Ce qui restera de ce bébé qu’elle avait aimé, dès l’instant où elle avait découvert sa grossesse. Qu’elle avait si souvent caressé sous son ventre et qui lui répondait par une bulle, un léger mouvement qu’elle seule était capable de ressentir. Ce bébé qu’elle caressait encore il y a quelques jours, délicatement, à travers son cocon de plastique, relié à la vie par cette foutue machine.
— Tu sais ma chérie, la vie, ce n’est qu’une succession de vagues. Il y a les vaguelettes, celles qui nous bercent ou qui nous poussent vers de nouveaux horizons. Et il y a les tempêtes, qu’on ne voit pas venir et qu’il faut traverser, malgré la houle. Ces vagues-là peuvent nous mettre à terre pendant un temps, mais elles finissent toujours par nous ramener à la surface. Et quand ça arrive, alors on est surpris de constater qu’on a gardé un peu de sel au coin des lèvres, après avoir bu la tasse. C’est ce sel qui nous apporte ce goût un peu plus prononcé pour la vie. Et si on y réfléchit bien, c’est finalement grâce aux vagues qu’on a pu y goûter. Bientôt ma fille, tu remonteras à la surface, j’en suis sûr. Et ce jour-là, tu retrouveras le goût des choses.
Ce qui est certain, c’est que la mort est rentrée dans ma vie très violemment, sans que j’y sois préparée. C’est comme si elle m’avait guettée, postée dans un coin, pour me donner un violent coup derrière la tête…Elle m’a surprise là où je ne l’attendais pas, et à l’endroit où ça fait le plus mal. Alors, depuis, je ne sais pas si c’est très… sain, mais je me prépare toujours au pire. Quand un de mes parents est en retard et que mon téléphone sonne, j’imagine que l’on va m’annoncer sa mort. Je me dis que si j’ai déjà visualisé mentalement cette éventualité, alors je souffrirai moins le jour où cela arrivera vraiment. Je ne tomberai plus jamais de si haut, je me le suis promis. En un sens, je crois que j’ai décidé d’apprivoiser la mort, de m’en faire une alliée pour qu’elle ne me prenne plus par surprise.
Il est étrange de constater comme avec le temps, les rôles s'inversent.
Quand les parents prennent de l'âge, leurs enfants ont tendance à les considérer d'un autre œil, à vouloir les protéger, comme s'ils étaient plus vulnérables.
Ici, les couleurs variaient selon la saison, l’heure du jour, la luminosité, la couleur du ciel. On
pouvait passer de différentes teintes de bleus et de verts les jours de printemps à un feu d’artifice
de couleurs rougeoyantes certains soirs d’automne. L’été, en milieu de soirée, la végétation se
détachait du ciel bleu pétrole comme un liseré de dentelle sombre à contre-jour. Combien de
fois Jeanne était-elle restée postée devant ce panorama ? Aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle
s’était nourrie de ces paysages dans lesquels la palette de couleurs s’accordait avec le temps.
Elle devinait que sa situation était tout simplement incompréhensible pour ceux et celles qui ne l'avaient pas vécue. Ce deuil les avait placés, Rémi et elle, sur une île non identifiée, dont le reste du monde ne connaissait ni le climat, ni la langue. Jeanne comprit vite qu'il lui faudrait trouver le courage de sortir les rames pour naviguer à contre-courant, s'ils espéraient un jour, rejoindre le continent des vivants. Le deuil, et encore plus le deuil d'un enfant, vous séparait inéluctablement du monde extérieur par le silence et la gêne qui y étaient associés.
Durant ces derniers mois, seules la douleur et la colère l'avaient gardée vivante, aucun plaisir physique n'était parvenu à l'atteindre. C'est comme si son corps avait été conservé dans une chambre stérile, dans une bulle où ses sens étaient anesthésiés. Aujourd'hui, tout affluait en même temps : la chaleur, les odeurs, la lumière, les sons, le goût. Ces sens bousculaient son corps, pris d'assaut par des sensations qui lui redonnaient vie, comme après un long sommeil. C'était à la fois douloureux et terriblement bon.
Le temps se jouait d’elle. Elle avait eu l’impression d’avoir fait du chemin, d’avoir traversé les moments les plus douloureux, de s’être vidée de toutes ses larmes. Malgré tout, elle se retrouvait de nouveau plongée dans les méandres de son mal, dans le cœur de sa souffrance. La cicatrice s’était réouverte d’un coup et les souvenirs avaient rejaillis, intacts. Jeanne revivait les évènements comme s’ils venaient de se dérouler. Et Rémi n’était plus là pour lui tenir la main.
Tu sais ma chérie, la vie, ce n'est qu'une succession de vagues. Il y a les vaguelettes, celles qui nous bercent ou qui nous poussent vers de nouveaux horizons. Et il y a les tempêtes, qu'on ne voit pas venir et qu'il faut traverser, malgré la houle. Ces vagues-là peuvent nous mettre à terre pendant un temps, mais elles finissent toujours par nous ramener à la surface. Et quand ça arrive, alors on est surpris de constater qu'on a gardé un peu de sel au coin des lèvres, après avoir bu la tasse. C'est ce sel qui nous apporte ce goût un peu plus prononcé pour la vie. Et si on y réfléchit bien, c'est finalement grâce aux vagues qu'on a pu y goûter.
Bientôt ma fille, tu remonteras à la surface, j'en suis sûr. Et ce jour-là, tu retrouveras le goût des choses.
Livre très bien écrit avec des belles descriptions de paysages de Bretagne. On a très vite de la sympathie pour les personnages et on a envie aussi de connaître la fin d’un livre que je recommanderais certainement à mes amis et j’espère que l’auteur continuera sur sa lancée.