Si aucune bête n’est malade, le sommeil du paysan est bercé d’une multitude de bruits qui, se fondant les uns aux autres, produisent une musique douce qui endort la famille et berce son repos. C’est un bruit de chaîne fait par une lourde vache en se couchant, ce sont les grognements de plaisir des gorets endormis la mamelle en bouche. C’est le léger beuglement, comme pour ne pas réveiller ses voisines, d’une vache qui sent les chaleurs naître dans ses flancs. C’est le même beuglement, mais plus rauque, du taureau attaché à l’autre bout de l’étable.
Soixante ans plus tard, on pourrait s’étonner de la docilité des paysans. Ce serait oublier le fardeau qui, au cours des siècles, avait pesé sur leurs épaules. Depuis la nuit des temps, le glaive et le goupillon s’étaient ligués pour les réduire à l’état d’esclaves. L’obéissance aveugle était leur seconde nature.Obéir au curé et au châtelain leur paraissait aussi naturel que les enfants obéissent à leurs parents.
Jean demeurait planté, gauche, de grosses larmes lui roulant sur les joues, qu’Élodie, dans son délire paroxystique, prit pour des larmes de bonheur alors qu'elles n'étaient que de désespoir. On sait que le cerf aux abois se met à pleurer lorsque sonne l'hallali. C'est ce que Jean fit sans retenue, se sentant cerné par les impitoyables prédateurs de son innocence.