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Critique de HundredDreams


J'ai toujours eu envie de lire « La bête humaine » d'Emile Zola, mais je ne sais pas vraiment l'expliquer, peur d'être déçue, peur de trop de longueur ou de lenteur, j'ai toujours repoussé cette lecture à plus tard. Je l'ai enfin lu et je dois dire que sur la petite dizaine de romans d'Emile Zola que j'ai pu lire, c'est mon préféré.

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Avec pour toile de fond la révolution industrielle et le monde des cheminots, « La bête humaine », paru en 1890, est dix-septième roman de la série des Rougon-Macquart. C'est un récit plein de rage, de brutalité, de peur, de passion et de désir. L'auteur y explore l'esprit criminel, les pulsions les plus sombres de l'individu et ses actes les plus condamnables.

« Dès qu'elle semblait se dissiper un peu, elle revenait aussitôt, comme l'ivresse, par grandes ondes redoublées, qui l'emportaient dans leur vertige. Il ne se possédait plus, battait le vide, jeté à toutes les sautes du vent de violence dont il était flagellé, retombant à l'unique besoin d'apaiser la bête hurlante au fond de lui. C'était un besoin physique, immédiat, comme une faim de vengeance, qui lui tordait le corps et qui ne lui laisserait plus aucun repos, tant qu'il ne l'aurait pas satisfaite. »

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Jacques Lantier est le personnage central dans cette oeuvre d'Emile Zola.
Fils d'une mère alcoolique, Gervaise rencontrée dans « L'Assommoir », Jacques a grandi dans la pauvreté et la misère. Aujourd'hui conducteur de train, il est atteint d'une compulsion incontrôlable qui le pousse à vouloir posséder les femmes jusque dans la mort.
Le lecteur suit toutes ses pensées car l'auteur ne dissimule rien de ses tendances psychopathiques, de ses pulsions destructrices, de sa recherche d'un plaisir malsain et brutal. Torturé par cette obsession pour le meurtre et le sang, il apparaît comme un anti-héros, à la fois terrifiant et étrangement attirant.

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La bête humaine, c'est avant tout, ces hommes et ses femmes qui, par jalousie, vengeance, cupidité, vanité, obsession, fantasme, nuisent ou tuent. L'auteur met en avant leurs défauts et les dépeint comme des bêtes sauvages tourmentées sans relâche par leurs instincts.
Si Jacques Lantier apparaît comme le plus malfaisant et le plus dangereux de tous, j'ai tout de même ressenti une violence dissimulée dans chaque personnage, comme si tous avaient une bête en eux.
Aucun personnage n'est bon, tout est une question de circonstances. Même les femmes, malgré leur constitution plus fragile et douce, n'échappent pas à leur nature violente. Egoïstes, manipulatrices, ou jalouses, elles peuvent aussi se révéler monstrueuses et criminelles.

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La bête humaine, c'est aussi la locomotive de Jacques Lantier, au nom de femme, "La Lison".
Zola assimile sa férocité à celle des personnages de l'histoire. Personnage haut en couleur, elle trace son chemin, occupant la ligne temporelle, rythmant l'intrigue.

« Il y avait l'âme, le mystère de la fabrication, ce quelque chose que le hasard du martelage ajoute au métal, que le tour de main de l'ouvrier monteur donne aux pièces : la personnalité de la machine, la vie. »

Cette masse géante de ferraille est dépeinte comme une amante docile, soumise aux désirs de son conducteur. Jacques la domine, la dompte. Mais la machine reliée à son maître est aussi une bête vivante, capable, par sa puissance, de broyer, mutiler, détruire.
Les descriptions d'Emile Zola sont époustouflantes. J'ai adoré la manière dont l'auteur personnifie la locomotive, lui donnant des émotions et des traits de caractère. Elle apparaît à la fois comme une machine de métal et de chair, de rouille et de sang.

« Il l'aimait donc en mâle reconnaissant, la Lison, qui partait et s'arrêtait vite, ainsi qu'une cavale vigoureuse et docile … Et il n'avait qu'un reproche à lui adresser, un trop grand besoin de graissage : les cylindres surtout dévoraient des quantités de graisse déraisonnables, une faim continue, une vraie débauche. Vainement, il avait tâché de la modérer. Mais elle s'essoufflait aussitôt, il fallait ça à son tempérament. Il s'était résigné à lui tolérer cette passion gloutonne, de même qu'on ferme les yeux sur un vice, chez les personnes qui sont, d'autre part, pétries de qualités et il se contentait de dire, avec son chauffeur, en manière de plaisanterie, qu'elle avait, à l'exemple des belles femmes, le besoin d'être graissée trop souvent. »

La dernière partie la mettant en scène est tellement effroyable, époustouflante et choquante qu'elle restera sans aucun doute, gravée dans ma mémoire, comme une des plus belles pages de la littérature classique. En voici un extrait :

« Qu'importaient les victimes que la machine écrasait en chemin ! N'allait-elle pas quand même à l'avenir, insoucieuse du sang répandu ? Sans conducteur, au milieu des ténèbres, en bête aveugle et sourde qu'on aurait lâchée parmi la mort, elle roulait, elle roulait, chargée de cette chair à canon, de ces soldats, déjà hébétés de fatigue, et ivres, qui chantaient. »

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Emile Zola prend son temps pour construire la psychologie de ses personnages et son intrigue.
L'auteur développe toute une série de petites histoires individuelles, les enchaînant à la ligne de chemins de fer Rouen-Paris et à la saisissante locomotive « La Lison ».
Il les englobe de manière plus générale à la politique de l'époque et au système judiciaire français.

Je suis impressionnée par l'écriture d'Emile Zola très visuelle, voire graphique. Il écrit comme un maître impressionniste, par petites touches, peignant la fragilité des êtres humains, leur côté sombre, leurs passions, leurs pulsions, leurs vices. Il jongle entre une beauté mélodieuse et une puissance évocatrice.

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Magistrale étude de la nature humaine dans toute sa noirceur, « La Bête Humaine » est une oeuvre étrange, macabre et inquiétante qui m'a surprise par son côté obsédant, violent, féroce. C'est un magnifique thriller plein de meurtres et de rebondissements, une étude de caractère très sombre de la bête qui sommeille en chaque homme, et un portrait réaliste d'une société en crise.
En ce qui me concerne, c'est jusqu'à présent, le meilleur roman du cycle des Rougon-Macquart d'Emile Zola.
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