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Critique de Ingannmic


C'est au départ un peu confus. On comprend bientôt lire un dialogue flottant, fait de l'alternance de longs monologues qui ne se répondent pas forcément, du moins dans un premier temps.
Ces monologues sont déroulés par Li Jiaqi et Cheng Gong, deux anciens camarades d'école qui se retrouvent après des années d'éloignement et de silence, et qui vont, tout au long de leur nuit de retrouvailles, se livrer à une sorte de confession mutuelle. Leurs histoires, qu'ils ont longtemps gardées en eux, mêlent trois générations.

Li Jiaqi est revenue à Nanyan quinze jours auparavant, pour assister l'agonie de son grand-père Li Jisheng, grand académicien et en son temps cardiologue le plus réputé de Chine. Elle s'est éloignée de sa famille, menant une vie nomade, devenue experte dans l'art de faire disparaitre toute trace de son passage en un temps record. La manière dont elle évoque avec le recul ses souvenirs de jeunesse révèle la hargne ravageuse qui l'habite, qui vise les autres aussi bien qu'elle-même, ainsi qu'un passé avec lequel n'a pas encore réglé ses comptes.

Cheng Gong n'a à l'inverse jamais quitté leur ville grise et polluée.

Au fil de leurs prises de parole respectives, nous reconstituons le monde de leur enfance, marquée par de nombreux points communs malgré la distance que leur positionnement dans l'échelle sociale imposait à leurs familles, mais dont eux-mêmes s'étaient affranchi, partageant jeux et confidences.

Li Jiaqi est née d'une belle paysanne et d'un homme qui l'avait épousée par défi envers un géniteur détesté qui considérait cette union comme une mésalliance. Son père, professeur d'université, s'est vite lassé de la rusticité et de l'inculture de sa femme, étendant ce désintérêt à sa fille, qu'il n'a jamais considérée qu'avec une indifférence ennuyée. Cette dernière lui vouait pourtant un amour et une admiration démesurés qui, après l'avoir incitée à haïr une mère jugée responsable des absences et du mépris paternels, l'a plongée dans une quête obsessionnelle pour tenter de comprendre qui était ce père, disparu après avoir abandonné sa famille pour tenter de faire fortune dans le commerce.

C'est par sa mère que Cheng Gong a quant à lui été abandonné. Lassée de subir les coups d'un mari alcoolique et paresseux, elle est définitivement partie un beau matin, sans rien dire à personne. C'est sa grand-mère paternelle et sa tante qui ont pris Cheng Gong en charge, son père étant incapable de s'en occuper. Son enfance a été marquée par les moqueries que sa pauvreté suscitait chez ses camarades, et par les coups de balais que lui donnait son acariâtre aïeule. Il trouvait parfois refuge dans la chambre 317 de l'hôpital dont son grand-père avait été directeur adjoint, et où il gisait dorénavant et depuis des années dans un état végétatif.

Issus de clans déchus et/ou disloqués, où les relations ne semblaient régies que par les contraintes que chacun représentaient pour les autres, tous deux ont ainsi été privés d'affection et de stabilité familiales. Plus tard, poussés par le besoin de se raccrocher à des figues héroïques garantes de leur propre valeur, ils se sont heurtés à la réalité humaine, sordide et décevante. Ils en ont gardé la conviction de leur insignifiance, de la vacuité de toute compassion, et que tout amour est voué à l'échec.

Et le clou, me direz-vous ? Il arrive… si lentement qu'on l'avait oublié, en effet. Et alors, le puzzle qu'assemble patiemment Zhang Yueran en déplaçant des pièces avec une logique qui jusque-là nous avait échappée, commence à prendre forme.

Elle dresse à partir de l'histoire de Li Jiaqi et de Cheng Gong le sombre portrait d'une Chine héritière d'une Histoire dont les contemporains sont dépositaires de secrets partiellement dévoilés qui plombent leurs existences d'incertitudes et d'errements. Ils trainent ainsi comme des boulets les conséquences des rôles, victime ou bourreau -un même individu cumulant parfois les deux-, joués par leurs ascendants au cours d'une Révolution culturelle dont la violence a semé sur du long terme rancune, détresse et désirs de vengeance.

"Le clou" est un roman dense, à la construction tortueuse mais parfaitement maîtrisée, aux personnages complexes et d'une sincérité parfois glaçante, puisqu'ils ne nous épargnent pas le récit de leurs propres abjections.

Bref, c'est très fort, et c'est à lire !

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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