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Sylvain Prudhomme (Traducteur)
EAN : 9782358720199
168 pages
La Fabrique éditions (10/03/2011)
4.63/5   19 notes
Résumé :

Paru en 1986, Décoloniser l esprit marque un tournant dans l uvre de Ngugi wa Thiong o. Après de nombreux essais et romans en anglais, il fait ce choix difficile, mal compris parfois : abandonner l anglais pour ne plus écrire que dans la langue de son peuple, le kikuyu. Ngugi wa Thiong o dénonce l aliénation qui l'a conduit, comme beaucoup d'autres auteurs africains francophones et anglophones, à bâtir pendant des dé... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Elles et ils ne dorment pas pour rêver, mais rêvent de changer le monde

La langue, ou comme l'écrit Sylvain Prudhomme en introduction, et la décision de Ngugi wa Thiong'o « abandonner l'anglais pour ne plus écrire que dans langue de son peuple ».

« On continue, un peu partout dans le monde, d'empêcher de nombreuses communautés de s'exprimer dans leur langue. On continue de les railler et de les humilier, d'apprendre à leurs enfants à avoir honte et à faire comme si le respect et la dignité ne pouvaient se gagner qu'en rejetant leur langue maternelle et en apprenant la langue dominante, celle du pouvoir. »
Compte tenu des remarques sur les langues écrites « l'impérialisme a introduit l'écriture chez de nombreux peuples ; il a doté les langues africaines de systèmes de notation », il semblerait que le périmètre de cette Afrique, traitée par l'auteur, ne recouvre pas la géographie dominante et ne concerne ni l'Égypte ni le Maghreb au nord.

Ngugi wa Thiong'o s'interroge sur les enjeux politiques de la littérature africaine et sur la langue dans laquelle elle est écrite « Le choix d'une langue, l'usage que les hommes décident d'en faire, la place qu'ils lui accordent, tout cela est déterminant et conditionne le regard qu'ils portent sur eux-mêmes et sur leur environnement naturel et social, voire sur l'univers entier ». Et utiliser les langues comme l'anglais, le français ou le portugais en Afrique implique une domination sur les langues et sur les cultures par celles de l'Europe.
Si comme le rappelle l'auteur « le découpage (de l'Afrique) de 1885 fut imposé par l'épée et fusil », « le principal moyen par lequel ce pouvoir nous fascina fut la langue. Il nous soumit physiquement par le fusil ; mais ce fut par la langue qu'il subjugua nos esprits ». L'auteur décrit son expérience, l'apprentissage et l'usage de la langue anglaise. D'un coté l'éducation littéraire par une domination linguistique, de l'autre la disparition de la littérature orale en langues kenyanes. Si les analyses de l'auteur me semblent pertinentes, elles souffrent néanmoins d'un certain réductionnisme économique, d'une référence à une ancienne « harmonie » entre l'enfant et sa langue, tout à fait discutable.
L'auteur développe une conception a-historique des nations, une invention somme toute récente et une survalorisation de la paysannerie « ces langues, cet héritage des nations d'Afrique, la paysannerie les maintient en vie ».
Cependant, il a raison d'insister sur le fait que « ces langues étaient parlées dans la vie de tous les jours, les cérémonies, les meetings politiques, et par dessus tout à travers le riche patrimoine de la littérature orale, proverbes, contes, poèmes et devinettes »
Le second chapitre traite du théâtre. Je ne ferais que deux citations :
« De telle sorte que le théâtre, qui était au coeur de notre programme culturel, fournissait à la fois le matériau nécessaire aux activités d'alphabétisation pour adultes et le prétexte indispensable aux ateliers d'apprentissage des différentes techniques de confection et d'artisanat. »
« Mais notre décision d'écrire en kikuyu ne renouvela pas seulement le rapport avec le public ; elle conduisit à modifier d'autres aspects du spectacle, le contenu de la pièce par exemple, le type d'acteurs choisis pour la représenter, l'ambiance des répétitions et des filages, l'accueil des représentations. C'est la signification entière du projet qui s'en trouva modifiée. »
Le troisième chapitre traite du roman. J'ai particulièrement été intéressé par ses réflexions sur l'écriture en kikuyu « les mots échappaient, glissaient sous mes yeux. Ils ne tenaient pas en place, ne restaient pas tranquilles ».
Dans le dernier chapitre « En quête de pertinence », Ngugi wa Thiong'o développe, entre autres, sur la poésie et l'aspiration à l'émancipation. La maîtrise de sa langue, fait partie des droits humains fondamentaux et reste un des éléments à la décolonisation des esprits.
Je termine, comme l'auteur, par une citation de Brecht dans son ''Discours aux ouvriers comédiens danois sur l'art de l'observation'' :
« Partout, aujourd'hui, des villes de cent
étages bâties sur l'eau,
Desservies par des paquebots grouillants de
monde,
Jusqu'aux villages les plus isolés,
Le bruit s'est répandu que le destin de
l'homme
Est de ne pouvoir compter que sur lui-même,
Aussi montrez maintenant, acteurs
De notre temps – un temps de maîtrise
jamais vue
De la nature sous toutes ses formes, y
compris humaine -
Montrez le monde humain
Tel qu'il est vraiment : construit par des
hommes
Et ouvert aux transformations. »

La langue, dans la plupart des régions du monde universalise les hommes et nie les femmes, langue du pouvoir patriarcal, des dominants chez les dominé-e-s. Je ne sais ce qu'il en est dans le périmètre décrit par l'auteur, une fois de plus un grand silence...
Et nous qui utilisons le français, nous ne devons pas oublier que cette langue fut d'abord imposée, ici, contre les langues régionales, puis dans une partie du monde. Si nous laissons de coté l 'utilisation du français par la noblesse européenne puis par la diplomatie institutionnelle, nous ne devons pas oublier son imposition par la force du canon et du missel dans les colonies, les protectorats, etc.
Le français est une langue parmi d'autres et non le support d'un hypothétique génie national imaginaire mais néanmoins aux effets très chauvins persistants.

La domination d'une/de langue(s) montre les asymétries construites dans le monde, mais rien sur les qualités propres de chaque langage.
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Décoloniser l'esprit est un court essai tout à fait fascinant, qui fait office pour l'auteur kényan et anglophone Ngugi wa Thiong'o de manifeste pour un retour des écrivains africains à une écriture dans leur propre langue, plutôt que dans celle des anciens pays colonisateur. Décoloniser l'esprit fut donc le dernier livre écrit en anglais par son auteur, qui écrivit ensuite exclusivement en kikuyu, sa langue maternelle.

Ngugi wa Thiong'o revient sur les nombreuses restrictions imposées par les colonisateurs dans la pratique des langues africaines : interdiction totale de la parler, postes et éducation supérieure réservés à ceux qui maîtrisent la langue de Shakespeare ou de Molière, le débat sur l'appartenance d'un livre écrit en anglais par un auteur africain à une littérature africaine, ou anglophone...Il souligne l'impact que peut représenter l'interdiction d'une langue maternelle pour un enfant, pour lequel cette dernière, intimement liée à la transmission d'une culture, devient frappée d'une sorte de malédiction et est systématiquement dévalorisée au profit de la langue coloniale, même après les indépendances.

Pour l'auteur, une scission se produit alors entre des écrivains qu'il regroupe dans l'appellation d'une "petite bourgeoisie" qui, tout à l'écriture dans la langue coloniale, en a perdu sa capacité à exprimer réellement la culture populaire, et donc ne peut finalement être la représentante d'une littérature "africaine" réelle, mais plutôt d'une littérature écartelée entre stylistique de la langue coloniale et description d'une fausse réalité.

Ngugi wa Thiong'o illustre son propos par l'exemple de sa pièce de théâtre montée et jouée en plein air à Kamiriithu, écrite exclusivement en kikuyu, et dans laquelle se reconnaissait la population locale qui vint assister aux répétitions en suggérant telle ou telle expression.

Au-delà de la pure réflexion littéraire et de l'emprise que peut avoir une langue sur la culture, et des assertions parfois un peu trop axées sur la lutte des classes, Ngugi wa Thiong'o m'a beaucoup fait réfléchir sur notre rapport à la littérature étrangère, souvent le fait d'expatriés écrivant dans la langue coloniale (citons Chimamanda Ngozi Adichie, Mohamed Mbougar Sarr ou encore Abdulrazak Gurnah)...Comme si écrire dans cette langue était une étape obligée pour la consécration. Évidemment, on ne peut que souhaiter que chaque personne puisse écrire dans sa langue maternelle pour y apporter de sa culture et de sa manière de concevoir le monde, mais se pose aussitôt la question de la traduction et finalement de la diffusion de l'oeuvre ; si Ngugi wa Thiong'o avait commencé par écrire en kikuyu sans jamais passer à l'anglais, son très bel essai ne nous serait probablement jamais parvenu !

Un livre qui dévoile autant qu'il soulève de questions, une très chouette lecture !
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Un livre incontournable. le texte d'adieu à la langue anglaise de l'écrivain Ngugi wa Thiong'o.
Il développe les raisons de son abandon de l'anglais pour ses écrits fictionnels et théâtraux et le justifie avec un panache et une justesse ébouriffantes (accord de proximité).
L'occasion de retracer son parcours, de (re) découvrir la pratique du "signal" : l'interdiction dans les cours d'écoles de parler autre chose que l'anglais (pratique fort usitée en France également en Alsace ou en Bretagne et dans toutes les colonies). L'auteur partage aussi les discussions qui animèrent une partie du monde universitaire africain, notamment sur "qu'est-ce que la littérature africaine ?"
Un livre à lire, à offrir, à partager pour faire bouillonner les esprits et chicoter les dominations !
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La colonisation a laissé des traces jusque dans les esprits des colonisés. Il s'agit à présent, de se ré-approprier toutes les dimensions. La langue et le choix de la langue d'écriture fait partie de cette dimension à récupérer. Cet héritage est d'une grande importance et dérange comme en témoigne ce livre, la prison l'exil, la censure... Après l'indépendance, il s'agit de "décoloniser l'esprit".
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Le choix de la langue d'écriture est-elle politique ? Pourquoi écrire en kikuyu, langue kényane, plutôt qu'en anglais ? Autant de questions auxquelles tente de répondre Ngugi wa Thiong'o au travers de son expérience théâtrale et romanesque. Un essai sur le néocolonialisme et ses conséquences sur la littérature et sur ce que peut la littérature sur la politique.
Lien : https://metamorphose-cerebra..
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
On continue, un peu partout dans le monde, d'empêcher de nombreuses communautés de s'exprimer dans leur langue. On continue de les railler et de les humilier, d'apprendre à leurs enfants à avoir honte et à faire comme si le respect et la dignité ne pouvaient se gagner qu'en rejetant leur langue maternelle et en apprenant la langue dominante, celle du pouvoir. 
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Dans le théâtre que j'avais toujours connu à l'école, au lycée et dans les cercles amateurs que j'avais fréquentés, les acteurs répétaient plus ou moins en cachette, avant de laisser éclater d'un coup la perfection de leur spectacle aux yeux d'un public non préparé, qui le recevait avec une surprise admirative et envieuse : que c'est beau ! quels acteurs ! quel talent ! qu'il me serait impossible d'en faire autant ! Un tel théâtre participe d'un système plus global, celui de l'éducation bourgeoise, qui revient presque toujours à affaiblir les gens, à leur donner l'impression qu'ils seraient incapables de faire telle ou telle chose - oh ! quelle intelligence il doit falloir pour ça ! Un système qui revient au fond à mystifier le savoir et le réel. Cette éducation-là, loin de donner confiance aux gens, loin de leur apprendre à croire en leur capacité à s'affranchir des obstacles et à maîtriser leur rapport au monde et aux autres hommes, leur fait constamment sentir leurs inaptitudes, leurs faiblesses, leurs insuffisances - leur incapacité de rien changer aux circonstances régissant leur existence. Elle les aliène en les coupant toujours plus d'eux-mêmes et de leur environnement, pour aboutir à une société scindée en deux : d'un côté une galerie de stars, de l'autre une masse indifférenciée d'admirateurs passifs. Les dieux de l'Olympe et les bouillants chevaliers du Moyen-âge sont de retour, avec les hommes politiques, les savants, les sportifs et les acteurs vedettes dans le rôle des héros, béatement admirés par la foules des gens ordinaires.
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Le véritable objectif du colonialisme était de contrôler les richesses : contrôler ce que les gens produisaient, mais aussi la façon dont ils le produisaient et se le répartissaient. Contrôler, en un mot, l'ensemble des relations entretenues par les habitants dans la vie de tous les jours. Ce contrôle, ce colonialisme l'imposa par la conquête militaire et la dictature qui s'ensuivit. Mais le champ le plus important sur lequel il jeta son emprise fut l'univers mental du colonisé : les colonisateurs en vinrent, par la culture, à contrôler la perception que le colonisé avait de lui-même et de sa relation au monde. L'emprise économique et politique ne peut pas être total sans le contrôle de l'esprit. Contrôler la culture d'un peuple, c'est contrôler la représentation qu'il se fait de lui-même et de son rapport aux autres.
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Nous autres, écrivains africains, ne cessons de nous plaindre des relations économiques et politiques néocoloniales qu'entretiennent nos pays avec l'Europe et les États-Unis. Mais en continuant d'écrire dans la langue de ces pays, en continuant de rendre hommage à ces langues, ne contribuons-nous pas, sur le plan culturel, à perpétuer la servitude néocoloniale et les réflexes de soumission? La différence est-elle si grande entre un politicien qui affirme que l'Afrique ne peut s'en sortir sans l'aide des États impérialistes et l'écrivain qui affirme que l'Africain ne peut se débrouiller sans les langues européennes?
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Triste ironie: les forces politiques les plus réactionnaires d'Afrique, les dirigeants les plus décidés à brader leur continent à l'Europe, ont souvent été ceux qui s'exprimaient le plus volontiers en langue africaine; les missionnaires européens les plus résolus à arracher l'Afrique à elle-même et au paganisme de ses langues n'en ont pas moins toujours maîtrisé ces langues à la perfection, à tel point qu'ils les ont mises par écrit.
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