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Citation de Dorian_Brumerive


À peine Pierrot et la princesse eurent-ils mis pied à terre qu'ils se dirigèrent vers la tente du général en chef. Cet indomptable guerrier, nommé Barakhan, était le neveu de Vantripan, et il avait plus d'une fois jeté les yeux avec envie sur sa cousine et sur la couronne que portait son oncle. Aussi Vantripan, avec son discernement ordinaire, l'avait, pour l'éloigner de la cour, mis à la tête de l'armée. À peine la princesse eut-elle fait le récit de ses malheurs et raconté les exploits de Pierrot à son cousin, que celui-ci frappa dans ses mains. Un esclave parut.
- Qu'on appelle les généraux au conseil, et que toute l'armée prenne les armes !
En même temps, il se revêtit des insignes royaux, et, quand tous les principaux officiers furent assemblés, il prit, au grand déplaisir de Pierrot, la main de sa cousine, et dit :
- Amis, Vantripan est détrôné; Horribilis ne vaut guère mieux. Tous deux sont prisonniers du cruel Pantafilando. Je suis donc l'héritier légitime de la couronne, et j'épouse ma cousine que voici, la princesse Bandoline, Reine de Beauté. Si quelqu'un de vous s'y oppose, je vais le faire empaler.
- Vive le roi Barakhan Ier ! cria tout d'une voix l'assemblée.
La princesse Bandoline tourna sur Pierrot des yeux si languissants et si beaux qu'il ne put résister leur prière.
- À bas Barakban, l'usurpateur ! cria-t-il avec courage. Vive à jamais Vantripan, notre roi légitime !
- Qu'on saisisse cet homme et qu'on l'empale, dit Barakhan.
Pierrot tira son sabre et décrivit en l'air un cercle. Trois têtes de mandarins tombèrent comme des pommes trop mûres et roulèrent aux pieds de l'usurpateur. Tout le monde s'écarta. Barakhan lui-même sortit de la tente en appelant ses gardes. En quelques minutes, Pierrot se vit entouré de six mille hommes. Personne n'osait l'approcher, mais on faisait pleuvoir sur lui une grêle de pierres et de flèches.
- Où me suis-je fourré ? pensa notre héros.
Et il se précipita au plus épais de la foule; mais si prompt que fût son mouvement, celui des assaillants fut plus prompt encore à l'éviter. Il se trouva le centre d'un nouveau cercle, aussi épais que le premier, aussi facile à forcer, aussi prompt à se reformer. Heureusement il lui vint une idée : il aperçut Barakhan qui, monté à cheval et caché derrière ses gardes, les excitait à se jeter sur lui. Sur-le-champ, d'un bond, il saisit, à droite et à gauche, un homme de chaque main, et, sans faire de mal à ses deux prisonniers, il les appliqua l'un sur sa poitrine et l'autre sur son dos pour se garantir des flèches qu'on lui lançait. Aussitôt les gardes cessèrent de le harceler pour ne pas frapper leurs camarades. Pierrot profita de ce temps d'arrêt, lâcha le prisonnier qu'il tenait serré sur sa poitrine, et faisant tournoyer son sabre autour de sa tête avec la force lente, régulière et irrésistible d'un faucheur qui coupe l'herbe des prés, il abattit en une minute quinze ou vingt têtes parmi les plus voisines. On s'écarta de nouveau, et si brusquement que Pierrot se trouva en face de Barakhan. Celui-ci voulut fuir, mais la foule était trop épaisse. Il lança son cheval sur Pierrot, mais notre ami l'évita, prit d'une main la bride du cheval, et de l'autre saisissant Barakhan par la jambe, il l'enleva de la selle, le fit tourner quelque temps comme une fronde, et le lança avec une telle force que le malheureux prince s'éleva dans les airs jusqu'au-dessus des nuages. En retombant, il aperçut, à droite, les sommets neigeux du Dawalagiri, qui réfléchissaient les rayons du soleil, et à gauche, les monts Kouen-Lun, qui dominent la Grande-Mandchourie et qu'aucun voyageur n'a encore visités; mais il n'eut pas le temps de faire part à l'Académie des Sciences de ses découvertes, parce qu'au bout de quelques minutes, on le trouva fracassé et brisé en mille morceaux.
À ce spectacle, un cri unanime s'élève dans l'assemblée :
- Vive le roi Vantripan ! Vive Pierrot, notre général ! Vive la princesse Bandoline ! etc...
Et tout le monde courut baiser le pan de l'habit de Pierrot.
- Qu'est-ce ? s'écria-t-il. Tout à l'heure vous m'avez voulu empaler; à présent, vous m'adorez. Avez-vous menti ? Ou mentez-vous ?
- Nous ne mentons jamais, seigneur capitaine. Nous sommes toujours les serviteurs du plus fort. Tout à l'heure, nous avons cru que Barakhan était le plus fort, nous lui avons obéi. Maintenant, nous voyons que vous l'êtes, et nous vous obéissons. Qu'il soit maudit, cet usurpateur, ce Barakhan qui nous a trompés !
"Si jamais je suis roi", pensa Pierrot, "je me souviendrai de la leçon. Mais hâtons-nous de rassurer cette pauvre princesse; elle a dû trembler pour ma vie."
Bandoline n'avait pas tremblé pour la vie de Pierrot. Elle haïssait Barakhan, et avait, pour s'en délivrer, demandé du secours à Pierrot; mais elle regardait la vie de Pierrot comme lui appartenant par droit divin, ainsi que toutes les autres choses de ce monde. C'est ce que le pauvre Pierrot, aveuglé par son amour et son ambition, ne comprenait pas.
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