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Critique de 4bis


4bis
03 décembre 2022
Il ne fait pas bon être un idéal féminin sous la plume de Zweig…
R, le célèbre romancier, dandy aux moeurs luxueuses et libertines dans le Vienne du début 20e siècle, a la surprise de découvrir, dans une interminable lettre arrivée en son absence, qu'une jeune femme réclame lui vouer un amour inconditionnel et ce depuis des décennies. La confession que contient la missive dévoile toute la fascination que cet homme aura suscité à son insu. Ironie tragique s'il en est, il aura eu l'arrogance égoïste de recevoir cette femme dans son lit à plusieurs reprises sans pour autant en garder aucun souvenir.
On peut s'attacher à la peinture des sentiments de notre héroïne malheureuse. Trouver magnifique d'abnégation son amour sans écho et admirer en elle l'essence pure du sentiment absolu. On peut aussi frissonner du contraste avec le tempérament de l'écrivain, sa légèreté coupable avec les femmes que sauvent son talent et son amour des randonnées solitaires en montagne (sic !). On peut résumer ainsi la dualité entre deux génies : celui de l'homme qui s'abstrait dans une cérébralité ou une activité physique dénuée de toute attache et celui de la femme qui n'existe que pour s'aliéner à ses sentiments.
On peut aussi ricaner un peu bêtement devant l'invraisemblance du tableau et trouver que ce n'est pas dans la mesure que s'est ici illustré Zweig. Tout de même, une vie entière consacré à un homme qui ne l'a même jamais reconnue, quelle nouille ! Ce serait tragique si ce n'était pas ridicule. Quelle valeur accorde donc cette femme à elle-même ? Quel regard le monde lui a-t-il renvoyé pour qu'elle s'annihile ainsi à un seul être pour qui elle n'existe même pas ?
Quel est le sombre crétin capable d'inventer des histoires pareilles ? Car, au 21e siècle, on peut, de manière sans doute grossière et anachronique, j'en conviens, pester comme je l'ai fait, contre ces bonshommes imbus de leur masculinité et de la grandeur de leur art au point qu'ils fantasment des personnages féminins entièrement à leur botte mais complètement invisibles. C'est donc ça leur plus gros kiff ? Préférer à tout l'amour des sommets littéraires ou alpins au point de ne même pas voir le reste ? Avoir une nana par ailleurs désirée par d'autres qui s'immole complètement à vous mais qu'on ne voit même pas ? Et qui a la suprême élégance de ne vous le révéler que par-delà la tombe ?
Souvent, quand je lis des féministes qui affirment qu'elles ne lisent plus que des auteurs femmes, je lève un sourcil sceptique : ramener la production littéraire à de seules distinctions de genre me paraît impropre. Toutefois, après la lecture de cette Lettre d'une inconnue, je suis heureuse de savoir qu'il existe des plumes féminines (ou masculines et moins aveuglément sexistes) et que cette vision réductrice de la relation amoureuse n'est qu'un avatar parmi des milliers d'autres lignes.
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