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Critique de karineln


« Les autres confirment le monde à coups de talons. A coups de poignées de mains. A coups d'enjambées confiantes. A coups de sourires efficaces. Moi, j'hésite. Je danse d'un pied à l'autre, sans m'arrêter. Je doute, confuse, incapable de donner des explications claires, des réponses rationnelles. Je m'empêche dans mon vocabulaire. Je m'arrête soudain, à la recherche d'un mot, celui-là, celui qui m'échappe. »
Ce journal a le charme du désuet alors même qu'il n'appartient pas à un temps si éloigné. Il retrace le parcours d'une jeune femme, la trentaine au cours des années soixante, lestée par les histoires des aïeux, prisonnière de traumas étouffés par les non-dits et les cruautés adultes, conditionnée par une éducation, les codes sociétaux d'une époque laquelle se heurte à une nouvelle ère d'après-guerre. L'écriture y est douce, sensuelle. Sans que l'auteure s'y attarde, on devine toute la désespoir d'Antonia à travers les lignes, désespoir que l'on survole. Et cette succession de jours qui la poussent à se libérer voit apparaître aussi toute l'horreur de la répétition quand le manque d'affection s'est transmis de génération en génération, et combien dans l'accession d'une autonomie légitime se rejoue le drame du rejet et de l'abandon.
Beaucoup des mots de cette femme ont résonné très fort dans sa différence ressentie renforçant de fait sa solitude au milieu des autres, sa culpabilité, sa quête…Cette parole ainsi livrée à la première personne, dans une écriture quotidienne intime sonne familière et cette voix, quand bien même la vie, les soucis, les repères ne soient plus exactement identiques aux nôtres, reste très contemporaine. « Ecrire ne m'aide plus. Je ressasse, je me complais dans mon malheur. Je m'épanche en espérant mettre de l'ordre à l'intérieur de moi mais je suis vite rattrapée par le sentiment que ma nouvelle organisation est un malentendu. Tout s'embrouille très vite. Je m'insupporte dans mon incapacité à être comme tout le monde. de quoi est fait le quotidien des autres pour être si vivable ? »
Rien n'est excessif, ou excédé, même les larmes sont tranquilles, presque douces. Et pourtant quelle tristesse et quel enfermement ! le sentiment d'ennui, de vide qui taraude notre héroïne et qu'elle transcrit dans ces « journées lignes » et ainsi tenter de s'éveiller à soi, est ainsi bien traduit. « Il paraît qu'un jour on se réveille affamé de ne pas avoir été ce que l'on souhaite. Où ai-je lu cette phrase ? Depuis, au lever, je regarde autrement ce qui m'entoure. le monde prend de l'ampleur, du volume, une odeur. Ce petit miracle s'évanouit très vite pour être remplacé par une implacable journée-ligne. »
Le poids des généalogies, des passés des autres, des dénis encore, toujours et immanquablement agir ce qui blesse, transfuser la même peine… La subtilité de cet ouvrage réside sans doute dans la facilité apparente de ces pages confidentes, qui jamais ne se débattent dans des introspections trop poussives, complexes, tourmentées mais au contraire brossent en quelques mots l'essentiel de sa détresse. En quelques pages, quelques lignes, une trajectoire est contée dans une certaine économie de mots, voire de fiction, et le journal intime épouse parfaitement ce pointillé, facilite la rencontre avec Antonia dans la confidence soufflée, sporadique, suffisante à nous faire ressentir la mélancolie, les espoirs et les déceptions de la jeune femme, laquelle tente de gagner sa liberté en ajoutant pourtant un maillon aux chaînes qui la retiennent, consciemment ou non. La fin est en cela bien triste à accueillir.
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