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Citation de Partemps


lundi 6 novembre. — Voir est tout et tout pour moi. Un seul coup d’œil me révèle un pays et je crois deviner sur le visage, une âme. — Aujourd’hui, à onze heures, l’oncle de ma femme, M. le colonel Hamilton Bunbury, m’a présenté à sir Walter Scott qu’il connaissait. Dans un appartement de l’hôtel de Windsor, au second, au fond de la cour, j’ai trouvé l’illustre Écossais. En entrant dans son cabinet, j’ai vu un vieillard tout autre que ne l’ont représenté les portraits vulgaires : sa taille est grande, mince et un peu voûtée ; son épaule droite est un peu penchée vers le côté où il boite ; sa tête a conservé encore quelques cheveux blancs, ses sourcils sont blancs et couvrent deux yeux bleus, petits, fatigués mais très-doux, attendris et humides, annonçant, à mon avis, une sensibilité profonde. Son teint est clair comme celui de la plupart des Anglais, ses joues et son menton sont colorés légèrement. Je cherchai vainement le front d’Homère et le sourire de Rabelais que notre Charles Nodier vit avec son enthousiasme sur le buste de Walter Scott, en Écosse ; son front m’a semblé, au contraire, étroit, et développé seulement au-dessus des sourcils ; sa bouche est arrondie et un peu tombante aux coins. Peut-être est-ce l’impression d’une douleur récente ; cependant, je la crois habituellement mélancolique comme je l’ai trouvée. On l’a peint avec un nez aquilin : il est court, retroussé et gros à l’extrémité. La coupe de son visage et son expression ont un singulier rapport avec le port et l’habitude du corps et des traits du duc de Cadore, et plus encore du maréchal Macdonald, aussi de race écossaise ; mais, plus fatiguée et plus pensive, la tête du page s’incline plus que celle du guerrier.

Lorsque j’ai abordé sir Walter Scott, il était occupé à écrire sur un petit pupitre anglais de bois de citron, enveloppé d’une robe de chambre de soie grise. Le jour tombait de la fenêtre sur ses cheveux blancs. Il s’est levé avec un air très-noble et m’a serré affectueusement la main dans une main que j’ai sentie chaude, mais ridée et un peu tremblante. Prévenu par mon oncle de l’offre que je devais lui faire d’un livre, il l’a reçu avec l’air très-touché et nous a fait signe de nous asseoir.

« On ne voit pas tous les jours un grand homme dans ce temps-ci, lui ai-je dit ; je n’ai connu encore que Bonaparte, Chateaubriand et vous (je me reprochais en secret d’oublier Girodet, mon ami, et d’autres encore, mais je parlais à un étranger). — Je suis honoré, très honoré, m’a-t-il répondu ; je comprends ce que vous me dites, mais je n’y saurais pas répondre en français. » J’ai senti dès lors un mur entre nous. Voyant mon oncle me traduire ses paroles anglaises, il s’est efforcé, en parlant lentement, de m’exprimer ses pensées. — Prenant Cinq-Mars : « Je connais cet événement, c’est une belle époque de votre histoire nationale.» Je l’ai prié de m’en écrire les défauts en lui donnant mon adresse. — « Ne comptez pas sur moi pour critiquer, m’a-t-il dit, mais je sens, je sens ! » Il me serrait la main avec un air paternel : sa main, un peu grasse, tremblait beaucoup ; j’ai pensé que c’était l’impatience de ne pas bien s’exprimer. Mon oncle a cru que ma visite lui avait causé une émotion douce ; Dieu le veuille et que toutes ses heures soient heureuses. Je le crois né sensible et timide. Simple et illustre vieillard ! — Je lui ai demandé s’il reviendrait en France : « Je ne le sais pas, » m’a-t-il dit. L’ambassadeur l’attendait, il allait sortir, je l’ai quitté, non sans l’avoir observé d’un œil fixe tandis qu’il parlait en anglais avec mon oncle.
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