Je ris contre sa joue. Roy tourna la tête et captura ma bouche. Le baiser était brutal, profond, rapide. Il y avait encore plus de gens dans la rue maintenant, plus de voitures, plus de bruit. Mais rien de tout ça ne pouvait nous atteindre. Nous avions glissé hors du vrai monde et planions là où la lumière et l'ombre faisaient l'amour pour créer les couleurs de l'univers.
— Un hôpital psychiatrique ?
— Ouais. Après la mort de mon père, les cauchemars ne restaient plus dans ma tête.
— Pourquoi tu ne m'as rien dit ?
Mon rire se coinça dans ma gorge.
— Comment tu dis à quelqu'un que tu es fou ?
— Tu n'es pas...
— Si. Je le suis. Je t'ai dit que j'étais une maladie. Je suis malade, Roy. J'ai toujours été malade.
Les hivers chauds amenaient plus de dangers que la glace mince. Cela causait des changements dans les routes migratoires aussi bien que dans les habitudes d’hibernation de divers animaux, les laissant éveillés et affamés alors qu’ils auraient dû dormir pendant la saison.
Le barrage de ses souvenirs se rompit, laissant derrière lui les murs d'une maison, un sol, une table, un poêle à bois, l'odeur de la viande récemment cuisinée et l'homme qu'il connaissait. Il l'avait tenu la nuit dernière, gardant les cauchemars à distance, il lui avait procuré du réconfort, du plaisir, puis il avait risqué sa vie pour lui remplir le ventre. Parce que, pour une foutue raison inconnue, il avait choisi de le sauver, plutôt que de le laisser geler à mort ou être dévoré vivant.
Retourner dans le monde, parmi des gens, où la technologie vous identifiait grâce à vos empreintes digitales ou encore à un programme de reconnaissance faciale, où un homme ne pouvait pas obtenir un travail sans numéro de sécurité sociale et une vérification de ses antécédents, cela reviendrait à envoyer une fusée afin que Salvatore puisse le retrouver.
– J'ai causé pas mal de problèmes il y a quelques années à deux adjoints. Georges était toujours le shérif
à cette époque. Il les a virés et ils l'ont mené au tribunal. La décision du juge a coûté pas mal d'argent à la
ville et ils ont gardé leur boulot. Il me rappelle régulièrement qu'ils n'ont pas oublié.
Il y avait une chose qui ne l'effrayait pas. Une chose dont il se languissait chaque jour. Quelqu'un pour
le prendre dans ses bras quand la frustration lui mettait les larmes aux yeux, quelqu'un qui comprendrait
ses peurs et quelqu'un qu'il écouterait raconter ses rêves. Une fin de solitude.
– Tu dois me promettre une chose, Jon.
– Tout ce que tu veux.
– Si quelque chose devait arriver, j'aimerais que tu prennes soin de Rudy.
– Il ne t'arrivera rien.
– Je sais que c'est beaucoup demander. Je sais que c'est un énorme fardeau. Mais je dois savoir qu'il sera
en sécurité.
Vivre cependant, surtout ici, équivalait à une punition auto-infligée. Chaque jour qu’il se réveillait revenait à effectuer une période de pénitence pour toutes les choses terribles qu’il avait faites.
L’enfer sur terre. Au lieu du feu, il y avait les montagnes et la neige.
La force contenue dans le corps de Keegan n’était pas du genre fabriquée à partir de suppléments alimentaires ou d’haltérophilie. C’était le genre d’homme qui l’avait gagnée en vivant dans un endroit, d’une manière qu’aucune personne civilisée ne devrait avoir à le faire.