Gaston de Pawlowski : Inventions nouvelles, dernières nouveautés
Dans un salon de la fondation Deutsch de la Meurthe, à la Cité internationale universitaire de Paris,
Olivier Barrot présente le livre "Inventions nouvelles et dernières nouveautés" de Gaston de PAWLOWSKI publié aux editions de la finitude. L'oeuvre de Gaston de PAWLOWSKI, datant des années1900, comme celle d'
Alphonse Allais ou de
Tristan Bernard est classée dans la catégorie délaissée...
[…] et si cette guerre nous fait horreur, ce n’est point qu’elle marque, comme on l’a faussement prétendu, une régression vers l’animalité, mais bien, au contraire, les terrifiants progrès d’une croyance en un animal supérieur à l’homme dans l’échelle des êtres, en cet animal Etat que nous avions appelé le Léviathan, du nom que lui donna Hobbes, son premier inventeur.
Il est évident, en effet, que la guerre moderne ne répond plus à un besoin de sélection naturelle entre les individus et qu’elle n’a plus rien de ces grands vents d’automne qui, dans la nature, cassent les branches mortes et balayent les feuilles jaunies pour le plus grand bien de l’arbre. Il ne s’agit plus de laisser survivre le plus fort et encore moins le plus intelligent, mais, bien au contraire, de le tuer et d’assurer la survie aux éléments physiquement et moralement tarés qui composent les cellules d’un animal inférieur et monstrueux que l’on appelle l’Etat.
Mais, direz-vous peut-être, cette quatrième dimension, cette inconnue inaccessible de toute équation humaine, ce mobile universel, cet absolu auquel nous devons tout le relatif, ce juge de toutes nos pensées, ce subconscient éternel auquel s’alimente obscurément notre conscience, ce créateur qui cherche à se réaliser dans sa créature, mais nous le connaissons depuis que l’humanité balbutia ses premiers mots ! Ce côté éternel des choses, c’est Dieu !
Eh bien ! non, c’est tout le contraire, et c’est pour cela qu’il nous faut prendre un nouveau symbole qui diffère de l’idée de Dieu comme en mathématiques le calcul intégral, qui remonte des infiniment petits aux quantités finies, s’oppose au calcul différentiel qui descend des grandeurs finies à leurs infiniment petits.
Manifeste antinaturaliste, car rien d’humain n’existe en dehors de l’artificiel, Credo passionné en l’unique et entière puissance créatrice de l’Idée, ce livre fut, à l’origine, une tentative d’évasion de la certitude bourgeoise, une protestation révoltée contre la tyrannie scientifique du moment. Ce fut surtout comme un essai de roman dont le personnage principal ne serait plus un être humain, mais une Idée, roman où les péripéties se trouveraient dans la Pensée et les aventures dans les modifications de son caractère.
Un savant qui, dans son laboratoire, analyse la nature des choses, ignorera toujours ce que peut être la répugnance ou le dégoût. Quelle que soit l’infection du composé qu’il examine, il le goûtera, si cela est nécessaire, le plus tranquillement du monde. Ce ne sont pour lui que des corps simples juxtaposés, toujours les mêmes.
À la suite des progrès considérables de la science, les hommes finirent par tout considérer sous cet angle scientifique spécial et, pour eux, tous les phénomènes de la nature devinrent également intéressants, sans qu’aucune distinction pût être établie utilement entre une réaction chimique, par exemple, et une passion violente éprouvée pour le bien ou pour le mal.
L’ÂME SILENCIEUSE
Moi qui suis parvenu depuis quelque temps déjà au pays de la quatrième dimension, j'éprouve, au moment d'écrire mes souvenirs anticipés, une peine étrange à les traduire en langue vulgaire.
Le vocabulaire est en effet conçu d'après les données de l'espace à trois dimensions. Il n'existe pas de mots capables de définir exactement les impressions bizarres que l'on ressent lorsque l'on s'élève pour toujours au-dessus du monde des sensations habituelles. La vision de la quatrième dimension nous découvre des horizons absolument nouveaux. Elle complète notre compréhension du monde; elle permet de réaliser la synthèse définitive de nos connaissances; elle les justifie toutes, même lorsqu'elles paraissent contradictoires, et l'on comprend que ce soit là une idée totale que des expressions partielles ne sauraient contenir. Du fait que l'on énonce une idée au moyen des mots en usage, on la limite par là même au préjugé de l'espace à trois dimensions. Or, si nous savons que les trois dimensions géométriques : largeur, hauteur et profondeur peuvent toujours être contenues dans une idée, ces trois dimensions, par contre, ne peuvent jamais suffire à construire intégralement une qualité, que ce soit une courbe dans l'espace ou un raisonnement de l'esprit. Et de cette différence non mesurable par des quantités, que faute de mieux nous appelons quatrième dimension, de cette différence entre le contenant et le contenu, entre l'idée et la matière, entre l'art et la science, ni les chiffres, ni les mots construits à trois dimensions ne peuvent rendre compte.
Que dirait-on d’un orfèvre qui refuserait désormais de travailler l’or brut qu’il possède et qui voudrait le vendre à ses clients en leur persuadant que cette matière est la vérité toute nue, sans fard, sans artifice, et que rien ne vaut la matière brute telle que la nature nous l’offre dans toute son authenticité ?
Que dirait-on également d’un orfèvre qui prétendrait nous vendre un bijou finement ciselé, mais dont la matière ne serait point authentique ? Nous aurions pour lui toutes les sévérités du roi Hiéron.
Que dirions-nous également d’un orfèvre qui prétendrait nous vendre son travail dégagé de toute espèce de matière et nous faire acheter le rêve qu’il a conçu d’une œuvre d’art ?
Le premier serait pour nous une brute grossière, le second un voleur et le troisième un fou.
Ce furent cependant, en matière d’art, à ces différents marchands que le vingtième siècle donna sa clientèle. Avec bon sens, toutefois, il repoussa presque tout aussitôt les fous et les voleurs : mais il se confia définitivement aux marchands de matière brute. Pas un instant, il ne se dit qu’en dehors de ces trois catégories pouvait en exister une quatrième, composée d’artistes véritables, puisant dans la nature de la matière vraie et la transformant ensuite, par l’intermédiaire de leur pensée, en objets d’art d’un prix inestimable
Dépourvus de tous principes intérieurs, ayant rejeté toute croyance en une substance éternelle et immuable, les hommes n’avaient plus admis, pour règle morale, que le déterminisme le plus absolu. Si, véritablement, les idées humaines ne dépendaient que de combinaisons extérieures, si la pensée n’était que le résultat de rencontres purement matérielles, il était ridicule d’admettre plus longtemps le libre-arbitre et la responsabilité individuelle.
Comment expliquer par exemple sans préméditation intelligente la construction raisonnée du mécanisme de l’œil ou de l’oreille ? Aux premiers temps de l’histoire animale, la sensation visuelle ne se distinguait pas de la sensation tactile et dans l’univers incolore et informe, l’être primitif ne percevait que de vagues sensations. Ce fut ensuite par le désir de se rapprocher toujours davantage de la vision complète à quatre dimensions proposée par l’Idée, que le sens de la vue ajouta aux impressions à deux dimensions les impressions à trois dimensions, puis sépara les différences d’intensité des différences qualitatives suivant les besoins particuliers de chaque espèce. C’est ainsi par exemple que dans la couche sensible de la rétine, les oiseaux de nuit n’ont que des bâtonnets qui donnent uniquement les valeurs comparatives de noir et de blanc et manquent complètement de cônes qui seuls fournissent les sensations de couleur, puisque, dans l’obscurité, il est impossible de distinguer les couleurs. Par contre, les oiseaux diurnes qui recherchent des insectes aux couleurs brillantes ont plus de cônes que tous les autres animaux.
Je savais aussi comment on avait expliqué que les théorèmes de Lobatchewsky, de Riemann, de Helmoltz et de Beltrani étaient les seules bases logiques de toute théorie juste du parallélisme ; mais il ne m’avait pas été donné de constater par moi-même la possibilité de pareilles démonstrations expérimentales, jusqu’au jour où, désirant, conserver quelques lettres auxquelles je tenais, je m’avisai de vouloir lier, avec un ruban, un petit coffret de bois qui venait, m’avait-on dit, des Indes. Le nœud une fois fait, il me souvint que j’avais oublié de placer une lettre dans le coffret et, instinctivement, en songeant à autre chose, je l’ouvris, je mis la lettre en place, et je refermai le coffret. À ce moment-là seulement, je m’aperçus que j’avais oublié de défaire la ligature.
J’eus beau reconstituer les faits, je fus bien forcé de constater, par le cachet de cire, que le nœud que j’avais fait et qui empêchait absolument l’ouverture du coffret, n’avait pas été touché. Cet objet échappait indéniablement aux règles ordinaires de notre espace à trois dimensions.
Il me souvint alors que Félix Klein avait démontré que les nœuds ne pourraient pas durer dans un espace à quatre dimensions et je compris que le coffret que j’avais là, devant les yeux, avait été construit en dehors de toute loi euclidienne, que ce curieux objet d’exportation hindou avait dû être conçu par d’habiles asiatiques et réalisé en France sans aucune nécessité de transport matériel.
L’histoire des sociétés nous prouve, en effet, que, de tout temps, l’homme s’est efforcé, non point de travailler, mais bien, au contraire, de se délivrer de tout souci matériel en faisant travailler les autres hommes ou des machines à sa place. De même, lorsque l’homme accepte le contrat social qui le groupe en société, il ne cède qu’à un simple mouvement de paresse, il cherche à se spécialiser, à ne plus accomplir qu’une partie de l’effort général, à ne répéter jamais que le même geste, et à suivre en cela la loi du moindre effort.