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Citation de Partemps


PREMIER DIALOGUE
SAINT AUGUSTIN, PÉTRARQUE.
Saint Augustin. Que fais-tu homme de néant ? À quoi rêves-tu ? Qu’attends-tu ? Ne te souviens-tu pas que tu es mortel ?

Pétrarque. Oui, je m’en souviens, et cette pensée ne me vient jamais à l’esprit sans un certain frisson.

S. Augustin. Plût à Dieu que tu t’en souvinsses, comme tu le dis, et que tu veillasses à ton salut ! Tu m’éviterais une lourde tâche, car il est hors de doute que pour mépriser les séductions de cette vie et pour régler son âme au milieu de tous les orages du monde, on ne peut rien trouver de plus efficace que le souvenir de sa propre misère et la méditation assidue de la mort, pourvu qu’elle ne glisse pas légèrement à la surface, mais qu’elle s’incruste profondément jusqu’à la moelle des os. Mais je crains fort que, dans ce cas, comme je l’ai observé chez beaucoup d’autres, tu ne te fasses illusion.

Pétrarque. Comment cela, je vous prie ? car je ne comprends pas bien ce que vous dites.

S. Augustin. Certes, de toutes vos manières d’être, ô mortels, aucune ne m’étonne davantage et ne m’inspire plus d’horreur que de vous voir entretenir à dessein vos misères, feindre de ne point reconnaître le péril qui vous menace, et éloigner cette considération si on la met sous vos yeux.

Pétrarque. De quelle façon ?

S. Augustin. Penses-tu qu’il y ait quelqu’un assez déraisonnable pour ne point désirer vivement la santé s’il est atteint d’une maladie dangereuse ?

Pétrarque. Je ne crois pas qu’il existe une pareille démence.

S. Augustin. Eh bien ! penses-tu qu’il y ait quelqu’un assez paresseux et assez insouciant pour ne pas chercher par tous les moyens à obtenir ce qu’il désire de toute son âme ?

Pétrarque. Je ne le crois pas non plus.

S. Augustin. Si nous sommes d’accord sur ces deux points, nous devons l’être aussi sur le troisième.

Pétrarque. Quel est ce troisième point ?

S. Augustin. De même que celui qui, par une méditation profonde, aura reconnu qu’il est malheureux désirera ne plus l’être, et que celui qui aura formé ce désir cherchera à le réaliser, de même celui qui aura cherché à le réaliser pourra en venir à bout. Il est évident que ce troisième point dépend essentiellement du second, et le second du premier. Par conséquent, ce premier point doit subsister comme la racine du salut de l’homme. Or, mortels insensés et toi si ingénieux à te perdre, vous vous efforcez d’extirper de vos cœurs cette racine salutaire avec tous les lacets des plaisirs terrestres, ce qui, je te l’ai dit, excite mon étonnement et mon horreur. Vous êtes donc justement punis et par l’extirpation de cette racine et par l’arrachement du reste.

Pétrarque. Ce reproche, selon moi, est un peu long et a besoin de développements : remettez-le donc, s’il vous plaît, à une autre fois. Pour que je marche sûrement vers les conséquences, arrêtons-nous un peu sur les prémisses.

S. Augustin. Il faut se prêter à ta pesanteur d’esprit. Arrête-toi donc partout où bon te semblera.

Pétrarque. Pour moi, je ne vois pas cette conséquence.

S. Augustin. Quelle obscurité est survenue ? Quel doute s’élève-t-il maintenant ?

Pétrarque. C’est qu’il y a une foule de choses que nous désirons vivement, que nous recherchons avec ardeur, et que, néanmoins, nulle peine, nulle diligence ne nous a procurées et ne nous procurera.

S. Augustin. Pour les autres choses, je ne nie pas que cela soit vrai ; mais pour le cas dont il s’agit maintenant, c’est tout différent.

Pétrarque. Pour quel motif ?

S. Augustin. Parce que quiconque désire se délivrer de sa misère, pourvu qu’il le désire sincèrement et absolument, ne peut être frustré dans son attente.

Pétrarque. Oh ! qu’entends-je ? Il y a fort peu de gens qui ne sentent qu’il leur manque beaucoup de choses, et qui ne confessent qu’en cela ils sont malheureux. C’est une vérité que chacun reconnaîtra en s’interrogeant soi-même. Par une conséquence naturelle, si la plénitude des biens rend heureux, tout ce qui s’en manque doit rendre proportionnellement malheureux. Ce fardeau de misère, on sait très bien que tous ont voulu le déposer, mais que très peu l’ont pu. Combien y en a-t-il que la mauvaise santé, la mort de personnes chères, la prison, l’exil, la pauvreté, accablent de chagrins perpétuels, sans parler d’autres infortunes dont l’énumération serait trop longue, qu’il est difficile et cruel de supporter ? Et cependant ceux qui en souffrent ont beau se plaindre, il ne leur est pas permis, comme vous le voyez, de s’en affranchir. Il est donc indubitable, à mon avis, qu’une foule de gens sont malheureux forcément et malgré eux.

S. Augustin. Il faut que je te ramène bien loin en arrière, et, comme cela se pratique pour les jouvenceaux légers et tardifs, que je fasse souvent remonter le fil de mon discours aux premiers éléments. Je te croyais un esprit plus avancé, et je ne supposais pas que tu eusses encore besoin de leçons si enfantines. Ah ! si tu avais gardé la mémoire de ces maximes vraies et salutaires des philosophes que tu as relues souvent avec moi ; si, permets-moi de te le dire, tu avais travaillé pour toi et non pour les autres ; si tu avais rapporté la lecture de tant de volumes à la règle de ta vie, et non aux frivoles applaudissements du public et à la vanité, tu ne débiterais pas de telles sottises et de telles absurdités.

Pétrarque. J’ignore où vous voulez en venir, mais déjà la rougeur me monte au front, et je ressemble aux écoliers réprimandés par leurs maîtres. Avant de savoir de quoi on les accuse, se rappelant qu’ils ont commis de nombreux méfaits, au premier mot du magister ils sont confondus. Ainsi, moi qui ai le sentiment de mon ignorance et d’une foule d’erreurs, quoique je ne discerne pas encore le but de votre discours, comme je sais que l’on peut tout me reprocher, j’ai rougi avant que vous n’ayez fini de parler. Expliquez-moi donc plus clairement, je vous prie, ce que vous avez à reprendre en moi d’une manière aussi mordante.

S. Augustin. J’aurai bien des choses à te reprocher dans la suite. Tout ce qui m’indigne en ce moment, c’est que tu supposes que l’on peut devenir ou être malheureux malgré soi.
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