AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Bibliographie de Abdul Wahid Radhu   (1)Voir plus


Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Les mouvements réformistes qui apparurent dès le XVIIIème siècle furent généralement des expressions typiques du zâhir. Tel fut le wahhabisme importé d’Arabie qui avait prétendu mener le djihad, la “guerre sainte”, à la fois contre les Britanniques et contre les hindous, suscitant des insurrections réprimées dans le sang. Son influence puritaine a marqué d’assez vastes milieux jusqu’au Cachemire et dans nos communautés himalayennes.
D’autres tendances réformistes, plus préoccupées par la confrontation de l’islam avec la civilisation occidentale alors en pleine expansion, se manifestèrent au cours du XIXème siècle. Elles ouvrirent largement les portes aux influences modernisantes. L’université islamique d’Aligarh fut une expression caractéristique de ce courant.
Dans l’idée de son fondateur, sir Syed Ahmad Khan, l’institution, ouverte en 1875, devait avoir pour fonction principale de promouvoir les progrès politiques et sociaux des musulmans indiens dont la position avait souffert, plus que celle des hindous, de la grande révolte des Cipayes, en 1857, et de ses suites. Estimant que les Anglais étaient en Inde pour y rester, fait qu’il fallait accepter avec réalisme, il engageait la communauté musulmane à se donner suffisamment de consistance pour faire sentir son poids et contrebalancer l’influence des hindous et autres non-musulmans comme les parsis, souvent plus “avancés” et plus proche des Britanniques. Le meilleur moyen d’y parvenir était à ses yeux de doter les musulmans d’un établissement supérieur de type moderne. Aligarh était effectivement organisé sur le modèle d’un collège anglais.
Sir Syed admirait l’Occident dont il enviait la puissance. Il chercha donc a mettre en relief les points d’accord entre l’islam et la pensée moderne, notamment sur le plan philosophique et scientifique. Cela ne pouvait manquer de lui attirer d’âpres critiques de la part d’autres milieux musulmans qui lui reprochèrent d’être l’ami des Anglais et de servir leur intérêts. Mais il réagissait en faisant valoir que le christianisme, à la différence de I’hindouisme franchement polythéiste et kâfir, était proche de l’islam et que les musulmans ne renieraient pas leur foi en collaborant avec les chrétiens, “peuple du Livre” (ahl al-kitâb) selon le Coran.
Quoi qu’il en soit, Aligarh devint l’un des principaux point de pénétration de la pensée occidentale dans l’islam indien. Cette influence se combinait avec des croyances religieuses qui se voulaient tolérantes envers le christianisme et les idées modernes, mais qui en réalité demeuraient superficielles et incapables d’assurer le maintien de notre identité culturelle en face des séductions intellectuelles venues de l’Occident. Pour que nous y resistions vraiment, il aurait fallu un approfondissement de la religion, c’est-à-dire un recours au bâtin. La mentalité dominante en était fort éloignée.
Cependant, au debut de mes études, je ne voyais pas encore les choses aussi clairement.
[…] Croyant implicitement à l’évolution et au progrès, nos professeurs avaient au sujet de l’islam une attitude apologétique, comme s’il se fut agi de l’insérer à tout prix dans le monde moderne.
Pareille attitude se retrouvait chez les professeurs d’histoire et de philosophie que je fréquentais. Leur préoccupation majeure semblait se résumer dans cette question : comment faire pour renforcer la position de l’islam et des musulmans en Inde et dans le monde ?
Caractéristique était la constante utilisation de la pensée occidentale comme référence offrant les meilleurs critères pour estimer la validité de tout savoir, même de celui qui se rapportait le plus typiquement à l’Orient et à l’islam. Un professeur, en particulier, aimait à établir à tout propos des parallèles entre les enseignements traditionnels de l’islam et les théories de Rousseau.
De tous les auteurs que j’eus alors à découvrir, Rousseau, précisément, retint le plus mon attention et la lecture de son Emile emporta ma totale adhésion. À côté de lui, il me fallut étudier les principaux philosophes occidentaux de la Renaissance au XXème siècle. Et nous aboutissions immanquablement au marxisme sans doute trop opposé à toute religion pour pouvoir nous convaincre, mais dont le dynamisme exerçait sur nous une certaine attraction.
Quant à l’islam, on nous le faisait étudier un peu de la même manière, c’est-à-dire de l’extérieur et sans percevoir combien, relevant du domaine du sacré, il était fondamentalement étranger à tout ce savoir profane dont on nous bourrait le cerveau. D’ailleurs, dans pareil milieu, personne ne semblait conscient de la possibilité de l’envisager sous un angle différent. En fait, nous pensions constituer une élite parmi les musulmans, comprenant et pratiquant l’islam de la façon à la fois la plus authentique et la plus “progressiste”, et nous ne soupçonnions guère que nous étions déjà tous plus ou moins contaminés par des idéologies occidentales en réalité étrangères sinon opposées à notre religion. Nous ne nous rendions pas non plus compte de l’existence dans l’islam d’une voie intérieure, celle du bâtin, qui aurait pu nous offrir des bases plus profondes et plus consistantes pour affronter le défi de l’Occident, défi dont, sous l’effet de l’optimisme découlant de l’idée de progrès, nous ne discernions même pas la vrai portée.
De nombreux musulmans indiens, particulièrement dans les milieux intellectuels et universitaires, subissaient en ces années-là la forte influence d’une personnalité remarquable et célèbre, Muhammad lqbal, qui représente l’un des aspects les plus importants du réformisme islamique de ce siècle. ll était déjà mort, mais demeurait présent à Aligarh par ses idées et par ses écrits.
Illustre poète et philosophe, auteur d’une œuvre admirée dans tout l’Orient, lqbal a souvent été désigné comme le père spirituel du Pakistan. Même si certains intellectuels indiens veulent nier sa responsabilité morale dans le drame de la “partition” et la création de l’Etat islamique, il paraît certain qu’il a favorisé une forme d’activisme politique parmi les musulmans, contribuant à populariser l’idée qu’ils constituaient une nation différente des autres communautés vivant sur le sol du sous-continent. Quoi qu’il en soit, son prestige était considérable parmi les étudiants de ma génération dont beaucoup devaient dès 1947 se déclarer nationaux du Pakistan et, quittant les autres régions de l’Inde dont ils étaient originaires, allèrent y faire carrière.
lqbal, que nous considérions comme le penseur le plus “avancé” de l’islam, avait, dans plusieurs de ses ouvrages, mis l’accent sur la nécessité pour les musulmans de secouer ce qu’il appelait leur “torpeur”, d’exercer résolument leur action dans le monde et de s’inspirer du dynamisme des Occidentaux. Prétendant “reconstruire la pensée religieuse de l’islam”, ainsi qu’est intitulé l’un de ses ouvrages les plus répandus, il donnait des doctrines musulmanes traditionnelles des interprétations fortement teintées de philosophie moderne. Il faisait par exemple de Ghazâlî un précurseur de Descartes ou commentait avec sympathie des théories d’un Nietzsche, qu’il qualifie quelque part de “prophète moderne”, d’un Bergson et même d’un Freud. Toute l’université était en admiration devant l’érudition du grand homme qui dissertait avec autant d’aisance que d’autorité sur les maîtres de la pensée moderne. Il ne se trouvait pas un professeur pour discerner l’ambiguïté de sa position et pour en dénoncer les redoutables confusions.
Au cours des années, je pris conscience, grâce a des amis versés dans les sciences du bâtin, du caractère néfaste de ces philosophies de l’Occident moderne qui, malgré tout ce qu’un Iqbal a cru pouvoir en dire de lénifiant, nient la sagesse traditionnelle, accélèrent le processus de sécularisation et aboutissent au chaos intellectuel où le monde est actuellement plongé. Et lorsque l’occasion s’en présenta, je n’ai pas craint de réagir contre leur emprise sur nos esprits d’Orientaux.
Ainsi, beaucoup plus tard, du temps où je travaillais dans les organisations d’aide aux réfugiés tibétains, je me trouvais à Dharamsala, en Inde, résidence du Dalaï Lama, lorsqu’on me dit qu’il étudiait les philosophes occidentaux tels que Kant, Nietzsche et Bergson. J’en fus atterré et, comme je n’avais pas la possibilité de le rencontrer avant quelque temps, je lui fis tenir par l’un de ses familiers un message disant à peu près ceci :
“Ces prétendus philosophes dont des suppôts du démon. Pour l’amour du Ciel, que Votre Sainteté saisisse à quel niveau de bassesse ils se situent par rapport à la sagesse intemporelle qu‘elle-même représente.”
Il semble que le Dalaï Lama ne fut pas totalement indifférent à cet avertissement qui tranchait si fort sur la servilité de tant d’Orientaux devant l’intellectualité officielle de l’Occident. En tout cas, il ne m’en a pas tenu rigueur, car il lui est arrivé depuis lors de me convoquer pour me consulter sur diverses questions. Et je peux signaler en passant qu’il m’a lui-même suggéré de rédiger mes souvenirs, ce qui m’encouragea grandement.
Pendant mes années d’Aligarh, j’étais encore bien loin d’une position aussi critique envers un Iqbal. Si sa poésie, douée d’un si grand charme, demeurait généralement fidèle aux traditions constituant notre identité culturelle, personne, à l’université, ne semblait se rendre compte que sa pensée philosophique y portait en fait de très graves atteintes.
Caractéristique était sa position au sujet de la musique occidentale qu’il disait préférer à celle de l’Orient. Dans les différentes musiques modernes même dans le jazz, il trouvait plus de dynamisme, de tension, de vie. Pour lui, elles inspiraient à l’homme une attitude plus positive au face du monde. Quant à la musique orientale, indienne en particulier, il lui reprochait d’être pessimiste, négative, d’éloigner de l’action. L’incompréhension dont le grand écrivain avait fait preuve a cet égard m’apparut plus tard, après que j’eus redéco
Commenter  J’apprécie          00

Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Abdul Wahid Radhu (1)Voir plus

Quiz Voir plus

Quizz sur le faucon déniché

Comment s'appelle l'auteur de ce livre ?

Victor Hugo
Jean Dujardin
Jean-Côme Nogues
Christian Grenier

10 questions
389 lecteurs ont répondu
Thème : Le faucon déniché de Jean-Côme NoguèsCréer un quiz sur cet auteur
¤¤

{* *}