Parvati ! Je l’avais servie. Dorlotée. Flattée. J’avais gérée la grossesse de Radha avec autant de délicatesse que possible, pour le bien de sa famille comme de la mienne. Je n’avais pas fait d’esclandre. Je n’avais pas réclamé d’argent. Et, après tout cela, c’était elle qui répandait des mensonges sur moi ? Pour se venger de la folie de ma sœur…et de Ravi, ne l’oublions pas ! Son fils était tout aussi coupable, si ce n’était plus, puisqu’il était plus âgé. Pourtant, c’était à moi que Parvati s’en prenait.
Je fais mine de m'enfuir, mais Lakshmi m'attrape par le bras, m'attire à elle et enlace mes membres tremblants. Elle tient ma nuque dans sa mai, en faisant "chut", comme elle le ferait à un bébé. Je ne m'étais même pas rendu compte que je m'étais mise à pleurer ; mes grosses larmes me mouillent le visage pour lui couler sur l'épaule. Je suis tellement secouée que j'en ai des haut-le-cœur. J'ai de nouveau treize ans, et je veux que ma grande sœur s'occupe de moi.
La maharani douairière semblait s'être trouvé un sanctuaire dans sa prison étroite. Les miséreux n'étaient pas les seuls à être emprisonnés au sein de leur caste.
Ce monde recèle tant de secrets, pas vrai ? Ceux que nous gardons, ceux que nous révélons, mais uniquement au bon moment. Je sais désormais que je n'aurais pas dû dire « oui» à Jaipur, «oui» à Tatie-patronne. J'étais heureux à Shimla. L'air y est plus frais, la brise plus pure. Dans les montagnes, je réfléchis mieux. Et puis, Nimmi s'y trouve aussi. Comment ai-je pu l'abandonner là-bas alors qu'elle m'a supplié de rester ?
Ecoute-moi, Tatie. Tout d'abord les Singh auraient gros à perdre s'il se savait que Ravi est le père. Tout le monde apprendrait que Radha n'était pas encore majeure lorsqu'il l'a engrossée. Et puis ils n'ont assumé aucune responsabilité, et ont tu l'affaire en envoyant Ravi à des milliers de kilomètres. Ce serait un scandale pour eux. Je doute que les SIngh soient prêts à courir le risque.
Je n'avais jamais songé que Radha et moi puissions avoir autre chose en commun que l'aquarelle de nos yeux.
Les femmes ont des raisons bien à elles qui les poussent à prendre des décisions difficiles.
J'attendis, crispée. Au bout d'un moment, je m'approchai de la fenêtre. Elle était debout au milieu de la rue, trempée. Elle avait oublié son parapluie. Son sari, complètement imbibé, collait à sa silhouette corpulente en révélant chaque bosse et bourrelet. Son chignon s'était affaissé dans son dos en une masse de torsades mouillées. Elle ne s'en aperçut pas. Elle n'entendit pas non plus le Tonga-Walla qui s'était arrêtée pour lui proposer de la prendre. La part de moi qui était habituée à servir, à satisfaire et à apaiser, eut envie de lui courir après avec le parapluie. Mais je me retins. Je me contentai de la regarder au loin.
Ma main, lâchement emmêlée à celle de Samir, s'élevait et s'affaissait en rythme avec sa respiration. J'aurais pu rester ainsi éternellement. Il tourna la tête vers moi. Je tournai la mienne aussi jusqu'à ce que nos nez se frôlent et que son souffle chaud m'effleure la joue.
Nous étions seuls, nos corps se touchaient. Il était tard. Ce serait tellement facile.
La réussite était éphémère, et fluctuante, je l'avais appris à mes dépens. Elle allait. Elle venait. Elle vous transformait de l'extérieur, mais pas de l'intérieur.