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Critique de Kirzy


Le thème n'est pas neuf : un père recherche son fils disparu et mène une enquête parallèle à celle de la police pour le retrouver. Sauf que le père sait qu'il a vu son fils la veille de la disparition, que la rencontre était tendue. Et que ce père, enquêteur improvisé, est alcoolique, ses souvenirs de cette soirée-là ont disparu dans des vapeurs d'alcool.

Si le coeur de l'intrigue est théoriquement celui d'un polar, Jakub Zulczyk fait un gros pas de côté pour décaler son récit dans une autre direction, évitant les schémas caractéristiques des polars pour mieux les faire exploser.

Feedback, c'est avant tout un roman sur l'alcoolisme, sur comment l'alcool déshumanise, rend infiniment seul et détruit tous les proches. J'ai rarement lu des passages aussi saisissants sur le sujet, entre monologues glauco-délirants d'ivrogne et aveux lors des séances de thérapie collective proposées dans le cadre de cure de désintoxication. On patauge dans la boue, la crasse et tout le reste, très loin du glam' auquel la culture pop' associe parfois la consommation d'alcool.

Marcin, le père, musicien quinquagénaire has been vivant sur les droits d'auteur d'un tube, est un personnage aux multiples visages avec de nombreux démons à affronter; il fait parfois rire, il fait peur, on le plaint puis on le déteste. C'est un personnage pathétique, violent et répugnant et c'est d'autant plus malin de la part de l'auteur d'en faire le narrateur avec l'ivresse comme narration. C'est lui qui nous guide vers la vérité : impossible de faire confiance à un un tel homme, ce qui rend l'avancée de l'enquête toujours incertaine, ambigüe jusqu'à sa terrible vérité qui explose à la face du lecteur.

Le style est vif, heurté, puissant, aussi douloureux qu'une grosse cuite. J'ai souvent eu l'impression que le texte attaquer, aller mordre et laisser des traces dans la chair. Les cent premières pages sont épuisantes, à se dire pourquoi s'infliger cela. Je me suis forcée et puis à un moment, j'ai eu l'impression que le texte devenait moins chaotique ; en fait j'ai plutôt commencer à entrevoir la construction narrative en mode panorama et comprendre où voulait en venir l'auteur, à l'opposé de ce qu'on attendait initialement.

On se rend compte, qu'au-delà du portrait d'un homme brisé par l'alcool qui a détruit sa famille, se lit en filigrane le portrait peu reluisant de la Pologne post-communiste avec en son coeur, le scandale de la reprivatisation qui a secoué le pays et plus particulièrement Varsovie. Comme une persistante gueule de bois qui remonte à la surface après la chute du communisme en 1989, le retour à la propriété privée d'immeubles nationalisés en 1945 s'est accompagné de corruption massive, de spéculation, de spoliations et expulsions brutales.

Le titre prend alors tout son sens pour accompagner le parcours douloureux vers la vérité de Marcin comme celui du pays. Un feedback, c'est un retour sur le témoignage d'un membre d'une thérapie de groupe par un autre membre qui l'a écouté et pose un nouveau regard sur lui, son regard, positif ou négatif. Ici le roman s'apparente à un feedback géant et cruel qui percute et finit par bouleverser lorsque le père découvre celui du fils.


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