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Citation de Dorian_Brumerive


Il a été longtemps à la mode de croire que les animaux n'avaient qu'un vague instinct et qu'ils ne raisonnaient ni ne sentaient. Descartes l'a dit, Malebranche l'a confirmé; tous deux se sont appuyés sur le témoignage de plusieurs illustres philosophes; - ce qui prouve que les savants n'ont pas le sens commun.
Que Malebranche m'explique, si c'est possible, pourquoi le tigre venait régulièrement tous les soirs faire visite à Louison, et quel scrupule de délicatesse empêchait celle-ci de le suivre au fond des bois et de reprendre sa liberté. C'était (qui pourrait en douter ?) l'amitié de Corcoran qui la retenait à Bhagavapour. Ils se connaissaient et s'aimaient depuis si longtemps, que rien ne semblait plus pouvoir les séparer.
Ils se séparèrent pourtant.
La conversation du grand tigre et de Louison devait être très intéressante, car elle était fort animée. Corcoran, qui prêtait l'oreille et qui entendait la langue des tigres aussi bien que le japonais et le mandchou, la traduisait à peu près ainsi :
- Ô ma chère soeur aux yeux fauves, qui brillent dans la nuit sombre comme les étoiles du ciel, disait le tigre, viens à moi et quitte cet odieux séjour. Laisse là ces lambris dorés et ce palais magnifique. Souviens-toi de Java, cette belle et chère patrie, où nous avons passé ensemble notre première enfance. C'est de là que je suis venu en nageant d'île en île jusqu'à Singapore, et redemandant ma soeur à tous les tigres de l'Asie. J'ai parcouru depuis trois ans Java, Sumatra, Bornéo. J'ai fouillé toute la presqu'île de Malacca. J'ai interrogé tous ceux du Royaumle de Siam, dont le pelage est si soyeux et si lustré, tous ceux d'Ava et de Rangoun, dont la voix retentit comme un éclat de tonnerre, tous ceux de la vallée du Gange, qui règnent sur le plus beau pays de la Terre. Enfin, je te retrouve ! Viens au bord du fleuve limpide, au milieu des vertes forêts. Mon palais à moi, c'est la vallée immense, c'est la montagne qui se perd dans les nuages, le Gaurisankar, dont nul pied humain n'a foulé les neiges éternelles. Le monde entier est à nous, comme il est à toutes les crétaures qui veulent vivre librement sous les regards de Dieu. Nous chasserons ensemble le daim et la gazelle, nous étranglerons le lion orgueilleux et nous braverons le lourd éléphant, le misérable esclave de l'homme. Notre tapis sera l'herbe fraîche et parfumée de la vallée, notre toit sera la voute céleste. Viens avec moi...
En même temps, une mélodie étrange, qui avait l'apparence d'un rugissement sauvage, roulait dans son gosier en escades sonores.
Louison ne se laissa pas émouvoir. D'un coup d'oeil expressif, elle lui montra Corcoran, ce qui dans la langue des tigres, signifiait assez clairement :
- Mon cher frère à la robe tachetée, j'écoute avec palisir tes discours, mais il y a des témoins.
Les yeux du tigre se tournèrent aussitôt vers le Malouin et exprimèrent la plus terrible férocité, ce qui signifiait bien évidemment :
- N'est-ce que cet importun qui te gêne ? Sois tranquille, je vais t'en débarrasser sur le champ.
Déjà, il se ramassait pour prendre son élan et sauter sur le mur. De son côté, Corcoran s'apprêtait à le recevoir avec son révolver...
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