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Citations de Alfred Assollant (35)


Je me souvins que mon père, qui n’était pourtant pas un savant, m’avait souvent dit que le ciel était tout autre chose que ce qu’on se figure ; que c’était une espace immense où roulaient des milliards d’étoiles, et que ces étoiles étaient un million de fois plus éloignées de nous que le soleil, et qu’elles étaient elles-mêmes des soleils, et qu’autour de chacun de ses soleils tournaient des quantités innombrables de mondes plus grands que la terre entière et la mer ; et je fis réflexion que si notre soleil était si petit en comparaison de cet espace immense, et si petite notre terre en présence du soleil, et si petite ma ville en présence de la terre entière, et moi si petite dans cette ville même, ce n’était pas la peine de s’occuper de mes voisins, ni de leur haine, ni de leur mépris ; que la vie ici-bas était assez courte pour qu’on pût en oublier facilement et promptement toutes les douleurs ; que si ce voisinage m’était insupportable, je pouvais me réfugier dans ma chambre et que mon âme trouverait aisément un abri dans ces pensées et dans ces espérances, qu’il n’était au pouvoir de personne de m’enlever.
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Sabre en main, corbleu ! Et souvenez-vous que votre aïeul Rama aurait avalé dix mille Anglais comme un œuf à la coque !
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Enfin, le 26 mai 1857, l'académie était en séance, on remit au président la carte d'un étranger qui demandait à être admis sur le champ.
Sur cette carte était le nom : Le capitaine Corcoran.
"Corcoran ! dit le président, Corcoran ! Quelqu'un connaît-il ce nom là ?"
Personne ne le connaissait. Mais l'assemblée qui était curieuse comme toutes les assemblées, voulut voir l'étranger.
La porte s'ouvrit et le capitaine Corcoran parut.
C'était un grand jeune homme de vingt-cinq ans à peine, qui se présenta simplement, sans modestie et sans orgueil......
(extrait du premier chapitre, intitulé "prologue", du volume paru dans la collection "10/18" en 1975)
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- C'est encore Mlle Louison qui s'amuse ?Allez la calmer un instant, monsieur, ou la menacer du fouet, car on n'y peut plus tenir.
- Ici, Louison, ici ! s'écria Corcoran sans quitter son fauteuil.

A cet appel, la porte s'ouvrit comme enfoncée par une catapulte, et l'on vit apparaitre un tigre royal d'une grandeur et d'une beauté extraordinaires. D'un bond, l'animal s'élança par dessus la tête des académiciens et vint tomber aux pieds du capitaine Corcoran.
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Permettez-moi seulement de dire que j’aime mieux, toute pauvre qu’elle est, la condition d’une ouvrière qui fait sa volonté matin et soir, que celle d’une demoiselle qui aurait en dot des terres, des prés, des châteaux, des fabriques et des billets de banque, et qui obéit toute sa vie, – fille à son père, et femme à son mari.
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Il a été longtemps à la mode de croire que les animaux n'avaient qu'un vague instinct et qu'ils ne raisonnaient ni ne sentaient. Descartes l'a dit, Malebranche l'a confirmé; tous deux se sont appuyés sur le témoignage de plusieurs illustres philosophes; - ce qui prouve que les savants n'ont pas le sens commun.
Que Malebranche m'explique, si c'est possible, pourquoi le tigre venait régulièrement tous les soirs faire visite à Louison, et quel scrupule de délicatesse empêchait celle-ci de le suivre au fond des bois et de reprendre sa liberté. C'était (qui pourrait en douter ?) l'amitié de Corcoran qui la retenait à Bhagavapour. Ils se connaissaient et s'aimaient depuis si longtemps, que rien ne semblait plus pouvoir les séparer.
Ils se séparèrent pourtant.
La conversation du grand tigre et de Louison devait être très intéressante, car elle était fort animée. Corcoran, qui prêtait l'oreille et qui entendait la langue des tigres aussi bien que le japonais et le mandchou, la traduisait à peu près ainsi :
- Ô ma chère soeur aux yeux fauves, qui brillent dans la nuit sombre comme les étoiles du ciel, disait le tigre, viens à moi et quitte cet odieux séjour. Laisse là ces lambris dorés et ce palais magnifique. Souviens-toi de Java, cette belle et chère patrie, où nous avons passé ensemble notre première enfance. C'est de là que je suis venu en nageant d'île en île jusqu'à Singapore, et redemandant ma soeur à tous les tigres de l'Asie. J'ai parcouru depuis trois ans Java, Sumatra, Bornéo. J'ai fouillé toute la presqu'île de Malacca. J'ai interrogé tous ceux du Royaumle de Siam, dont le pelage est si soyeux et si lustré, tous ceux d'Ava et de Rangoun, dont la voix retentit comme un éclat de tonnerre, tous ceux de la vallée du Gange, qui règnent sur le plus beau pays de la Terre. Enfin, je te retrouve ! Viens au bord du fleuve limpide, au milieu des vertes forêts. Mon palais à moi, c'est la vallée immense, c'est la montagne qui se perd dans les nuages, le Gaurisankar, dont nul pied humain n'a foulé les neiges éternelles. Le monde entier est à nous, comme il est à toutes les crétaures qui veulent vivre librement sous les regards de Dieu. Nous chasserons ensemble le daim et la gazelle, nous étranglerons le lion orgueilleux et nous braverons le lourd éléphant, le misérable esclave de l'homme. Notre tapis sera l'herbe fraîche et parfumée de la vallée, notre toit sera la voute céleste. Viens avec moi...
En même temps, une mélodie étrange, qui avait l'apparence d'un rugissement sauvage, roulait dans son gosier en escades sonores.
Louison ne se laissa pas émouvoir. D'un coup d'oeil expressif, elle lui montra Corcoran, ce qui dans la langue des tigres, signifiait assez clairement :
- Mon cher frère à la robe tachetée, j'écoute avec palisir tes discours, mais il y a des témoins.
Les yeux du tigre se tournèrent aussitôt vers le Malouin et exprimèrent la plus terrible férocité, ce qui signifiait bien évidemment :
- N'est-ce que cet importun qui te gêne ? Sois tranquille, je vais t'en débarrasser sur le champ.
Déjà, il se ramassait pour prendre son élan et sauter sur le mur. De son côté, Corcoran s'apprêtait à le recevoir avec son révolver...
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De tous côtés on se sauvait. — le caïd en tête et le chaouch en queue. On fermait les portes des boutiques, on invoquait Allah, on se cachait comme on pouvait. Les hommes hurlaient, les femmes pleuraient, les chiens aboyaient, tout le monde avait l’air sens dessus dessous.
La veuve Mouilletrou elle-même prit la parole et dit :
« Mes enfants, c’est pas tout ça. Le lion va venir. Vous ne comptez pas sans doute que je vais laisser ma boutique ouverte pour lui offrir un mêlé-cass ?… Allez-vous-en tout à fait ou rentrez ! Je vais fermer la porte. »
Pitou répondit :
« Madame Mouilletrou, c’est bien parlé. Je rentre, et nous allons fermer. »
Mais moi, ça m’humilia. Je dis à mon tour :
« Pitou, tu peux rester. Moi, je vais voir comme c’est fait, un lion.
— Pas possible ! » cria Pitou étonné.
Je répliquai :
« Si possible, Pitou, que c’est vrai. »
Il me dit encore :
« Tu me lâches donc ?
— Ce n’est pas moi qui te lâche, Pitou, c’est toi qui me lâches ; et l’on dira dans tout l’univers, quand on saura ce qui s’est passé : « Ce n’est pas Dumanet qui a lâché Pitou, en face du lion, c’est Pitou qui a lâché Dumanet. »
Pitou serra les poings.
« Alors, ça serait donc pour dire que je suis un lâche, Dumanet ! Ah ! vrai ! je n’aurais jamais cru ça de toi.
— Mais non, Pitou, tu ne seras pas un lâche, mais un lâcheur ; c’est bien différent. »
Il se jeta dans mes bras.
« Ah ! tiens, Dumanet, c’est toi qui n’as pas de cœur, de dire de pareilles choses à un ami !
— Alors tu viens avec moi ?
— Pardi ! »
À ce moment, un bruit qui ressemblait à celui du tonnerre se fit entendre dans la vallée, du côté de la montagne. La veuve Mouilletrou, toujours pressée de fermer sa porte, nous dit :
« Ah çà, voyons, entrez-vous ou sortez-vous, paire de blancs-becs ? Vous n’entendez donc pas le rugissement du lion ? »
En effet, c’était bien ça.
« Pour lors, dit Pitou, rentrons. »
Mais il était trop tard. La mère Mouilletrou avait fermé sa cambuse et ne l’aurait pas rouverte pour trente sacs de pommes de terre.
Alors je dis :
« Pitou, le gueux va descendre. Allons chercher nos fusils à la caserne. »
Il me suivit. Nous chargeâmes nos fusils et nous remontâmes jusqu’au bout du village. On n’entendait plus rien, rien de rien, oh ! mais ! ce qui s’appelle rien. Le gueux, qui avait fait peur à tout le monde, ne disait plus rien. Quant aux hommes, aux femmes et aux autres bêtes, ils ne remuaient pas plus que des marmottes en hiver.
Alors Pitou me dit :
« La nuit va venir, Dumanet… Rentrons ! »
Je répondis :
« Pitou, le sergent nous a vus charger nos fusils pour tuer le lion. Si nous rentrons sans l’avoir tué, on dira : « Ce Pitou, ce Dumanet, ça fait de l’embarras ; ça veut tuer les lions comme des lapins, et ça revient au bout d’un quart d’heure ; ça se donne pour des guerriers de fort calibre, et c’est tout bonnement des farceurs, des propres à rien, des rien du tout, des rossards, quoi ! » Et nous serons déshonorés. »
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Le géant s'agenouilla et voulut baiser la main de sa fiancée: mais celle-ci, effrayée de se voir unie à un pareil homme, ne put s'empêcher de se cacher le visage dans les mains en pleurant.
- Ne faites la prude ni la mijaurée, s'écria Pantafilando, ou, par le ciel, je...
- Que feras-tu ? dit Pierrot d'un ton qui attira sur lui l'attention générale.
Jusqu'ici notre ami avait gardé un silence prudent. Au fond, il se souciait fort peu que Vantripan ou Pantafilando régnât sur la Chine. "Que me font leurs affaires ?" pensait-il. "Vantripan m'a nommé capitaine des gardes, et je suis prêt à me battre pour lui, s'il m'en donne le signal; mais s'il ne réclame pas mes secours, s'il se laisse détrôner, s'il aime mieux la paix que la guerre, est-ce à moi de me faire estropier pour lui ? Si les Chinois supportent les Tartares, est-ce à moi de les trouver insupportables ?"
Ces réflexions lui firent garder la neutralité jusqu'au moment où il vit pleurer la belle Bandoline. C'est ici le lieu de vous avouer une faiblesse de Pierrot.
Il était amoureux de la princesse. J'en suis bien fâché, car Pierrot n'etait qu'un paysan, et si l'on voit des rois épouser des bergères, on vit rarement des reines épouser des bergers. L'amour ne raisonne pas, et Pierrot passait toutes les nuits où il n'était pas de garde à veiller sous les fenêtres de la trop adorée Bandoline. Il l'aimait parce qu'elle était belle, et aussi, sans qu'il s'en rendit compte, parce qu'elle était fille de roi et qu'elle avait de magnifiques robes.
Pierrot disait :
- Je suis capitaine, je serai général, je vaincrai l'ennemi, je conquerrai un royaume, et je l'offrirai à la belle Bandoline avec ma main.
Il ne parla cependant pas de son projet à sa marraine, confidente ordinaire de ses pensées, mais elle le devina.
- Le papillon va se brûler les ailes à la chandelle, dit-elle; tant pis pour lui ! L'homme ne devient sage qu'à ses dépens. Ce n'est pas moi qui ai fait la loi, mais je ne veux pas l'aider à la violer.
L'amoureux Pierrot fut donc saisi d'indignation, en voyant cette princesse adorée sur le point de passer aux mains du géant. Dans un premier mouvement dont il ne fut pas maître, il tira son sabre. Pantafilando fut d'abord si étonné, qu'il ne trouva pas un mot à dire. Puis la colère et le sang lui montèrent au visage avec tant de force qu'il faillit succomber à une attaque d'apoplexie. Son front se plissa et ses yeux terribles lancèrent des éclairs. Tous les assistants frémirent; seul, l'indomptable Pierrot ne fut pas ébranlé. La princesse jeta sur lui un regard où se peignaient la reconnaissance et la frayeur de le voir succomber dans un combat inégal. Ce regard éleva jusqu'au ciel l'âme de Pierrot.
- Prends le royaume de la Chine, le Tibet et la Mongolie, s'écria-t-il; prends le royaume de Népal où les rochers sont faits de pur diamant; prends Lahore et Kashmir, qui est la vallée du paradis terrestre; prends le royaume du Grand-Lama si tu veux; mais ne prends pas ma chère princesse, ou je t'abats comme un sanglier.
- Et toi, dit Pantafilando transporté de colère, si tu ne prends pas la fuite, je vais te prendre les oreilles.
À ces mots, levant son sabre, il en asséna sur Pierrot un coup furieux.
Pierrot l'évita par un saut de côté. Le sabre frappa sur la table de la salle à manger, la coupa en deux, entra dans le plancher avec la même facilité qu'un couteau dans une motte de beurre, descendit dans la cave, trancha la tête à un malheureux sommelier qui, profitant du désordre général, buvait le vin de Schiraz de Sa Majesté, et pénétra dans le sol à une profondeur de plus de dix pieds.
Pendant que le géant cherchait à retirer son sabre, Pierrot saisit une coupe de bronze qui avait été ciselée par le célèbre Li-Ki, le plus grand sculpteur qu'ait eu la Chine, et la lança à la tête du géant avec une raideur telle que, si, au lieu de frapper le géant au front, comme elle le fit, elle eût frappé la muraille, elle y eût fait un trou pareil à celui d'un boulet de canon lancé par une pièce de 48.
Mais le front de Pantafilando était d'un métal bien supérieur en dureté au diamant même. Pierrot l'évita par un saut de côté. Le sabre frappa sur la table de la salle à manger, la coupa en deux, entra dans le plancher avec la même facilité qu'un couteau dans une motte de beurre, descendit dans la cave, trancha la tête à un malheureux sommelier qui, profitant du désordre général, buvait le vin de Schiraz de Sa Majesté, et pénétra dans le sol à une profondeur de plus de dix pieds.
Pendant que le géant cherchait à retirer son sabre, Pierrot saisit une coupe de bronze qui avait été ciselée par le célèbre Li-Ki, le plus grand sculpteur qu'ait eu la Chine, et la lança à la tête du géant avec une raideur telle que, si, au lieu de frapper le géant au front, comme elle le fit, elle eût frappé la muraille, elle y eût fait un trou pareil à celui d'un boulet de canon lancé par une pièce de 48. Mais le front de Pantafilando était d'un métal bien supérieur en dureté au diamant même. À peine fut-il étourdi du coup, et, sans s'arrêter à dégager son sabre, il saisit l'un des trois généraux qui l'avaient suivi, et qui regardaient le combat en silence, et le jeta sur Pierrot. Le malheureux Tartare alla frapper la muraille, et sa tête fut écrasée comme une grappe de raisin mûr que foule le pied du vendangeur. À ce coup. la reine et la princesse Bandoline, qui seules étaient restées dans la salle après la fuite des dames de la cour, s'évanouirent de frayeur.
Pierrot lui-même se sentit ému. Tous les autres spectateurs, immobiles et blêmes, s'effaçaient le long des murailles, et mesuraient de l'œil la distance qui séparait les fenêtres du fleuve Jaune qui coulait au pied du palais. Malheureusement, Pantafilando avait fait fermer les portes dès le commencement du combat.
Vantripan criait de toute sa force :
- C'est bien fait, seigneur Pantafilando, tuez-moi ce misérable qui ose porter la main sur mon gendre bien-aimé, sur l'oint du Seigneur !
Le prince Horribilis, non moins effrayé, priait Dieu à haute voix pour qu'il lançât sa foudre sur ce téméraire, ce sacrilège Pierrot, qui osait attaquer son beau-frère et aimer sa sœur.
- Lâches coquins, pensa Pierrot, si je meurs, ils me feront jeter à la voirie; si je suis vainqueur, ils recueilleront le fruit de ma victoire ! J'ai bien envie de les laisser là et de faire ma paix avec Pantafilando. Rien n'est plus facile; mais faut-il abandonner Bandoline ?
Tout à coup, il s'aperçut que sa belle princesse était évanouie. En même temps, Pantafilando, ouvrant la porte, criait à ses Tartares de venir à son secours. "Je serais bien fou de les attendre", dit Pierrot; et, prenant son élan, d'une main il saisit sa bien-aimée par le milieu du corps, de l'autre il ouvre la fenêtre et s'élance dans le Fleuve Jaune avec Bandoline.
Son action fut si prompte et si imprévue que le géant n'eut pas le temps de s'y opposer. Il vit avec une rage impuissante Pierrot nager jusqu'à la rive opposée, et là, rendre grâces au Ciel qui avait sauvé sa princesse et lui d'un épouvantable malheur.
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C'est alors que je pus parler à plusieurs cipayes, dont l'un est sergent et affilié à notre conspiration.
Ah ! Seigneur, c'est un plaisir de voir comme ils haïssent et méprisent ces maudits Anglais !
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En un clin d'oeil, elle eut étranglé quatre ou cinq officiers de marque. En vain Corcoran voulait la rappeler. Elle n'écoutait plus rien.

Cependant, les Anglais, mis d'abord en désordre par cette attaque imprévue, reprenaient lentement leur sang-froid.

Barclay, sans s'étonner, reçut intrépidement la charge impétueuse de Corcoran, et, reconnaissant le maharajah dans la mêlée, donna ordre à cinquante cavaliers bien montés de s'attacher à ses pas et de faire tous leurs efforts pour le tuer. Lui-même se mit à leur tête, jugeant avec raison que la mort du maharajah terminerait promptement la guerre.

Il s'en fallut de peu que le calcul de Barclay ne réussît; mais il avait compté sans Louison.

La tigresse s'aperçut bientôt qu'on cherchait à envelopper Corcoran. A cette vue, elle fit un bond formidable qui la porta au milieu d'un gros de cavaliers, parmi lesquels le Malouin entouré s'ouvrait à grand'peine un passage à coups de pointe.
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On ne croira pas sans doute qu'il soit nécessaire de donner une description de la bataille. Corcoran, qui aurait pu être à volonté Alexandre, Annibal ou César, mais qui préférait être Corcoran, remporta une victoire complète. Pendant que son artillerie barrait la route aux Anglais et, à chaque décharge, emportait des files entières, il entrait avec sa cavalerie parmi eux comme le couteau dans le beurre, et les Mahrattes, excités par son exemple, firent des merveilles.

Mais rien n'approchait de Louison.

Elle s'avançait lentement à la droite de Corcoran, comme un bon colonel qui va passer en revue son régiment; mais aussitôt qu'elle aperçut les habits rouges, elle bondit de fureur, et, sans que personne pût la retenir, elle s'élança sur eux.
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Son artillerie enfilait la chaussée. Derrière l'artillerie, on apercevait une nombreuse infanterie destinée à la soutenir.

Pour lui, à la tête de six régiments de cavalerie et de huit régiments d'infanterie (car il n'avait laissé derrière ses canons qu'une faible partie de son corps d'armée, afin de faire prendre le change à l'ennemi sur ses desseins), il fit secrètement le tour des marais, s'engagea dans les jungles et tomba tout à coup sur les derrières des Anglais.
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Les Anglais s'avançaient en bon ordre, mais sur un terrain désavantageux. A droite et à gauche de la grande route s'étendaient de vastes marais. Corcoran, qui avait d'avance étudié le champ de bataille, profita de cette disposition du terrain.
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Pantafilando saisit une des portes du cirque où avait lieu le combat et la jeta sur Pierrot. Celui-ci, saisissant une autre porte, para le coup et lança à son tour sa porte, qui atteignit le géant à la cuisse. Il fut abattu du coup, et, se relevant sur un genou, essaya inutilement de continuer le combat. D'un coup de sabre, il coupa une oreille à Pierrot; mais celui-ci para encore avec son propre sabre, sans quoi celui du géant, poursuivant son chemin, l'aurait fendu en deux, et d'un revers, il coupa la tête de Pantafilando.
Un long cri de joie s'éleva de toutes parts. Tout le monde cria :
- Gloire et longue vie au vaillant Pierrot !
Et la belle Bandoline, touchée de tant d'amour et de tant de courage, se leva elle-même pour aller au-devant du vainqueur; mais quand elle ne fut plus qu'à trois pas, elle s'écria tout à coup avec horreur :
- Ôtez-moi cet objet effroyable !
Le malheureux Pierrot, qui s'était cru au comble du bonheur, se vit rejeté dans les abîmes du désespoir. Il avait oublié son oreille, aux trois quarts détachée par le sabre de Pantafilando. C'était cette pauvre oreille, coupée à son service, qui avait fait pousser à la princesse ce cri d'horreur, et il faut avouer qu'un héros qui n'a qu'une oreille devrait se rendre justice et ne pas paraître devant les dames.
Quoi qu'il en soit, à peine Bandoline eut-elle dit d'ôter cet objet effroyable, que Pierrot, qui se croyait l'idole du peuple, fut abandonné en un instant. Les Tartares s'étaient enfuis après la mort de leur chef. Les Chinois coururent au palais de Vantripan, le proclamèrent roi de nouveau, lui jurèrent fidélité, et Pierrot, tout saignant, alla se faire panser chez le chirurgien.
- Mort et damnation ! s'écria Vantripan en se mettant à table; ma contenance ferme a singulièrement imposé à l'ennemi !
- Sire, dit le ministre de la guerre, la bouche pleine, vous avez montré une âme vraiment royale, et César n'était qu'un pleutre auprès de vous.
- J'aime à voir, lui dit le roi, qu'on me dit la vérité sans flatterie. Pour ta peine, je te donne une pension de cent mille livres sur ma cassette privée... Donne-moi du pâté d'anguilles !
- Sire, dit le ministre, je remercie Votre Majesté, et j'ose dire que mon dévouement...
- C'est bon ! C'est bon ! Donne-moi du pâté, morbleu ! Ton dévouement m'ennuie et tes phrases me font bâiller... Où donc étais-tu, ajouta-t-il au bout d'un instant, pendant le règne de Pantafilando ?
- Sire, j'imposais, comme Votre Majesté, à ces Tartares par ma contenance.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu imposais, dis-tu, comme Ma Majesté ? Tu oses te comparer à moi, bellâtre ?
- Sire...
- À moi, maroufle ?
- Sire...
- À moi, misérable menteur ? À moi, arlequin ? À moi, polichinelle ? À moi ?
- Sire...
- Gardes, emmenez-le et qu'on l'empale ! Voilà, ajouta Vautripan, comment je sais punir un traître... Horribilis !
- Mon père ?
- Va chercher Pierrot.
- Mon père, vous n'y songez pas. Moi, l'héritier présomptif de la couronne, aller chercher un simple officier des gardes !
- Héritier présomptif, cours chercher Pierrot, ou je vais te jeter mon assiette à la tête !
- J'y vais, mon père, dit Horribilis.
Et il disait en lui-même : "Coquin de Pierrot, tu me payeras cette humiliation".
Pierrot parut bientôt. Il était pansé, et, franchement, les linges qui enveloppaient sa blessure ne l'embellissaient pas.
- C'est donc toi, dit Vautripan, qui a tué Pantafilando ?
- Oui, Sire, répondit modestement Pierrot.
- Pourquoi l'as-tu fait sans mon ordre ? Je me réservais d'essoriller ce bandit de ma main.
- Sire, je l'ignorais, dit Pierrot qui riait en pensant à la mine du grand Vautripan le jour de l'entrée de Pantafilando.
- Je te pardonne cette fois. À l'avenir, ne montre pas de zèle.
- Il suffit, seigneur.
- Ce n'est pas tout, Pierrot, Je veux plus que jamais, malgré ton étourderie, t'attacher à ma personne. Je te fais grand connétable...
- Sire !...
- Grand amiral !...
- Sire !...
- Grand échanson !...
- Sire !...
- Et grand... tout ce que tu voudras. Tu ne me quitteras plus : tu déjeuneras, dîneras, souperas avec moi, et pour m'endormir, tu me conteras des histoires.
- Sire, dit Pierrot, tant de faveurs vont me faire bien des envieux.
- Tant mieux, morbleu ! Je veux qu'on enrage.
- Et je crains bien de mal remplir tant de fonctions à la fois.
- Qu'est-ce que cela te fait, si je te trouve propre à tout ? Crois-tu que ceux qui l'ont précédé les remplissaient mieux ?
- Sire, dit Pierrot poussé dans ses derniers retranchements, où prendrai-je le temps de dormir ?
- Dormir ?! Tu ne m'as donc pas compris ! C'est pour que je dorme qu'il faut que tu veilles. Dormir ! Le devoir d'un fidèle sujet est de veiller sur son roi, et non de dormir.
"J'aurais mieux fait", pensa Pierrot, "de suivre le conseil de la fée et de retourner à la maison".
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À peine Pierrot et la princesse eurent-ils mis pied à terre qu'ils se dirigèrent vers la tente du général en chef. Cet indomptable guerrier, nommé Barakhan, était le neveu de Vantripan, et il avait plus d'une fois jeté les yeux avec envie sur sa cousine et sur la couronne que portait son oncle. Aussi Vantripan, avec son discernement ordinaire, l'avait, pour l'éloigner de la cour, mis à la tête de l'armée. À peine la princesse eut-elle fait le récit de ses malheurs et raconté les exploits de Pierrot à son cousin, que celui-ci frappa dans ses mains. Un esclave parut.
- Qu'on appelle les généraux au conseil, et que toute l'armée prenne les armes !
En même temps, il se revêtit des insignes royaux, et, quand tous les principaux officiers furent assemblés, il prit, au grand déplaisir de Pierrot, la main de sa cousine, et dit :
- Amis, Vantripan est détrôné; Horribilis ne vaut guère mieux. Tous deux sont prisonniers du cruel Pantafilando. Je suis donc l'héritier légitime de la couronne, et j'épouse ma cousine que voici, la princesse Bandoline, Reine de Beauté. Si quelqu'un de vous s'y oppose, je vais le faire empaler.
- Vive le roi Barakhan Ier ! cria tout d'une voix l'assemblée.
La princesse Bandoline tourna sur Pierrot des yeux si languissants et si beaux qu'il ne put résister leur prière.
- À bas Barakban, l'usurpateur ! cria-t-il avec courage. Vive à jamais Vantripan, notre roi légitime !
- Qu'on saisisse cet homme et qu'on l'empale, dit Barakhan.
Pierrot tira son sabre et décrivit en l'air un cercle. Trois têtes de mandarins tombèrent comme des pommes trop mûres et roulèrent aux pieds de l'usurpateur. Tout le monde s'écarta. Barakhan lui-même sortit de la tente en appelant ses gardes. En quelques minutes, Pierrot se vit entouré de six mille hommes. Personne n'osait l'approcher, mais on faisait pleuvoir sur lui une grêle de pierres et de flèches.
- Où me suis-je fourré ? pensa notre héros.
Et il se précipita au plus épais de la foule; mais si prompt que fût son mouvement, celui des assaillants fut plus prompt encore à l'éviter. Il se trouva le centre d'un nouveau cercle, aussi épais que le premier, aussi facile à forcer, aussi prompt à se reformer. Heureusement il lui vint une idée : il aperçut Barakhan qui, monté à cheval et caché derrière ses gardes, les excitait à se jeter sur lui. Sur-le-champ, d'un bond, il saisit, à droite et à gauche, un homme de chaque main, et, sans faire de mal à ses deux prisonniers, il les appliqua l'un sur sa poitrine et l'autre sur son dos pour se garantir des flèches qu'on lui lançait. Aussitôt les gardes cessèrent de le harceler pour ne pas frapper leurs camarades. Pierrot profita de ce temps d'arrêt, lâcha le prisonnier qu'il tenait serré sur sa poitrine, et faisant tournoyer son sabre autour de sa tête avec la force lente, régulière et irrésistible d'un faucheur qui coupe l'herbe des prés, il abattit en une minute quinze ou vingt têtes parmi les plus voisines. On s'écarta de nouveau, et si brusquement que Pierrot se trouva en face de Barakhan. Celui-ci voulut fuir, mais la foule était trop épaisse. Il lança son cheval sur Pierrot, mais notre ami l'évita, prit d'une main la bride du cheval, et de l'autre saisissant Barakhan par la jambe, il l'enleva de la selle, le fit tourner quelque temps comme une fronde, et le lança avec une telle force que le malheureux prince s'éleva dans les airs jusqu'au-dessus des nuages. En retombant, il aperçut, à droite, les sommets neigeux du Dawalagiri, qui réfléchissaient les rayons du soleil, et à gauche, les monts Kouen-Lun, qui dominent la Grande-Mandchourie et qu'aucun voyageur n'a encore visités; mais il n'eut pas le temps de faire part à l'Académie des Sciences de ses découvertes, parce qu'au bout de quelques minutes, on le trouva fracassé et brisé en mille morceaux.
À ce spectacle, un cri unanime s'élève dans l'assemblée :
- Vive le roi Vantripan ! Vive Pierrot, notre général ! Vive la princesse Bandoline ! etc...
Et tout le monde courut baiser le pan de l'habit de Pierrot.
- Qu'est-ce ? s'écria-t-il. Tout à l'heure vous m'avez voulu empaler; à présent, vous m'adorez. Avez-vous menti ? Ou mentez-vous ?
- Nous ne mentons jamais, seigneur capitaine. Nous sommes toujours les serviteurs du plus fort. Tout à l'heure, nous avons cru que Barakhan était le plus fort, nous lui avons obéi. Maintenant, nous voyons que vous l'êtes, et nous vous obéissons. Qu'il soit maudit, cet usurpateur, ce Barakhan qui nous a trompés !
"Si jamais je suis roi", pensa Pierrot, "je me souviendrai de la leçon. Mais hâtons-nous de rassurer cette pauvre princesse; elle a dû trembler pour ma vie."
Bandoline n'avait pas tremblé pour la vie de Pierrot. Elle haïssait Barakhan, et avait, pour s'en délivrer, demandé du secours à Pierrot; mais elle regardait la vie de Pierrot comme lui appartenant par droit divin, ainsi que toutes les autres choses de ce monde. C'est ce que le pauvre Pierrot, aveuglé par son amour et son ambition, ne comprenait pas.
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Si quelqu'un s'étonne que les animaux tiennent une place si honorable dans mon histoire, tandis que je néglige les marquis, les comtes, les ducs, les archiducs, les grands-ducs, dont le monde est rempli et comme encombré, j'ose dire que mes héros, bien qu'ils ne marchent pas précédés de tambours et de trompettes, ne sont pas moins intéressants que ceux qui vont parader à la tête des régiments, et que leurs passions ne sont ni moins vives, ni moins violentes.
J'irai plus loin. Scindiah, avec sa gravité, son silence, son sang-froid, son impassibilité et sa trompe immense, qui n'était au fond qu'un nez un peu trop allongé, avait une ressemblance prodigieuse avec plusieurs de ces grands et nobles personnages qui règlent le destin des royaumes. Louison, si fine, si légère, si courageuse, si dévouée à ses amis, aurait pu servir de modèle à plusieurs grandes dames, et elle avait assurément autant d'esprit et de bon sens qu'aucun être humain ou inhumain (le seul Corcoran excepté). Par sa force et son impétuosité, elle en aurait remontré à tous les généraux de cavalerie des temps anciens et modernes; et si elle avait eu la parole, elle eût commandé la charge et donné l'exemple aussi bien que Murat et Blücher.
Que me reprochez-vous donc ? Sommes-nous si sûrs d'être supérieurs à tous les autres êtres de la création, que nulle histoire ne nous plaise, excepté la nôtre ?
Oui, je préfère le tigre à l'homme. Le tigre est beau, il est fort; il n'est pas intempérant ou dissolu; il a peu d'amis, mais il les choisit avec soin et ne s'expose pas à les trahir ou à être trahi par eux; il ne flatte personne; il aime la solitude, comme tous les philosophes illustres; il a horreur de l'esclavage pour lui-même et n'a jamais réduit personne en servitude; - enfin, c'est l'une des plus nobles créatures de Dieu.
De quel homme, si ce n'est de mon lecteur, pourrait-on faire le même éloge ?
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Quinze jours après le départ des Anglais, Corcoran était rentré dans sa capitale. Il jouissait paisiblement avec la belle Sita des fruits de sa prudence et de son courage. Toute l'armée d'Holkar s'était empressée de le reconnaître comme souverain légitime, et les zémindars (gouverneurs de districts) obéissaient sans répugnance apparente au gendre et au successeur du dernier des Raghouides.
- Or ça, dit-il un matin au brahmine Sougriva dont il avait fait son premier ministre, ce n'est pas tout de régner; il faut encore que mon règne serve à quelque chose, car enfin les rois n'ont pas été mis sur terre uniquement pour déjeuner, dîner, souper et prendre du bon temps. Qu'en dis-tu, Sougriva ?
- Seigneur, répondit Sougriva, ce n'était pas d'abord le dessein de Brahma et de Vichnou, lorsqu'ils créèrent les rois.
- Mais d'abord, crois-tu que la royauté vienne en droite ligne de ces deux puissantes divinités ?
- Seigneur, répliqua le brahmine, rien n'est plus probable. Brahma, qui a créé tous les êtres, les lions, les chacals, les crapauds, les singes, les crocodiles, les moustiques, les vipères, les boas constrictors, les chameaux à deux bosses, la peste noire et le choléra morbus, n'a pas dû oublier les rois sur sa liste.
- Il me semble, Sougriva, que tu n'es pas trop respectueux pour cette noble et glorieuse partie de l'espèce humaine.
- Seigneur, réplique le brahmine qui éleva ses mains en forme de coupe, ne m'avez-vous pas fait promettre de dire la vérité ?
- C'est juste.
- Si vous préférez que je mente, rien n'est plus aisé.
- Non, non, il n'est pas nécessaire. Mais tu m'accorderas bien au moins que tous les rois ne sont pas aussi désagréables et aussi nuisibles que la peste et le choléra. Holkar, par exemple...
Ici, Sougriva se mit à rire en silence à la manière des Indous et montra deux rangées de dents blanches.
- Voyons, continua Corcoran, que peux-tu reprocher à celui-là ? N'est-il pas de noble race ? Sita m'assure qu'il est le propre descendant de Rama, fils de Daçaratha et le plus intrépide des hommes.
- Assurément.
- N'était-il pas brave ?
- Oui, comme le premier soldat venu.
- N'était-il pas généreux ?
- Oui, avec ceux qui le flattaient; mais la moitié de son peuple aurait crevé de faim devant la porte du palais sans qu'il fit autre chose pour ces pauvres diables que leur dire : "Dieu vous assiste !"
- Au moins, tu m'avoueras qu'il était juste.
- Oui, quand il n'avait aucun intérêt à prendre le bien d'autrui. Moi qui vous parle, je l'ai vu couper des têtes après dîner pour son plaisir et pour la digestion.
- C'étaient sans doute des têtes de coquins qui l'avaient bien mérité.
- Probablement, à moins que ce ne fussent d'honnêtes gens dont le visage lui déplaisait. Et tenez, voulez-vous connaître à fond le vieux Holkar ? Quel trésor vous a-t-il laissé en mourant ?
- Quatre-vingt millions de roupies, outre les diamants et les pierreries.
- Eh bien, de bonne foi, croyez-vous qu'un roi qui se respecte doive être si riche ?
- Peut-être était-il économe, dit Corcoran.
- Économe, vous le connaissez bien ! reprit amèrement Sougriva. Il a pendant quarante ans dépensé des milliards de roupies pour satisfaire les plus sottes fantaisies qui puissent venir à l'esprit d'un sectateur de Brahma; il bâtissait des palais par douzaines, - palais d'été, palais d'hiver, palais de toute saison; il détournait des rivières pour avoir des jets d'eau dans son parc; il achetait les plus beaux diamants de l'Inde pour en orner la poignée de son sabre, et il avait des sabres par centaines; il faisait venir des esclaves des cinq parties du monde; il nourrissait des milliers de bouffons et de parasites, et il faisait empaler quiconque avait essayé de lui dire la vérité.
- Mais enfin, où prenait-il l'argent ?
- Où il est, c'est-à-dire dans les poches des pauvres gens, et de temps en temps, il faisait couper la tête à un zémindar pour s'emparer de sa succession. C'est même la seule chose populaire qu'il ait jamais faite, car le peuple, qui hait les zémindars plus que la mort, était vengé de sa servitude par leur supplice.
- Comment ! dit Corcoran, cet Holkar que je prenais, à cause de sa barbe blanche et de son air vénérable et doux, pour un vertueux patriarche, digne contemporain de Rama et de Daçaratah, c'était le scélérat que tu dis ? À qui se fier, grand Dieu !
- À personne, réondit sentencieusement le brahmine, car il n'est pas un homme sur cent qui ne soit prêt à commettre des crimes dès qu'il aura le pouvoir absolu. On n'y arrive pas le premier jour, ni même dès le second ou le troisième, mais on glisse sur la pente, insensiblement... Connaissez-vous l'histoire du fameux Aurengzeb ?
- Probablement, mais dis toujours.
- Eh bien, c'était le quatrième fils du Grand Mogol qui régnait à Delhi. Comme il était d'une piété, d'une vertu et d'une sagesse à toute épreuve, son père l'associa de son vivant à l'empire et le nomma d'avance son successeur. Dès qu'Aurengzeb en fut là, sa piété fondit comme le plomb dans le feu, sa vertu se rouilla comme le fer dans l'eau, et sa sagesse s'enfuit comme une gazelle poursuivie par des chasseurs. Son premier acte fut d'enfermer son père dans une prison; le second, de couper la tête à ses frères; le troisième, d'empaler leurs amis et leurs partisans; puis comme son père, quoique prisonnier, le gênait encore, il l'empoisonna; et ne croyez pas que Brahma ou Vichnou l'aient jamais foudroyé ou qu'ils aient même contrarié ses desseins ! Brahma et Vichnou, qui l'attendaient sans doute ailleurs, l'ont comblé de richesses, de victoires et de prospérités de toutes espèces; il est mort à l'âge de quatre-vingt huit ans, honoré comme un Dieu, et sans avoir eu même une seule fois la colique.
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Car il faut vous dire, madame, que je travaillais dans un atelier avec trente ou quarante ouvrières. Chacune de nous avait son métier et gagnait à peu près soixante-quinze centimes. Pour une femme, et dans ce pays, c’est beaucoup ; car les femmes, comme vous savez, sont toujours fort mal payées, et on ne leur confie guère que des ouvrages qui demandent de la patience.
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Ah ! dit le père Bernard, il est bien dur de travailler toute sa vie et d’amasser avec beaucoup de peine quatre ou cinq mille francs pour en faire cadeau au gouvernement ou n’importe à qui, quand on est vieux et quand on ne peut plus travailler.
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Ah ! madame, les femmes sont si dures les unes pour les autres !
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