Fidèle comparse d'Orelsan, le rappeur et comédien Gringe signe son premier livre "Ensemble, on aboie en silence", dans lequel il partage la plume avec son petit frère Thibault, diagnostiqué schizophrène en 2001. Une déclaration d'amour fraternel qui casse les clichés. Rencontre à Lire à Limoges.
Interview réalisée à la librairie Page et Plume par A. Demars, B. Ligneau et J-C Dyvrande
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Quand on se sent oublié par les siens, on réussit à s’oublier soi-même. C’est aussi simple que ça.
Comment garder une estime de soi valable quand on est étiqueté malade et sorti des rails pour une vie en marge du monde ?
Comment garder une estime de soi valable quand on est étiqueté malade et sorti des rails pour une vie en marge du monde ?
Si l'analogie entre mon frère et une expérience menée par une classe de SVT peut sembler absurde, je garde l'intime conviction que le lien affectif, la considération et, plus largement, le contact humain sont au cœur de la rémission de Thibault. Et que l'amour comme un formidable canal vibratoire lui permet chaque fois d'entrer à nouveau en résonnance avec lui et le monde autour.
Moi, ça me fait mal de regarder Thibault devoir se justifier. Ils ont beau l'avoir tous vu grandir, je vois bien qu'à présent ils se méfient de lui.
Le petit Titi est devenu persona non grata.
Le pire, ce sont les silences qui accompagnent ses faits et gestes.
A observer l’absence de tact dont on fait preuve à son égard, les jugements arbitraires, les regards fuyants, les discours infantilisants... je saisis mieux pourquoi mon frère préfère souvent battre en retraite. Et s’isoler.
Moi j’enrage. Évidemment s’il m’est difficile de condamner l’ignorance des uns, la moquerie des autres me colle des pulsions meurtrières.
Thibault voit tout et entend tout. Et je refuse qu’on ne voie plus en lui qu’un symptôme. Ça le dépossède de sa personne, ça le dépossède de son histoire.
Et les deux sont bien trop belles.
Rien à faire, je ne résoudrai jamais l’énigme. Mais les indices que Thibault sème derrière lui lèvent peu à peu le voile sur un monde intérieur que je devine d’une grande complexité. Son caractère insondable continue de me fasciner.
On n’a pas toujours été les frangins les plus fusionnels de la Terre, il n’en reste pas moins que Thibault continuera d’être ce « mini-moi » que j’ai adoré cramponner d’amour dans les couloirs de la maternelle, quand lui et sa petite section nous passaient devant à l’heure de la récréation.
Celui à qui j’ai montré comment s’asseoir sur le pot, lu des Tom-Tom et Nana, soigné les bobos à coups de bisous magiques.
À quel moment j’ai manqué de vigilance ?
Évidemment que je me sens coupable.
Je suis le grand frère que je ne souhaite à personne.
Au cours de ma quête éperdue de conneries à faire, tu te retrouvais souvent aux premières loges, quand je ne décidais pas de t'attribuer le premier rôle..
Les voyages sont censés former la jeunesse, pas lui déformer la vue.
Car dès que je m’engage aux côtés de Thibault, je défaille. Lui qui a tant besoin d’une présence pour rompre avec son infinie solitude et qui aimerait, je l’imagine, un grand frère comme un compagnon de route sur lequel compter, se voit une fois de plus pénalisé par les difficultés. En proie à mes démons, je le laisse s’en aller seul avec les siens. Mon frère reste un éternel rendez-vous manqué.