La vie de Camille est ce qu'elle est, ni meilleure ni pire qu'une autre. Ça n'est jamais ce qu'on vit qui importe, mais comment on le vit, et Camille, elle, le vit bien, merci !
Non qu’elle ignore ou dénigre les aspects pragmatiques du quotidien, les exigences et les contingences, elle s’en sert, bien au contraire, comme balises, comme repères pour pallier son manque évident de fantaisie. Elle sait, par exemple, qu’il faut se nourrir trois fois par jour, à heures régulières, qu’il faut manger de ci, de ça, pour des repas équilibrés, ce qui l’aide à faire ses choix et à répondre aux questions. Elle se plie donc facilement à la discipline du bien-être, tâchant de ne pas dévier des ornières sanitaires.
Une femme d’entre deux âges, plongée dans un épais roman au titre un peu pompeux Au temps où la Joconde parlait1, est assise en face de Louison dont, à peine a-t-elle déchiffré ces mots, l’esprit vagabond s’évade de l’enfer confiné du compartiment. Rien ne le laisse deviner, ses yeux restant fixés sur la couverture du livre de poche. Louison sent qu’elle sourit, et ce qui pouvait encore passer inaperçu quelques instants plus tôt se transforme en véritable image de la jovialité.
Elle sait qu’elle va faire une bêtise...
Nath lui renvoie son sourire, humectant le sien de condescendance : « Tes parents n’ont pas trop mal pris que tu découpes les rideaux du salon pour t’en faire une chemise ? »
Elle adore s’absorber dans des tâches aussi futiles que compter les marches des escaliers, les réverbères des rues, déchiffrer les plaques d’immatriculation ; cela détourne son attention de toute autre chose d’importance. Elle ne veut plus rien savoir que ces mille et un détails tellement exagérés qu’ils occultent le reste, la vie.