Oppenheimer - Bande annonce VOST
Essayer d’être heureux,
c’est essayer de construire une machine
sans autre spécification que de tourner sans bruit.
Robert Oppenheimer, 24 octobre 1929
Oppenheimer se démène pour qu'on comprenne la profonde inquiétude de ses collègues face à l'avenir. À la fin septembre il fait savoir au sous-secrétaire d'Etat Dean Acheson que la plupart des scientifiques du projet Manhattan ne sont pas du tout disposés à continuer leur travail sur des armes - et « pas seulement pour mettre au point une superbombe, mais n'importe quelle bombe ». Après Hiroshima et la fin de la guerre, un tel ouvrage est jugé « contraire aux commandements de leur cœur et de leur esprit ». Et comme il le cingle à un journaliste, il était scientifique, pas « fabricant d'armes ».
Tous ses homologues, bien sûr, ne sont pas de cet avis. Edward Teller en est encore à faire l'article de la « Super » à quiconque a assez de patience pour l'écouter.
Derrière les barbelés, Los Alamos se transforme en communauté autonome de scientifiques, financée et protégée par l’armée américaine. […] Les lieux ont tout d’un camp militaire qu’on aurait mixé à une station de sports d’hiver. Juste avant son arrivée, Robert Wilson avait terminé la lecture de La Montagne magique de Thomas Mann et, parfois, aura l’impression d’avoir été transporté dans ce domaine merveilleux.
Personne ne peut savoir quelle aurait été la réaction d’Oppenheimer s’il avait appris qu’à la veille du bombardement d’Hiroshima, le président [Truman] savait que les Japonais « cherchaient la paix » et que le recours militaire aux bombes atomiques sur les villes tenait de l’option et non de la nécessité pour que la guerre se termine en août. Par contre, ce dont nous sommes certains, c’est qu’après la guerre, il jugera avoir été trompé et fera de cette conviction un pense-bête pour ne pas oublier l’obligation qui était désormais la sienne : se montrer sceptique face aux allégations des hommes d’État.
J'ai l'impression d'avoir du sang sur les mains.
Si les armes atomiques doivent s'ajouter aux arsenaux des nations en guerre ou aux arsenaux des nations qui se préparent à la guerre, alors un jour viendra
où l'humanité maudira les noms de Los Alamos et d'Hiroshima.
Robert Oppenheimer, 16 octobre 1945
Il [Oppenheimer] en est maintenant persuadé : un recours militaire à la bombe dans « cette » guerre a de quoi faire disparaître « toutes » les guerres. Comme Oppenheimer va l’expliquer, certains de ses collègues sont convaincus que larguer rapidement la bombe aurait de quoi « améliorer » les perspectives internationales, dans le sens de la focalisation sur la prévention de la guerre plutôt que sur l’élimination de cette arme spécifique.
La guerre à cet effet, elle pousse des hommes civilisés à envisager ce qui était autrefois impensable.
Morrison avait atterri à Hiroshima à peine un mois après la livraison mortelle de l'Enola Gay. « Pratiquement tout le monde dans les rues sur près d'un kilomètre à la ronde, fut instantanément et gravement brûlé par la chaleur de la bombe, explique Morrison. Les effets ont été immédiats et étranges. Ils [les Japonais] nous ont parlé de personnes qui portaient des vêtements rayés et dont la peau fut brûlée en bandes. [...] Nombreux ont cru avoir eu de la chance lorsqu’ils sont sortis en rampant des ruines de leurs maisons pour ne se trouver que des blessures légères. Mais ils sont morts quand même. Des jours ou des semaines plus tard, à cause de la puissance du rayonnement généré au moment de l'explosion. »
Lorsqu’il aura passé davantage de temps en sa compagnie, Lilienthal va tout bonnement s'extasier : « Il (Oppenheimer] vaut la peine de vivre toute une vie rien que pour savoir que l'humanité est capable de produire un tel être. »
La « bête dans la jungle » d’Oppie avait frappé. Et l’heure de l’ordalie avait sonné.
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