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Critique de DevN


DevN
28 décembre 2018
Le centenaire de l'exécution du baron Ungern par les bolcheviks est proche. Le temps semble pourtant incapable d'effacer son nom de la mémoire des hommes. Comment le souvenir d'un chef militaire à moitié fou, à la tête d'une division bigarrée et ethniquement disparate, et ayant principalement agi sur un territoire quasiment ignoré des européens, peut-il continuer à enflammer l'imagination de nombre de nos contemporains ?

La réponse de Youzefovitch relève plus de la métaphysique que de l'histoire : cela tient selon lui à la fascination de de l'être humain pour toute incarnation esthétique du mal. Car c'est ainsi que le baron/khan est dépeint par l'écrivain et historien russe. L'un des grands mérites de cette biographie est précisément de retracer son destin et sa personnalité hors normes, de nous donner une idée claire de l'aura (militaire et mystique) considérable qu'il a pu avoir de Transbaïkalie jusque dans les steppes de la Khalka, sans pour autant passer sous silence le caractère monstrueux de ses actes. Les divers témoignages des contemporains du baron, recoupés avec d'autres sources (lettres, procès), et traités avec un regard neutre, ne disent pas le contraire.

Le second point remarquable est la finesse de l'analyse psychologique d'Ungern par Youzefovitch. Au-delà de la folie pathologique incontestable dont il souffrait, l'auteur s'attache à démontrer à quel point le baron était habité par des idéaux aussi simples, manichéens que dévorants pour son esprit. Pour résumer : la race jaune, avec l'empire Mongol restauré comme précurseur, devait exterminer la race blanche et ainsi sauver l'humanité de l'abîme dans laquelle les idées socialistes, démocratiques et athéistes l'avaient plongée. L'emprise de cette idéologie sur son esprit, mélangée avec ses dispositions mentales naturelles à l'exercice de la tyrannie (superstition, paranoïa, insensibilité pour les souffrances de son prochain), explique en partie la cruauté démesurée dont il a fait preuve à l'égard de ses ennemis, qu'il voyait comme la manifestation humaine et tangible du diable (à savoir les juifs, les démocrates, les bolcheviks), mais aussi vis-à-vis de ses compagnons lorsque leur attachement à la cause était mis en doute...

Avec force de descriptions, le récit rend aussi bien compte de l'atmosphère politico-mystique irréelle qui régnait au début du XXe siècle aux confins de l'extrême-orient russe, et qui a rendu possible l'accomplissement d'une telle destinée.

En somme, il ne s'agit ni d'une hagiographie, ni d'un livre à charge cherchant à destituer à tout prix le mythe du baron fou. Youzefovitch tente de donner une image vivante et réelle de ce qu'à pu être Ungern, prend acte de la fascination qu'il continue à exercer jusqu'à nos jours, tout en nous enjoignant à garder un rapport lucide avec ce qu'il représente : un idéaliste adepte de la force brute (Nietzsche est au demeurant souvent cité) dont la folie a causé un tort immense à nombre de personnes qui ont eu le malheur de croiser son chemin.

Je n'ai que deux remarques négatives à faire, peut-être liées au choix de l'éditeur (lu dans un format de poche des éditions des Syrtes) :
1) L'absence de renvoi aux références et autres sources : on sent que l'ouvrage est abondamment documenté, mais il est impossible de savoir où l'on pourrait consulter cette documentation qui a servi de matière à l'auteur. Le format se rapproche plus d'un roman que d'un livre d'histoire, ce qui est toutefois plaisant pour la fluidité de la lecture.
2) La transcription des noms par la traductrice ne colle pas toujours avec ce qui a été retenu par convention dans la langue française (exemple : Ouliassoutaï au lieu d'Uliastay). Pas pratique pour faire des recherches sur Internet ou ailleurs.

Ces deux bémols n'enlèvent presque rien à la qualité de cette biographie de référence, et on ne peut que remercier Elisabeth Mouravieff et les éditions des Syrtes de l'avoir rendue accessible au public français.
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