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Critique de Aquilon62


Rédiger une critique sur ce livre le jour où Elon Musk vient de racheter Twitter est une pure coïncidence. Rachat pour lequel il se justifie en disant vouloir transformer le réseau social en "une arène inclusive pour la liberté d'expression", jugeant la plate-forme trop interventionniste....
Avec pour premier effet : le boum des recherches "delete Twitter" de 910% aux États-Unis et de 698 %dans le reste du monde.... Et ensuite avec les questions qui se posent légitimement : a-t-il un projet politique derrière la tête ?

Mais revenons-en à cet ouvrage avec en préambule un peu de sémantique :
Définition actuelle de l'académie française du mot ingénieur : Personne que sa formation scientifique et technique, reconnue par un diplôme, rend apte à diriger des travaux de construction ou d'exploitation, à participer à des recherches, des études ;
Définition actuelle de l'académie française du mot ingénieur du mot chaos : Confusion, désordre ;
Définition actuelle de L'Oxford English Dictionary du mot spin-doctor : une personne dont le travail consiste à présenter au public des informations sur un homme politique, une organisation, etc. de la manière qui semble la plus positive.

Car c'est bien de cela que traite l'auteur en se basant bien sûr sur l'expérience italienne qu'il connaît fort bien, l'élection de Donald Trump aux États-Unis, la victoire de Viktor Orban en Hongrie.
Et son constat est absolument glaçant et vertigineux. Selon lui ces ingénieurs du chaos ont donc compris avant les autres que la rage était une source d'énergie colossale, et qu'il était possible de l'exploiter pour réaliser n'importe quel objectif, du moment qu'on en comprenait les codes et qu'on en maîtrisait la technologie.

A titre d'exemple : les algorithmes d'Apple, de Facebook, et de Google lui-même font en sorte que chacun d'entre nous reçoive les informations qui l'intéressent. Et si, comme le dit Zuckerberg, nous sommes davantage intéressés par un écureuil agrippé à l'arbre devant chez nous que par la faim en Afrique, l'algorithme fera en sorte de nous bombarder de nouvelles sur les rongeurs du quartier, éliminant ainsi toute référence à ce qui se passe de l'autre côté de la Méditerranée. C'est aussi simple et cynique que cela.

Les comportements humains qui étaient jusqu'ici restés une fin en soi ont commencé à produire un flux massif de données. Grâce à Internet et aux réseaux sociaux, nos habitudes, nos préférences, nos opinions et même nos émotions sont devenues mesurables. Aujourd'hui, chacun d'entre nous se déplace volontairement avec sa propre "cage de poche", un instrument qui nous rend traçables et mobilisables à tout moment.

L'auteur de citer l'exemple édifiant du "rendu de monnaie", que je laisse le soin aux plus curieux de découvrir car cela vaut son pesant de pièces à défaut d'or ou de cacahuètes, qui illustre bien la dynamique paranoïaque qui est à la base des mille conspirations qui fleurissent sur la toile. "Les réseaux sociaux ne sont pas, par nature, portés à la conspiration. Sean Parker et Mark Zuckerberg ne sont pas particulièrement intéressés par la question du rendu de la monnaie. Mais, les complots fonctionnent sur les réseaux sociaux parce qu'ils provoquent des émotions fortes, des polémiques, de l'indignation, de la rage. Et ces émotions génèrent des clics et maintiennent les utilisateurs collés à leur écran."

Édifiant : une fausse information a, en moyenne, 70 % de probabilité en plus d'être partagée sur Internet, car elle est en général plus originale qu'une vraie ;
Effrayant : la vérité prend six fois plus de temps qu'une fake news pour toucher 1500 personnes ;
Effarant : "Les nouveaux employés qui entrent chez Facebook apprennent tout de suite que le paramètre crucial pour l'entreprise s'appelle L6/7 (un indice qui mesure le pourcentage d'utilisateurs tellement intoxiqués par la plateforme qu'ils l'utilisent six jours sur sept). Pour augmenter ce nombre, les vraies informations et les effusions entre anciens camarades de classe ne suffisent pas. « La simple contemplation de la réalité n'occupe pas assez de temps. Pour maintenir ses utilisateurs connectés, une entreprise de réseau social doit plutôt faire en sorte qu'ils s'énervent, qu'ils se sentent en danger ou qu'ils soient effrayés. La situation la plus efficace est celle dans laquelle les utilisateurs entrent dans d'étranges spirales de très fort consensus ou au contraire de conflit avec d'autres utilisateurs. Cela n'en finit jamais, et c'est bien le but. Les entreprises ne planifient ni n'organisent aucun de ces modèles d'utilisation."

Pour l'auteur "sur Internet, le noyau des durs et purs - sites, blogs et pages Facebook des extrémistes - constitue la source première des cascades qui nourrissent le bassin électoral de Trump, d'Orban et de Salvini. Il peut bien entendu arriver, de temps en temps, qu'une petite main confectionne de toutes pièces une fake news, comme il peut arriver que des faux profils et des bots automatiques contribuent au flux de la cascade. À vrai dire, cela arrive très souvent. Mais le point essentiel reste que les extrémistes sont devenus, à tous les égards, le centre du système. Ce sont eux qui donnent le ton de la discussion. Si, par le passé, le jeu politique consistait à mettre au point un message qui unissait, aujourd'hui il s'agit de désunir de la manière la plus éclatante possible. Pour conquérir une majorité, il ne faut plus converger vers le centre mais additionner les extrêmes."

Tout ressemblance avec des personnes et surtout des situations ayant existé ou existantes ne saurait être que fortuite....

Et la vision qu'il donne pousse bien entendu à réfléchir pour l'avenir car selon lui " libérer les animal spirits, les pulsions les plus secrètes et violentes du public, est relativement facile, tandis que suivre le chemin inverse est bien plus difficile. Trump, Salvini, Bolsonaro et les autres sont destinés, tôt ou tard, à décevoir les attentes qu'ils ont générées et à perdre le consensus de leurs électeurs. Mais le style politique qu'ils ont introduit, fait de menaces, d'insultes, d'allusions racistes, de mensonges délibérés et de complots, après être resté pendant des décennies à la marge du système en occupe désormais le centre. Les nouvelles générations qui observent aujourd'hui la politique sont en train de recevoir une éducation civique faite de comportements et de mots d'ordre illibéraux qui conditionneront leurs attitudes futures. Une fois les tabous brisés, il n'est pas possible de les recoller : quand les leaders actuels passeront de mode, il est peu probable que les électeurs, accoutumés aux drogues fortes du national-populisme, réclament à nouveau la camomille des partis traditionnels. Ils demanderont quelque chose de nouveau et de peut-être encore plus fort."

Et que dire quand selon lui " les progressistes sont passés de "prenez vos rêves pour la réalité" à "prenez la réalité pour votre rêve". Au cours de son mandat, par son admission même, Barack Obama a fait la transition de "yes we can" , le slogan de ses débuts, à "don't do stupid stuff",  ne fais pas de conneries, sa règle de conduite à la Maison Blanche. Les forces modérées, progressistes et libérales, continueront de reculer tant qu'elle ne parviendront pas à proposer une vision motivante du futur, capable d'apporter une réponse convaincante à une crainte désormais répandue de perdre à la fois son patrimoine matériel, ou son niveau de vie, et son patrimoine immatériel, ou son style de vie."

Ces ingénieurs du chaos ont au moins donné raison sans le savoir à Mark Twain qui disait "un mensonge peut faire le tour de la terre le temps que la vérité mette ses chaussures"
En tout cas c'est un ouvrage à lire absolument en ces temps tourmentés...
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