Ivan Vassilievitch regarda s'éloigner le chef de la PJ et comprit à retardement sa gaffe : ce nouveau commissaire principal de la police judiciaire n'était autre que le neveu de l'ex-premier secrétaire du comité de district du parti communiste et, par conséquent, le cousin du jeune adjoint du directeur de l'administration. Kossitsyne avait aussi compris que les policiers rechercheraient, bien sûr, les assassins du pope et du moine Alexeïev pour la frime, mais ne les trouveraient pas, ou bien en trouveraient d'autres - pas les vrais.
Voler de ses propres ailes dans son propre avion - cela n'avait-il pas été le rêve de son enfance quand elle commandait à toute une bande de hooligans dans sa cour ? Non, dans son adolescence ses rêves étaient bien plus terre à terre, comme le veut cet âge. A cette époque-là, le summum de ses désirs, c'étaient une Volga blanche et un cosmonaute ou, au pire, le premier secrétaire d'un quelconque comité régional florissant. Il ouvre la portière et de la voiture émerge une belle et svelte créature aux cheveux d'or répandus sur les épaules, vêtue d"un short blanc et nimbée d'une auréole de mystère, de parfum et d'illusions.
Mais elle avait rencontré un capitaine des paras, ce qui n'était pas si mal. Les capitaines peuvent devenir des généraux à la longue. Le beau cpitaine avait disparu dans des prisons et des camps aussi rapidement qu'il était apparu, laissant sur sa faim une femme qu'il avait éveillée à des caresses passionnées. Papa avait donné à son inconsolable fille unique une Volga blanche et, en annexe, un nouveau fiancé, avant de décamper lui-même en Suisse. Korobov s'y était fait une belle situation. Il savait que tôt ou tard viendraient des temps nouveaux pour la Russie et qu'alors elle se donnerait de nouveaux maîtres ; il en était persuadé et, tel un tigre tapi dans les fourrés, attendait son heure.
Son appartenance à une organisation secrète l'élevait à ses propres yeux au-dessus des profanes et son admission au nombre des élus l'enivrait par la promesse de romantiques exploits futurs. Il comprenait mal contre quels adversaires il devrait lutter et quelle serait cette "Russie une et indivisible", mais comprit bien vite que la privatisation allait démarrer dans le pays, et assista avec ardeur aux conférences expliquant les méthodes qui permettraient aux particuliers de s'emparer des biens de l'Etat. Après qu'il eut participé à quelques actions inoffensives contre des étrangers, on lui accorda un mot de passe et un code chiffré, mais surtout des dollars pour la privatisation et on lui ordonna d'attendre l'heure H, à laquelle il serait tenu d'exécuter n'importe quel ordre provenant du centre.