Saturday Night and Sunday Morning (1960) film, extrait
Dès mon arrivée au Borstal, ils ont fait de moi un coureur de fond en cross. Ca doit être parce qu'ils trouvaient que j'avais la découpure qu'il faut, parce que j'étais grand et musclé pour mon âge (et je le suis toujours). Au fond, pour vous dire le vrai, je ne m'en faisais guère pour ça, parce que, de courir, ç'a tout le temps été le fort dans notre famille, surtout quand il s'agit de se défiler de la police. Moi, j'ai toujours été bon à la course, avec à la fois du sprint et de la foulée, mais le seul ennui, c'est que malgré toute ma vitesse, et pour savoir jouer les flûtes, vous pouvez être sûr que je m'y connais, même si c'est moi qui vous le dis, c'est pas ça qui m'a empêché de me faire piger par les cognes le jour que j'ai fait la boulangerie.
Parce que, quand je suis levé à cinq heures du matin, par un temps gris et glacé, le ventre creux et frissonnant sur les dalles de pierre à en attraper la crève, tandis que tous les copains en ont encore une heure à pioncer avant qu'on sonne la cloche, et que moi, je me défile en douce par les corridors pour gagner la grande porte avec ma perm spéciale de coureur à la main, je me sens à la fois comme le premier et le dernier des hommes sur terre.
Tout ça m’amène à réfléchir sur cette façon que j’ai souvent d’avoir le cafard. Le sac à charbon que l’on a au-dedans de soi et le noir qu’il vous met sur la bouillotte, ça ne veut pas forcément dire qu’on va se pendre, ou se flanquer sous un autobus, ou se jeter par la fenêtre, ou se couper la gorge avec une boîte à sardines, ou se mettre la tête dans le fourneau à gaz, ou aller fourrer la fichue défroque de sa carcasse sur une voie de chemin de fer. Parce que, quand on a vraiment le noir, on n’arrive même pas à se décoller de sa chaise.
Parce que quand le directeur m'a dit d'être honnête, c'était à sa façon à lui, pas à la mienne.
NDL : chacun son éthique,
chacun ses valeurs.
Ils peuvent nous espionner pourvoir si nous ne jouons pas à des jeux solitaires et si nous bossons bien ou si nous ne séchons pas nos cours de gym, mais ils ne peuvent pas passer nos tripes aux rayons X pour savoir ce que nous nous disons à nous-mêmes.
C’est ça, qu’ils disent, l’entraînement idéal pour la grande journée des championnats, quand tous les messieurs-dames à groin de cochon –qui ne savent même pas que deux et deux font quatre et qui seraient empotés comme des manches s’ils n’avaient pas leurs esclaves pour les servir au doigt et à l’œil- viendront nous faire de beaux discours pour nous démontrer qu’il n’y a rien comme le sport pour vous ramener dans le droit chemin et vous empêcher d’avoir les doigts qui vous démangent de taquiner les serrures de leurs boutiques et de leurs coffres-forts, ou de vider les pennies de leurs compteurs à gaz avec des épingles à cheveux. Et comme récompense, on vous donnera un bout de ruban bleu et une coupe, après que vous vous serez bien esquintés à courir ou à sauter, tout comme des canassons, avec cette différence que les canassons, eux, on les traite mieux que nous ensuite.
"Nous voulons te faire confiance pendant que tu seras ici." qu'il disait en défroissant son journal avec ses mains de feignant blanches comme le lis, pendant que je lisais les grosses lettres à l'envers :
Daily Telegraph.
Les chanteurs attablés dans la salle en plusieurs groupes tumultueux avaient vu Arthur se diriger en titubant vers le haut de l'escalier, mais, bien qu'ils eussent tous dû savoir qu'il était ivre mort, et se rendre compte du danger qu'il allait courir, pas un seul n'avait essayé de lui parler et de le reconduire à son siège. Avec onze pintes de bière et sept petits verres de gin dans l'estomac, il avait roulé du palier jusqu'au bas des marches.
Le temps s’écoulait tout doucement : l’aiguille des minutes de l’horloge semblait calée dans une position invariable. Les deux fillettes se regardaient mutuellement et n’avaient pas conscience de sa présence : lui se retrancha en lui-même en sentant tout le néant de ce monde et en se demandant comment il arriverait à supporter tous les jours qui lui semblaient s’allonger sans but devant lui, comme des produits fabriqués qu’emporte une bande transporteuse déréglée. […] Tout ce qu’il pouvait voir de son passé, c’était une brume grisâtre, et dans son avenir, la même brumasse mystérieuse qui ne dissimulait que le néant.
Notre gâteux de salaud de directeur, notre vérolé de patron à moitié crevé, aussi creux qu’un fût de pétrole vide, voudrait bien qu’avec mes facultés de coureur je le couvre de gloire, que je lui infuse du sang et une pulsation qu’il n’a jamais eus ; il voudrait bien que ses enflés de copains en soient les témoins pendant que je passerais en titubant et hors d’haleine devant le poteau d’arrivée, pour qu’il puisse déclarer : « Mon Borstal a gagné la Coupe, vous voyez. […]