En matière d'interview, le cycliste est à peu près aussi créatif que le footeux qui rappelle que l'important, c'est les trois points. (p. 33)
Extrait :
La salle de presse était en ébullition, BFM TV venait de diffuser l'interview exclusive de Sébastien Lauden, qu'ils avaient décrochée un peu plus tôt. Extorquée plutôt, ils l'avaient chopé en pleine étape, dans sa voiture, il aurait dû refuser de répondre mais il n'avait sans doute pas trouver le courage. Le résultat n'était pas à son avantage. Il bafouillait, transpirait beaucoup, alors qu'il faisait encore frais sur les route du Tour, il n'avait rien à dire à part qu'il était innocent et qu'il ne comprenait pas d'où venait ces accusations.
J’avais rarement vu un tel bordel sur les quais. Des voitures dans tous les sens, collées les unes aux autres comme un Carambar entre les dents. Ça klaxonnait plus qu’après un mariage en banlieue triste ou une victoire de l’Algérie en coupe d’Afrique des nations. Ça s’insultait bien sûr, ça pointait son majeur bien haut, ça se traitait de mou du cul, d’handicapé, de Stéphanoise. C’était Lyon, un soir de juillet, à la veille du grand départ du Tour de France 2019.
"Mais là, j’ai fait le régime trente pastis, t’as vu le corps d’athlète ?
— Le régime quoi ?
— Trente pastis, tu connais pas ? Pendant un mois, tu bouffes rien, tu te nourris au Ricard. Trente par jour, je te jure, ça tient au corps. Et à l’arrivée, tac, j’ai perdu douze kilos. Pas mal hein ?
— C’est pas dangereux pour la santé, ça ?
— Ben non pourquoi ? Le régime Dukan, tu bouffes que du poulet, c’est pas moins con. »
La course, elle, virait au grand n’importe quoi. Il y avait des coureurs absolument partout, en perdition. Des Espagnols ou des Colombiens qui n’avaient jamais vu un pavé de leur vie et traversaient la trouée à moins de dix kilomètres à l’heure, des courageux qui tenaient leur guidon d’une main, l’autre soutenant une clavicule qui avait dû se déboîter après une mauvaise chute. Un coureur est même passé en courant, avec son vélo sur l’épaule. Il avait crevé et ne trouvait pas de mécanicien pour lui changer sa roue, alors il continuait comme ça, en glissant sur les pavés avec ses chaussures faites pour tout sauf pour la course à pied. Il glissait, se rattrapait contre une barrière, redémarrait. C’était un héroïsme impossible à expliquer, il avait déjà perdu sept ou huit minutes, il n’était plus à trente secondes près, mais l’inutilité de son combat forçait le respect.
Vortaire, c’était un peu le mouton noir de la caravane. Pendant des années, il avait été l’entraîneur principal de l’équipe Gardinier, j’ai compris que c’est comme ça qu’il avait connu mon père, c’est dans cette équipe qu’il avait essayé de vivre le rêve de sa vie. Et puis un jour, Vortaire s’était barré, dégoûté par le recours au dopage systématique sur lequel l’entourage de son équipe fermait les yeux. Les responsables n’organisaient pas le truc, ça ne se faisait plus trop depuis l’affaire Festina, mais ils faisaient comprendre aux coureurs qu’une petite piqûre dans la fesse n’était pas un crime. Deux non plus, c’était même encouragé si on faisait ça suffisamment bien pour ne pas se faire choper au contrôle antidopage. Vortaire aurait pu claquer la porte et aller vivre une autre vie, comme d’autres dégoûtés avant lui, mais il avait décidé de faire chier en enfilant sa cape de redresseur de torts.
Son deuxième message, c’était pour me souhaiter un joyeux anniversaire au cas où on ne se reparlerait pas d’ici là. On était le lerjuillet et mon anniversaire, c’était le 25… J’étais né le 25 juillet 1987, un peu après 17 heures, je lui avais juste laissé le temps de regarder Jean-François Bernard remporter un contre-la-montre à Dijon. Une arrivée millimétrée qui lui avait permis de venir soutenir sa femme dans la salle d’accouchement sans rater la fin de la course. Il avait vu ça comme un signe que j’étais né pour respecter le cyclisme et que je serais un jour un immense champion.