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Critique de Nastasia-B


Le Monde des Ā est un roman de science-fiction, dans l'acception la plus originelle du terme, c'est-à-dire une fiction ayant pour point central une réflexion d'ordre scientifique.

D'après moi, l'entrée dans la narration proprement dite, c'est-à-dire les différentes actions et péripéties vécues par le héros, Gilbert Gosseyn, s'effectue de façon assez aisée ; en revanche, l'accès au sens profond du livre n'est peut-être pas aussi aisé pour le lecteur.

Tout d'abord, que signifie ce A ? A comme Aristotélicien, or, l'aristotélisme n'est pas forcément la notion la mieux partagée, ni la plus maîtrisée par la moyenne de la population, je suppose, d'où ma petite digression, pour laquelle vous voudrez bien me pardonner si elle s'avère inutile. Ici, je pense que l'aristotélisme est à prendre au sens négatif du terme, à savoir une vision archaïque de la connaissance, par opposition, par exemple, à Galilée qui s'opposa aux visions et représentations antiques (donc aristotéliciennes) de l'univers.

Donc Ā (prononcé " non-A ") renvoie alors à la notion opposée à cette acception de l'aristotélisme et qu'on pourrait grossièrement définir comme étant une vision éclairée, moderne, relativiste de l'univers et de ses points d'interface avec le vivant. Être Ā est donc ici une variable et une qualité positive.

Cette précision étant donnée, j'entre plus précisément dans le vif du sujet et qui sera une lutte : la pensée A contre la pensée Ā. Pour A. E. Van Vogt, les A ont une pensée émotionnelle tandis que les Ā en ont une rationnelle (pour faire simple, c'est un peu plus compliqué que cela en vrai). Pour faire simple encore, le siège de ces pensées émotionnelles correspondraient aux parties les plus profondes de notre encéphale, ce que vulgairement on nomme " cerveau reptilien ", alors que la pensée rationnelle serait quant à elle plutôt sise dans les parties corticales du cerveau, soit, la plus récente, évolutivement parlant.

Concrètement dans le livre, le monde des A c'est celui qui règne sur la Terre tandis que sur Vénus est une sorte de paradis Ā. Mais ce n'est pas encore aussi simple que cela. Sur la Terre, une sorte de méga ordinateur géant se charge de présider aux décisions et d'oeuvrer pour le bien commun. Mais est-ce véritablement le bien commun ? La Machine est-elle fiable ? Est-elle désintéressée ? Mystère.

Quoi qu'il en soit, des représentants d'une espèce d'empire galactique extérieur, A par nature, avide, dominateur, sanguinaire essaie de prendre les commandes sur la Terre et, pour ce faire, a besoin de détruire la Machine.

Et c'est là que notre héros, Gilbert Gosseyn entre en scène. Tout porte à croire qu'il a été envoyé par la Machine pour protéger la Terre des menées galactiques. Mais selon quelles modalités doit-il agir ? Qui est-il
vraiment ? Quelles sont ses aptitudes particulières pour avoir été ainsi désigné ? Tout ceci et encore bien d'autres choses, il n'en sait fichtre rien. C'est à lui de le découvrir… s'il ne se fait pas trucider avant.

Le roman est, selon moi, très efficace dans le déroulement de l'intrigue jusqu'aux deux tiers environ. Par la suite, cela devient peut-être un peu plus nébuleux. Les renversements sont tellement renversants qu'ils en deviennent un peu perturbants et l'on finit parfois par se dire : « Mais qu'essaie de me faire passer ou de me dire l'auteur, finalement ? »

Ce que j'en retiens, personnellement, c'est la grande méfiance que nous devons toujours garder vis-à-vis de nos propres perceptions et interprétations du " réel ". Qu'est-ce que le réel d'ailleurs ? N'est-ce que ce qui est limité par notre propre appareil perceptif et cognitif ? Peut-on traverser une pierre ou un corps humain sans l'abimer ? Jusqu'il y a peu encore, on aurait répondu non, or, on sait depuis un gros siècle que les rayons X traversent aisément certains corps. Vous allez me répondre : « Oui mais ils l'abîment ! » Certes, c'est un peu vrai, il y a interaction de la radiation avec le vivant, mais si je vais encore plus loin et qu'au lieu de prendre une radiation X je me replie sur un neutrino, là, tout redevient possible. Etc., etc.

Bref, le réel est relatif et comme l'écrit l'auteur dans la postface, une chaise n'est pas une chaise, dès lors qu'on s'intéresse à la structure atomique de la matière qui la constitue. (Une chaise en fer est bien plus différente d'une chaise en bois que d'un couteau fait de ce même élément, etc., etc.)

Deuxième point sur lequel l'auteur souhaite attirer notre attention : l'impasse que constitue un monde et une société basés sur la compétition. Il oppose en cela monde terrien et monde vénusien, ce dernier étant, de ce que j'en ai à peu près compris un monde répondant aux critères de l'anarchisme, c'est-à-dire, l'ordre moins le pouvoir. Toutefois, j'ai trouvé cette évocation plus nébuleuse, peut-être parce qu'il redoutait une forme de censure s'il allait au fond de sa pensée (n'oublions pas que le livre a été écrit en 1945 et qu'on ne rigolait pas à l'époque avec l'anarchisme qui avait été sévèrement réprimé en Espagne en 1936 et aux États-Unis au début du XXème, comme l'illustre l'affaire tristement célèbre de Sacco & Vanzetti dans les années 1920).

En somme, un livre intéressant de mon point de vue, qui pose des questions, sans forcément chercher à y apporter des réponses toutes faites, qui soulève des interrogations, tout au moins, et qui nous oblige à aller creuser, chercher par nous-même des tentatives de réponses, et qui nous oblige à examiner un petit peu quelle est l'image qu'on se forge de la réalité et de la manière dont nous souhaitons l'appréhender. Mais bien entendu, ceci n'est qu'un avis très relatif, dont je ne saurais dire s'il se situe chez les A ou les Ā, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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