AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Partemps


S. Augustin. Tu te trompes fort maintenant lorsque tu te glorifies de ne t’être jamais trompé toi-même. J’ai assez bonne opinion de ton intelligence pour croire qu’en réfléchissant bien, tu verras par toi-même que personne ne tombe dans le malheur que par sa volonté, car c’est là-dessus qu’est fondée notre discussion. Dis-moi, je te prie (mais réfléchis avant de répondre et fais montre d’un esprit avide, non de dispute, mais de vérité), dis-moi quel est l’homme qui, selon toi, a péché par force, puisque les sages veulent que le péché soit un acte volontaire, à ce point que, si la volonté manque, le péché n’existe pas. Or, sans le péché, personne ne devient malheureux, tu me l’as accordé tout à l’heure.

Pétrarque. Je vois que je sors peu à peu du sujet, et je suis forcé de reconnaître que le commencement de ma misère a procédé de mon libre arbitre. Je sens cela en moi et je le conjecture dans les autres. Maintenant, reconnaissez à votre tour une vérité.

S. Augustin. Que veux-tu que je reconnaisse ?

Pétrarque. S’il est vrai que personne ne tombe que par sa volonté, reconnaissez qu’il est également vrai qu’une foule de gens tombés volontairement gisent cependant à terre malgré eux. Je l’affirme de moi-même hardiment, et je crois qu’il m’a été donné en punition, pour n’avoir pas voulu rester debout quand je le pouvais, de ne pouvoir me relever quand je le voudrais.

S. Augustin. Quoique cette opinion ne soit point tout à fait absurde, comme tu reconnais ton erreur dans le premier cas, il faudra que tu la reconnaisses également dans le second.

Pétrarque. Tomber et être gisant sont donc, à votre avis, une seule et même chose ?

S. Augustin. Non, ce sont deux choses différentes ; toutefois, vouloir et ne pas vouloir, quoique différents dans le temps, sont, en réalité et dans l’esprit de celui qui veut, une seule et même chose.

Pétrarque. Je sens dans quels nœuds vous m’enveloppez ; toutefois, le lutteur qui a gagné la victoire par artifice n’est pas le plus fort, mais le plus rusé.

S. Augustin. Nous parlons en face de la Vérité, qui est amie de la sincérité et ennemie de la ruse. Pour te le montrer clairement nous procéderons désormais avec une parfaite sincérité.

Pétrarque. Je ne pouvais rien entendre de plus agréable. Dites-moi donc, puisqu’il a été question de moi-même, par quelle raison vous me démontrerez ceci : que je suis malheureux, ce que je ne nie point, mais qu’il dépend de ma volonté de ne plus l’être, lorsque je sens, au contraire, que rien n’est plus pénible pour moi ni plus opposé à ma propre volonté, mais je ne peux rien de plus.

S. Augustin. Pourvu que nos conventions soient observées, je te montrerai que tu dois employer d’autres termes.

Pétrarque. De quelles conventions parlez-vous, et quels termes voulez-vous que j’emploie ?

S. Augustin. Nous sommes convenus d’écarter toute subtilité et de rechercher la vérité purement et simplement. Quant aux termes à employer, je veux qu’au lieu de dire que tu ne peux rien de plus, tu dises que tu ne veux rien de plus.

Pétrarque. Nous ne finirons jamais, car jamais je ne dirai cela. Je sais très bien, et vous m’êtes témoin vous-même, que mille fois j’ai voulu et je n’ai pas pu, et que j’ai versé des torrents de larmes qui n’ont servi à rien.

S. Augustin. J’ai été témoin de l’abondance de tes larmes, mais pas du tout de ta volonté.

Pétrarque. J’en atteste le ciel, personne au monde ne sait ce que j’ai souffert et combien j’aurais voulu me relever, si cela m’eût été permis.

S. Augustin. Tais-toi, le ciel et la terre se confondront, les astres tomberont dans les enfers, et les éléments, maintenant amis, se combattront, avant que la Vérité, qui juge entre nous, puisse se tromper.

Pétrarque. Que dites-vous donc ?

S. Augustin. Que tes larmes ont souvent bourrelé ta conscience, mais qu’elles n’ont point changé ta volonté.

Pétrarque. Que de fois vous ai-je dit que je n’ai rien pu au delà !

S. Augustin. Que de fois t’ai-je répondu qu’il était plus vrai que tu n’as pas voulu ! D’ailleurs, je ne m’étonne point que tu sois maintenant en proie aux perplexités qui m’ont agité moi-même quand je méditais de suivre un nouveau genre de vie. Je m’arrachai les cheveux, je me frappai le front, je me tordis les doigts, et, me prenant les genoux à mains jointes, je remplis le ciel et l’air des soupirs les plus amers, j’inondai la terre d’un déluge de larmes, et néanmoins, au milieu de tout cela, je suis resté tel que j’étais jusqu’à ce qu’une méditation profonde m’eût mis devant les yeux toute l’étendue de ma misère. Aussi, dès que j’ai voulu fermement, à l’instant même j’ai pu, et avec une promptitude merveilleuse et très heureuse, j’ai été transformé en un autre Augustin. Tu connais, si je ne me trompe, les détails de cette histoire d’après mes Confessions.

Pétrarque. Oui, je les connais, et je ne puis oublier ce figuier salutaire sous l’ombre duquel le miracle s’est opéré.

S. Augustin. Tu as raison, car ni le myrte, ni le lierre, ni même le laurier que l’on dit cher à Apollon (quoique le chœur entier des poètes en soit épris, et toi surtout qui, seul de ton époque, as mérité de porter une couronne tressée de son feuillage), ne doivent être plus agréables à ton âme, rentrant enfin au port après tant de tempêtes, que le souvenir de ce figuier qui te présage un espoir certain d’amendement et de pardon.
Commenter  J’apprécie          10









{* *}