Yates dépeint, par ces quelques portraits fascinants, une Amérique des classes moyennes dans les années 1930-1940. Evan Shepard est le fils d’un marine à la retraite et sa mère est devenue dépressive et alcoolique à force d’ennui et de déménagements. Evan est un adolescent turbulent jusqu’à ce qu’il se découvre une passion pour l’automobile, qui l’accapare totalement… Et pour les filles. Très tôt il emballe Mary qui, après une nuit dans sa voiture, tombe enceinte, obligeant Evan à se marier au lieu de faire ses études d’ingénieur mécanique. Il découvre alors le train-train quotidien d’une vie sans surprises mais avec de nombreuses responsabilités familiales : Celles-ci le contraignant à garder un petit travail qui l’ennuie, une femme qu’il n’aurait pas choisie et un enfant qui lui est imposé. Sans surprise, il divorce peu de temps après mais garde son travail pour économiser pour les études qu’il compte reprendre.
C’est au hasard d’une panne de voiture (encore… Ca aurait dû lui mettre la puce à l’oreille !) qu’Evan fait la connaissance de Rachel, vierge et timide, tout l’inverse de Marie. Au bout d’un certain temps ensemble ils décident ou se sentent plus ou moins obligés de se marier, puis Rachel se trouve enceinte au grand dam d’Evan. Et rebelotte, Evan devant subvenir aux besoins de sa famille doit abandonner ses projets d’études et conserver un métier d’ouvrier. En répétant ses erreurs, il semble ne pas parvenir à s’en sortir. Les choses empirent quand, pour des raisons de loyer, la mère de Rachel, une hystérique sans le sou, propose qu’ils vivent tous ensemble… Noyé dans une médiocrité sans fin qui le déprime de plus en plus, Evan se tourne vers son ex-femme… Semblant ne pas apprendre de ses erreurs et ainsi tourner en rond, emprisonné dans le cercle vicieux des classes moyennes. Quel chemin prendra sa vie, choisira-t-il un tournant décisif ou est-il condamné à tourner en rond sans pouvoir se sortir de la médiocrité de sa vie qu’il méprise tant ?
*****
Voici deux semaines que j’ai achevé ce roman réaliste, et mon avis est encore partagé, ambigu, complexe. Je pense que la manière qu’a choisie l’auteur de raconter son histoire la sert et la dessert à la fois. La plume est précise et concise, elle parvient donc à raconter une histoire sur de nombreuses années en peu de pages et sans que l’on soit ennuyé par des longueurs parasites ; D’un côté, cette impression de survol, comme si rien ne comptait et surtout comme si les jours passaient et se ressemblaient inlassablement, immuables, sans fin ni issue possible, rend très bien l’état d’esprit des personnages et l’idée de fatalisme ou de déterminisme qui prédomine dans ce roman, cette conviction des personnages de classe moyenne que c’est le destin, qu’on ne peut rien contre. Il est plus facile de se laisser porter par cette idée qui permet de fuir ses responsabilités (autant que les longues virées en automobiles permettent de fuir son foyer) que de reprendre sa vie en main et de faire des sacrifices permettant d’atteindre nos objectifs.
« Evan prit l’habitude de rouler sans but, le soir, et de ruminer dans le noir, le visage grave. C’était vraiment bien de vivre avec une jolie fille folle de vous, aucun doute là-dessus. Mais cela donnait aussi à réfléchir. Etait-ce là tout ce qu’on pouvait attendre de la vie ? Il frappait le volant, encore et encore, n’arrivant pas à croire que son chemin était si bien tracé et qu’il n’y aurait pas moyen de le faire dévier alors qu’il n’avait pas encore dix-neuf ans. »
Sur ce point pourtant, l’auteur montre le bon exemple à son anti-héros par le biais d’un personnage secondaire, son beau-frère : le plus insignifiant de la famille, mais le seul à fuir la facilité et à se donner les moyens de réussir. J'en profite pour saluer les portraits de ces adultes usés de la classe moyenne, cherchant leur place, incapable de vivre seuls mais ne supportant pas les autres. Mais d’un autre côté, cette narration fait paraître le récit et donc la lecture parfois plats et monotones. Dans l’idée, cela pourrait ressembler à du Zola en plus concis, mais sans l'étincelle de celui qui s’enflamme pour ce qu’il décrit. La plume de Yates, dans ce roman, est aussi fataliste que son histoire ce qui m'a donné une impression de fadeur à certains moments.
Malgré tout, ce roman se lit tout seul et, si ce n’est la légère monotonie qui peut nous gagner, la plume est agréable et pertinente puisqu’elle parvient parfaitement à nous faire comprendre son message. En outre, je l’ai remercié plusieurs fois de nous épargner les détails répétitifs de l’ennui des jours ou situations vécus par les protagonistes et, pour une fois, j’ai enfin lu un auteur qui sait écrire une fin ouverte sans la faire passer pour « bâclée ». Ce fut donc pour moi une lecture pas inintéressante mais un peu pâle : une manière de raconter qui est expressive par son inexpressivité, ce qui est peut-être une forme de génie mais m’a laissé une sensation de vide à la fin - celle ressentie par les personnages… ? Preuve d'une réussite ou d'un échec ? Je vous laisse donc décider si vous souhaitez découvrir cet auteur et surtout à quel moment.
Lien :
http://onee-chan-a-lu.public..