.

Dans cet épisode 8, Gert se retrouve donc à pénétrer dans une borne de jeu d'arcade et elle va affronter plusieurs combattants pour essayer de sortir vainqueur de ce tournoi et remporter le prix qui devrait lui permettre de retourner sur Terre. Les dessins de Jeffrey Cruz ont une apparence moins organique que ceux de Skottie Young. Il réalise ses planches à l'infographie, avec une forte influence des codes graphiques des mangas de type shonen. Les yeux des personnages sont agrandis pour mieux faire passer l'émotion sur les visages. Les dents sont dessinées sous forme de triangle pour évoquer une fureur animale. le premier assaillant de Gert à une morphologie et une musculature qui ressemble à celle d'un Super Saiyen. La dernière adversaire évoque par sa morphologie et ses poses, une combattante de Street Fighter. Les arrière-plans sont noyés dans une couleur brunâtre, évitant au dessinateur de représenter quoi que ce soit. Par contre, le lecteur perçoit la culture de jeux d'arcade de Jeffrey Cruz qui réalise de belles mandales qui envoient l'adversaire valser au loin, avec un découpage de page très vivant. Il insère également de l'humour noir, généré par la force des torgnoles, et par les expressions décalées ou exagérées des personnages. La force comique visuelle est moins importante que celle des dessins de Young, mais il ne s'agit pas non plus de remplissage amateur.

À la fin du premier tome, le lecteur se demandait bien ce qu'impliquait le nouveau statut de reine du royaume, pour Gertrude. Il découvre donc dans le premier épisode ce qu'il advient du royaume des contes quand Gertrude y règne en despote. À nouveau elle y est dépeinte comme un individu égocentrique, irresponsable, gaffeur, à la capacité d'attention très limitée, à l'implication et la motivation quasi nulles. Skottie Young convoque les différentes obligations de cette charge, pour montrer comment la gestion indigente et incompétente de Gert provoque catastrophe sur catastrophe, au prix de la vie des différents habitants du royaume, et au prix de la prospérité des différentes communautés. La seule action concrète et constructive que Gert ordonne durant son règne est de faire rassembler des informations par les serviteurs de l'ancienne Cloudia, transformés en esclaves, informations sur les individus ou créatures susceptibles d'être capables de renvoyer Gert chez elle. Les épisodes suivants constituent donc des aventures en 1 épisode, dans lequel Gert et le fidèle Larry voyagent jusqu'à rencontrer un tel individu et essayer d'obtenir la faveur convoitée.

Au cours de chacun de ces épisodes, la fin justifie toujours les moyens pour Gertrude, au mépris de toute considération pour tous les individus se trouvant entre elle et son but. le scénariste continue de jouer sur le décalage entre la méchanceté et le mépris de cette adulte irresponsable dans un corps d'enfant de 6 ans, et les gentilles créatures des mondes de l'enfance, animées de bonnes intentions, majoritairement dépourvues de malice (il y a quand même quelques individu plus retors). Gertrude peut ainsi fouler au pied tous les autres, sans risque de répercussion, avec la certitude de toujours s'en sortir, au pire avec quelques blessures plus ou moins graves. Si Gertrude est bien le personnage principal, elle n'est en rien une héroïne, encore moins un modèle à suivre. C'est une femme coincée dans une situation qu'elle exècre, lassée par le cumul des années. Il serait facile de penser qu'elle pourrait faire mieux avec ce contexte, mais en fait elle évolue dans un monde d'enfants qui ne grandiront jamais avec un seul autre adulte dans son entourage : un petit criquet volant qui fume le cigare et qui a des poches sous les yeux, un individu tout aussi blasé et sans espoir que la situation n'évolue. Gertrude fait du surplace ce qui la rend aigrie au dernier degré.

Bien sûr les dessins donnent une toute autre tonalité à la narration, que celle d'un drame existentiel vécu par un individu adulte figé dans une stase infantile. D'ailleurs le lecteur est avant tout venu pour les dessins, leur verve, leur entrain, leurs exagérations, leur sadisme vis-à-vis des pauvres créatures si mignonnes, leur méchanceté et leur violence, etc. À l'exception de l'épisode 8 évoqué précédemment, la rétine du lecteur est la fête et les promesses sont tenues au-delà de toute espérance. Cela commence par la mise en couleur de Jean-François Beaulieu, avec des couleurs gaies, piochées dans une palette plutôt associée aux récits pour la jeunesse. Cela continue avec les personnages, les décors, et la mise en scène. Gertrude porte toujours les marques d'une vie dissolue, en total décalage comique avec son âge apparent. Sa dentition a souffert d'années d'abus de sucrerie et d'absence de visite chez le dentiste. le plaisir sadique ou la lassitude qui se lisent tour à tour sur son visage relèvent plus d'un personnage adulte que d'une enfant, et le contraste avec des émotions plus franches n'en est que plus comique.

Le langage corporel et l'apparence de Larry sont tout autant en décalage avec le reste du pays merveilleux. Non seulement il a des poches sous les yeux, mais en plus ses yeux sont striés de rouge, comme s'il manquait éternellement de sommeil après des nuits interminables passées à se livrer à la débauche et à des abus en tout genre. Skottie Young met à sa sauce déviante tous les clichés visuels inhérents aux contes pour enfant. Les créatures sont toutes plus kawai les unes que les autres, avec des gros yeux expressifs (parfois affligés d'un fort strabisme disgracieux), de la fourrure (synthétique) chatoyante de couleur claire, des gros doigts et des corps d'enfants. C'est un plaisir de voir ces créatures si mignonnes se faire massacrer, ou essayer de se donner un air sérieux et fâchés pour se monter contre Gertrude, souvent avec des résultats insignifiants ou désastreux.

Skottie Young s'en donne également à coeur joie pour revisiter les lieux habituels des contes de fée : la monumentale salle du trône, la taverne interlope, la demeure démesurée à l'architecture en folie, la cabane au fond du jardin, le donjon mystérieux, la salle du butin remplie de trésors, le donjon inextricable. Young détoure les formes avec un encrage délié et vif, exagérant les apparences pour les tirer vers des représentations moqueuses et caricaturales. La désacralisation de ces icônes enfantines génère une catharsis bienvenue pour le lecteur qui apprécie de voir ainsi foulé au pied et ridiculisé les stéréotypes qui ont bercé l'imaginaire de son enfance. Comme dans le premier tome, Skottie Young se lâche aussi pour représenter une violence exagérée : du sang qui gicle, des tripes à l'air, des individus éventrés ou écartelés, des chocs d'une rare violence, des morts atroces, des souffrances inimaginables. S'il dessinait de manière réaliste, le lecteur aurait l'impression de plonger dans un tome de Crossed particulièrement vicieux et malsain.

Ce deuxième tome de la série fait honneur au premier et reprend la même recette (massacrer de mignonnes créatures associées à l'enfance, avec le maximum de sadisme et de dommages collatéraux), avec un entrain et un humour qui mettent le sourire aux lèvres du lecteur. Il s'agit d'une lecture à réserver à des adultes consentants et avertis, sensibles à l'humour noir et trash.
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