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Critique de Athalie2


Lors de la révolution culturelle, à la fin d'une séance de question, un clou a été planté dans la tête du grand père de Cheng Gong. Pourquoi et par qui, le mystère n'a pas été levé depuis, mais le grand père de Li Jiaqui y est sûrement pour quelque chose. Ce dont ces deux personnages sont ignorants, est que ce clou est à l'origine de leur propre histoire, du moins les conséquences de ce geste aussi obscur qu' absurde.

Les deux personnages ne se sont pas vu depuis 28 ans et dans une correspondance fictive, ils se racontent l'un à l'autre en repartant d'un moment d'enfance partagé, dans le village de Nanyan. Une enfance qui tourne autour de la chambre 317 où le grand père survit à l'état de légume, ou comme une cassette qui n'avance plus ni ne recule, deux enfances fracassées par la violence des pères, ou celle de l'histoire qui n'a jamais été racontée. Ils fréquentaient la même école, et se sont choisis, peut-être aimés, mais ils n'en ont jamais rien su, et lorsque la correspondance commence, la vie de chacun a poursuivi sa route vers le désastre, le naufrage.

Li Jiaqui est la petite fille de l'homme, qui, peut-être, a planté le clou. On l'appelait « Maître », il était un cardiologue éminent, adulé de tous et là, elle le regarde mourir, dans le pavillon blanc de l'académie. Un dernier face à face avec le silence de cet homme, autoritaire, qui n'a jamais admis les décisions de son fils. Cette opposition systématique et radicale a conduit à un mariage bancal, car Li Jiaqui est la fille d'une paysanne que le père a rencontré lors d'un séjour « politique » à la campagne. En ville, elle est déracinée, gauche, dépendante d'un mari qui finit par la mépriser et l'abandonner. Lui est un intellectuel, un poète, rongé par un secret. Il s'est autodétruit dans l'alcool poursuivi par une culpabilité dont il tient le grand père, le Maître, pour responsable. Les tensions sont le point de départ du désordre affectif de la petite fille qu'elle fut, ballottée dans le conflit et l'indifférence. Elle a payé l'amour en sens unique pour son père au prix fort, de cet homme à la dérive, Li Jiaqui n'a jamais obtenu l'attention plus que le temps de lui tirer le bord du manteau pour qu'il la regarde. Elle a poursuivi son fantôme, prenant comme amants des hommes qui pouvaient lui parler de lui, du temps où il était un poète et un professeur respecté, voire adulé.

Cheng Gong, lui, vient d'un milieu beaucoup modeste. le grand père légume travaillait dans le même hôpital que le maître et depuis le clou, la famille vit de la pension attribuée. La grand mère est un tyran, une virago qui poursuit de sa haine les ombres qui tournent autour de la chambre 317, et sa tante se plie à une existence réduite à l'obéissance et à l'immobilisme. Jeune garçon, Cheng Gong se rêvait en Napoléon, il cherchait l'âme du grand père en inventant un talkie walkie de l'âme, creusant les mystères et les secrets pour redonner à sa famille une dignité possible, face au destin qui les avait fait misérables. Son père n'a fait que salir encore leur réputation, ex-garde rouge, violent et alcoolique, il n'est qu'un sombre persécuteur des faibles, habité par une âme mauvaise dont Cheng Gong craint d'avoir hérité, ce que son récit confirme, au fur et à mesure qu'il dévoile ses propres secrets qui ont fait de lui un traître, à son enfance, à ses amis, lui aussi poursuit ses fantômes.

Le mystère initial a laissé sa chape de plomb, les deux personnages ont le coeur sale du passé de la génération qui les précède, ce sont deux monologues, qui racontent des parcours chaotiques, des familles brisées, des silences enfouis. On est donc loin d'une fresque familiale, ici, le temps patine, ressasse, tâtonne, les circonvolutions des deux personnages dessinent l'impasse dans laquelle l'histoire les a laissés. Et on se laisse tomber avec eux dans le labyrinthe, cherchant le bout du tunnel, espérant une sortie possible de cet engluement. Pour ma part, cheminer avec eux vers le bout de la nuit a été assez fascinant, l'atmosphère de la chambre 317 imprègne l'ensemble de clair obscur, d'un grotesque baroque très singulier. Il y a du Bruegel dans cette Chine postrévolutionnaire, et aucune illusion.
Lien : https://aleslire.wordpress.c..
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