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Critique de de


Elles et ils ne dorment pas pour rêver, mais rêvent de changer le monde

La langue, ou comme l'écrit Sylvain Prudhomme en introduction, et la décision de Ngugi wa Thiong'o « abandonner l'anglais pour ne plus écrire que dans langue de son peuple ».

« On continue, un peu partout dans le monde, d'empêcher de nombreuses communautés de s'exprimer dans leur langue. On continue de les railler et de les humilier, d'apprendre à leurs enfants à avoir honte et à faire comme si le respect et la dignité ne pouvaient se gagner qu'en rejetant leur langue maternelle et en apprenant la langue dominante, celle du pouvoir. »
Compte tenu des remarques sur les langues écrites « l'impérialisme a introduit l'écriture chez de nombreux peuples ; il a doté les langues africaines de systèmes de notation », il semblerait que le périmètre de cette Afrique, traitée par l'auteur, ne recouvre pas la géographie dominante et ne concerne ni l'Égypte ni le Maghreb au nord.

Ngugi wa Thiong'o s'interroge sur les enjeux politiques de la littérature africaine et sur la langue dans laquelle elle est écrite « Le choix d'une langue, l'usage que les hommes décident d'en faire, la place qu'ils lui accordent, tout cela est déterminant et conditionne le regard qu'ils portent sur eux-mêmes et sur leur environnement naturel et social, voire sur l'univers entier ». Et utiliser les langues comme l'anglais, le français ou le portugais en Afrique implique une domination sur les langues et sur les cultures par celles de l'Europe.
Si comme le rappelle l'auteur « le découpage (de l'Afrique) de 1885 fut imposé par l'épée et fusil », « le principal moyen par lequel ce pouvoir nous fascina fut la langue. Il nous soumit physiquement par le fusil ; mais ce fut par la langue qu'il subjugua nos esprits ». L'auteur décrit son expérience, l'apprentissage et l'usage de la langue anglaise. D'un coté l'éducation littéraire par une domination linguistique, de l'autre la disparition de la littérature orale en langues kenyanes. Si les analyses de l'auteur me semblent pertinentes, elles souffrent néanmoins d'un certain réductionnisme économique, d'une référence à une ancienne « harmonie » entre l'enfant et sa langue, tout à fait discutable.
L'auteur développe une conception a-historique des nations, une invention somme toute récente et une survalorisation de la paysannerie « ces langues, cet héritage des nations d'Afrique, la paysannerie les maintient en vie ».
Cependant, il a raison d'insister sur le fait que « ces langues étaient parlées dans la vie de tous les jours, les cérémonies, les meetings politiques, et par dessus tout à travers le riche patrimoine de la littérature orale, proverbes, contes, poèmes et devinettes »
Le second chapitre traite du théâtre. Je ne ferais que deux citations :
« De telle sorte que le théâtre, qui était au coeur de notre programme culturel, fournissait à la fois le matériau nécessaire aux activités d'alphabétisation pour adultes et le prétexte indispensable aux ateliers d'apprentissage des différentes techniques de confection et d'artisanat. »
« Mais notre décision d'écrire en kikuyu ne renouvela pas seulement le rapport avec le public ; elle conduisit à modifier d'autres aspects du spectacle, le contenu de la pièce par exemple, le type d'acteurs choisis pour la représenter, l'ambiance des répétitions et des filages, l'accueil des représentations. C'est la signification entière du projet qui s'en trouva modifiée. »
Le troisième chapitre traite du roman. J'ai particulièrement été intéressé par ses réflexions sur l'écriture en kikuyu « les mots échappaient, glissaient sous mes yeux. Ils ne tenaient pas en place, ne restaient pas tranquilles ».
Dans le dernier chapitre « En quête de pertinence », Ngugi wa Thiong'o développe, entre autres, sur la poésie et l'aspiration à l'émancipation. La maîtrise de sa langue, fait partie des droits humains fondamentaux et reste un des éléments à la décolonisation des esprits.
Je termine, comme l'auteur, par une citation de Brecht dans son ''Discours aux ouvriers comédiens danois sur l'art de l'observation'' :
« Partout, aujourd'hui, des villes de cent
étages bâties sur l'eau,
Desservies par des paquebots grouillants de
monde,
Jusqu'aux villages les plus isolés,
Le bruit s'est répandu que le destin de
l'homme
Est de ne pouvoir compter que sur lui-même,
Aussi montrez maintenant, acteurs
De notre temps – un temps de maîtrise
jamais vue
De la nature sous toutes ses formes, y
compris humaine -
Montrez le monde humain
Tel qu'il est vraiment : construit par des
hommes
Et ouvert aux transformations. »

La langue, dans la plupart des régions du monde universalise les hommes et nie les femmes, langue du pouvoir patriarcal, des dominants chez les dominé-e-s. Je ne sais ce qu'il en est dans le périmètre décrit par l'auteur, une fois de plus un grand silence...
Et nous qui utilisons le français, nous ne devons pas oublier que cette langue fut d'abord imposée, ici, contre les langues régionales, puis dans une partie du monde. Si nous laissons de coté l 'utilisation du français par la noblesse européenne puis par la diplomatie institutionnelle, nous ne devons pas oublier son imposition par la force du canon et du missel dans les colonies, les protectorats, etc.
Le français est une langue parmi d'autres et non le support d'un hypothétique génie national imaginaire mais néanmoins aux effets très chauvins persistants.

La domination d'une/de langue(s) montre les asymétries construites dans le monde, mais rien sur les qualités propres de chaque langage.
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