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4.09/5 (sur 43 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Marly-le-Roi , le 8/10/1833
Mort(e) à : Bourg-la-Reine , le 23/04/1907
Biographie :

Claude-Adhémar-André Theuriet est un poète, romancier et auteur dramatique français.
Après avoir fait ses études à Bar-le-Duc: Bachelier en droit le 28 novembre 1855 il est employé à la Direction des Domaines à Auberive de 1856 à 1859,; à Tours de 1859 à 1863, puis à Amiens, avant de devenir chef de bureau à l'enregistrement en 1863, au ministère des finances. Il commence à publier des poèmes et des nouvelles à la Revue des Deux Mondes.
A la guerre de 1870, il est au 19e bataillon de la 2e compagnie de la Garde nationale de la Seine. En 1871, il participe à la Bataille de Buzenval.En 1872, son drame, Jean-Marie, est représenté au Théâtre de l'Odéon.
Il est élu membre de l'Académie française le 10 décembre 1896, au fauteuil d'Alexandre Dumas fils, et il y est reçu par l'écrivain Paul Bourget. Le conseil municipal de Bourg-la-Reine fait réaliser à Pierre-Adrien Dalpayrat deux belles assiettes en porcelaine qui lui sont offertes.
André Theuriet est un écrivain qui chante les terroirs, les forêts, les petites villes bourgeoises.
Il publie de nombreux romans sur Bar-le-Duc, le pays d'Auberive, la Touraine et le Poitou, la Savoie — il séjourna plusieurs étés à Talloires, sur les bords du Lac d'Annecy — et l'Argonne. L'intrigue de ses romans est souvent conventionnelle et les personnages incarnent tous les grands sentiments de l'époque, parfois d'une façon stéréotypée. Mais son œuvre laisse un témoignage précis et fidèle de la vie quotidienne dans les villes et villages de province où les passions semblent magnifiées par les paysages où elles naissent et le lyrisme de l'auteur.
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Source : Wikipédia
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Le nuage qui avait, au départ de Pierre, jeté une ombre d'inquiétude sur le bonheur de Madeleine, se dissipa de lui-même, insensiblement, comme il était venu. Il s'envola, pareil à ces brumes d'été qui voilent un matin le bleu du ciel et s'évaporent à l'ardeur du soleil de midi. Cette anxiété sans cause apparente ne résista pas à la chaleur du cœur aimant de la jeune fille. Mlle Éparvier s'abandonna de nouveau entièrement à la joie d'avoir mérité la tendresse du seul homme qui eût sérieusement occupé son âme. Elle avait maintenant la certitude de posséder cet amour si longtemps considéré comme une insaisissable chimère, et, tout éblouie encore de cette inespérée fortune, elle ne savait de quelles actions de grâce remercier la destinée. Lamblin, avec quelques mots magiques, avait fait jaillir la source d'affection qui bruissait dans le cœur de Madeleine comme en un puits scellé, et la jeune fille écoutait, ravie, le bouillonnement de ces eaux vives, librement épanchées. Elle mettait généreusement au compte de Pierre cette tendresse qui émanait d'elle seule et se croyait passionnément aimée, parce qu'elle aimait passionnément.
Pendant les premiers jours, elle fut pleinement heureuse; elle jouit de cette félicité qui paraît complète parce qu'elle est faite d'espérances encore intactes et de sensations non encore émoussées. La joie des veilles de fête n'est-elle pas sans mélange, parce qu'on peut emplir cette veillée de rêves savoureux, et s'imaginer que le lendemain les réalisera ?
La première goutte d'amertume fut versée sur ce bonheur par Mme Éparvier. La veuve, toujours occupée et toujours mécontente d'elle-même, supportait difficilement le contentement des autres. La joie de son prochain lui apparaissait volontiers comme goûtée à son détriment, et elle éprouvait le besoin de rappeler les gens heureux à une plus exacte appréciation des misères de ce monde, en mêlant charitablement au lait qu'ils buvaient un filet de vinaigre. Elle appartenait à la catégorie de ces fées maussades qui sont enchantées d'annoncer une mauvaise nouvelle. En voyant Madeleine aller et venir, radieuse et légère à travers la maison, elle prit son air doucereusement dolent et dit en hochant le menton :
- Te voilà heureuse... Tant mieux ! À ton åge on se contente à peu de frais. Pourtant ne te monte pas la tête et ne chante pas trop haut, pour ne pas être obligée ensuite de déchanter... Ma pauvre fille, ne jubile pas aussi ouvertement; c'est inconvenant, d'abord, et puis tu risques de donner à ton fiancé une trop haute opinion de son mérite... Il est déjà assez disposé à se croire irrésistible. Entre nous, ce monsieur semble un peu infatué de lui-même et je trouve qu'il ne se presse pas de profiter de la permission que je lui ai accordée. Il aurait pu déjà revenir à La Varenne ou, du moins, t'envoyer des fleurs... Cela se passait ainsi de mon temps et si la mode a changé, c'est tant pis !
Pour échapper à la maligne influence de ces suggestions chagrines, Madeleine se hâtait de quitter la maison et de se réfugier à l'ombre du vieux mûrier, confident de ses joies et aussi de ses ennuis. En dépit de sa confiance, elle s'avouait intérieurement que, dès la veille, elle s'était attendue à voir son fiancé apparaître à La Varenne. Deux lieues à peine séparaient la maison de sa mère de la Fleurance; c'était pour un amoureux une distance facile à franchir, surtout quand cet amoureux a un bon cheval à sa disposition.
Pour excuser Pierre, Madeleine trouvait, à la vérité, d'ingénieuses raisons. Son retard, probablement, était dû à de délicats scrupules: leurs fiançailles n'ayant pas encore été officiellement annoncées aux amis de la famille, il avait cru sans doute plus convenable d'espacer ses premières visites. N'importe, elle l'aurait préféré moins discret et moins correct. Sans ajouter foi aux insinuations de Mme Éparvier, elle sentait au dedans d'elle une pointe d'inquiétude.
C'était le dimanche que Debierne avait présenté son pupille à La Varenne; bien qu'on fût arrivé au vendredi suivant, le jeune Lamblin n'avait pas encore donné de ses nouvelles. Le lendemain étant le jour du marché aux grains de Tours, Mme Éparvier, constamment occupée de ses propres intérêts, partit dès le matin pour la ville avec son clôsier. Elle avait du blé à vendre et ne comptait rentrer à la maison qu'après midi. Restée seule, Madeleine déjeuna rapidement et alla s'installer sous le mûrier avec sa corbeille à ouvrage.
"Si Pierre avait l'inspiration de me faire sa visite aujourd'hui", pensait-elle, "nous pourrions causer tranquillement sans avoir un tiers entre nous... Qui sait ? Cette bonne idée lui viendra peut-être ?... L'oncle Prosper lui aura appris que maman s'absentait souvent le samedi, et il aura retardé son voyage afin d'avoir la chance de me trouver seule... Ce n'est pas très aimable pour maman, ce calcul... Mais tant pis ! je n'aurai pas l'air de m'en apercevoir... Voilà cinq jours pleins qu'il a déjeuné ici, et il ne voudra certainement pas attendre à dimanche... Oui, quelque chose me dit que je le verrai aujourd'hui !"
En même temps, elle relevait la tête au moindre bruit, écoutait attentivement si elle n'entendrait pas le trot d'un cheval... Dans le rustique verger solitaire, le silence n'était interrompu que par le bourdonnement affairé des mouches attirées autour des mûres écrasées. Au loin, parmi la plate étendue des champs aveuglés de soleil, aucune rumeur, sauf parfois le cheminement lourd d'une voiture de roulier sur la route bordée d'ormes noueux.
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- Bonjour, voisin ! dit Prosper, vous avez une mine de chat effarouché... Qu'y-a-t-il ?
- Je suis hors de moi, s'écria M. Rambert, dès qu'il put prendre sa respiration, je suis exaspéré !... Oh ! Les enfants ! Vous êtes heureux, vous autres, de n'en point avoir !
- Asseyez-vous d'abord, reprit La Jugie d'un air intrigué et faussement compatissant, et expliquez-vous... Que vous est-il arrivé ?
- Quelque chose qui dépasse l'imagination, répondit le bonhomme en s'épongeant; vous savez que Nancy est venue aux Rochettes la semaine dernière... Nous avions quelques arrangements à prendre au sujet de la succession de ma pauvre femme... Nancy, contre mon attente, s'est montrée fort déraisonnable et nous nous sommes quittés froidement... Mais ceci n'est rien !... Hier, en visitant sa chambre qu'elle avait laissée en désordre, je trouve un chiffon de papier qui traînait; j'y jette les yeux... C'était un télégramme expédié par son frère, et en voici le contenu...
En même temps, il dépliait un papier bleu et lisait d'une voix tremblée :
"Si vieille baderne refuse argent, faisons procès. Marcel."
- La "vieille baderne", c'est moi, poursuivit sarcastiquement M. Rambert; quant au procès, ils ont mis leur menace à exécution... Ce matin même, j'ai reçu assignation devant le tribunal de Tours à l'effet de m'entendre condamner à procéder au partage de la succession de feu Mme Rambert... Ne trouvez- vous pas ça ignoble, de la part d'enfants pour lesquels je me suis saigné ?!...
- C'est assez fin-de-siècle, comme dirait votre fils Marcel, observa La Jugie, et que comptez-vous faire ?
- Je plaiderai, parbleu !... Je ne céderai pas à une menace de chantage... Oh, je sais où le bât les blesse tous deux !... Ils sont furieux parce que j'ai l'intention de me remarier !
- Vous voulez vous remarier, Rambert ! s'exclama Debierne, suffoqué.
- Et pourquoi pas ? riposta le bonhomme, vexé de l'étonnement de son interlocuteur, je n'ai pas la prétention, moi, d'épouser une jeune fille... La personne à laquelle je veux m'unir est une femme mûre, quoique charmante encore... Il n'y a pas une si grande disproportion d'âge entre Mme des Yvelines et moi...
- C'est Mme des Yvelines ?! reprit ironiquement Prosper. Ah ! Vous m'en direz tant !... Hé hé !... Vous êtes encore assez verts tous deux pour avoir des mioches, et je comprends que votre gendre fasse la grimace.
- Mon gendre, soit !... J'aurais supporté ça de lui; mais Nancy, mais Marcel, des enfants que j'adorais et que je gâtais.
- Trop ! ajouta sentencieusement Prosper; gåter les enfants, c'est se préparer des verges à soi-même... Maintenant qu'il a bon appétit, Marcel n'est pas content de partager le gâteau avec de petits frères éventuels.
- Est-ce que ça le regarde ! repartit M. Rambert furibond, est-ce que je me mêle de ses affaires, moi ?... Si je ne peux pas supporter la solitude, si j'ai besoin d'une compagne à mon foyer, ne suis-je pas libre de la chercher où il me plaît ?... Oh ! Les enfants d'aujourd'hui, race d'ingrats, sans principes, sans cœur et sans respect !
- Le fait est, acheva Prosper, que la génération actuelle ne vaut pas grand-chose; elle n'a plus ni jeunesse, ni poésie, ni désintéressement... Debierne et vous, voisin, vous êtes payés pour le savoir.
Debierne restait pensif.
- Mes chers amis, dit-il enfin, avec son mélancolique sourire; pour raisonner juste en pareille matière, il faudrait d'abord dépouiller le vieil homme. À toutes les époques, les gens âgés ont été enclins à louer le passé au détriment du présent. À mesure que nous vieillissons, nous regardons les choses d'autrefois avec des yeux de presbytes et les choses d'aujourd'hui avec des yeux de myopes. Déjà, sous Auguste, Horace traitait fort mal les jeunes Romains de son temps. Lorsque nous avions vingt ans, nos pères devaient penser de nous exactement ce que nous pensons des jeunes gens qui ont pris notre place. La vérité est que les générations se succèdent et ne changent pas. Les feuilles mortes tombent, une nouvelle frondaison les remplace; mais on ne saurait médire de la forêt, parce qu'on y rencontre çà et là quelques branches inutiles ou malades. Nous regardons autour de nous, nous y voyons des enfants étiolés et pervertis par un excès de bien-être, et nous jugeons à tort toute une génération d'après des échantillons mal venus. Quand les classes supérieures sont trop vieilles pour fournir leur contingent d'enthousiasme, ce sont les classes inférieures qui, à leur tour, produisent des hommes d'action, de foi et de talent. À côté des égoïstes comme Pierre Lamblin ou des inutiles comme Marcel, il y a les vaillants comme Martial Métivier, qui infusent un sang jeune au corps social. Croyez-le bien, tant que la terre et l'humanité dureront, il y aura toujours de nouvelles poussées de jeunesse, comme il y aura toujours du soleil et du printemps...
Dans le jardin baigné de clarté, pour confirmer les paroles d'Armand, les arbres fruitiers étalaient leurs floraisons plantureuses, le ciel bleu souriait et, de même que le vieux vin bouillonne dans les fûts lorsque la vigne fleurit, les tièdes souffles d'avril réveillaient un reste de jeunesse au cœur de ces trois hommes qui avaient doublé le cap de la cinquantaine.
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Cette propriété de la Fleurance avait de quoi plaire à une âme rêveuse et souffrante comme celle d'Armand. La maison, bâtie en tuffeau, blanche, sobrement décorée dans le style de la fin du XVIIIème siècle, était enfouie dans les arbres et les fleurs. De tous côtés, l'horizon était fermé par des masses de verdure, sauf au sommet d'une butte où, entre deux platanes, on apercevait de l'autre côté de la Loire les campaniles et les maisons en terrasse qui, de loin, sous la lumière oblique du couchant, donnent à Tours la physionomie d'une ville italienne.
Cette habitation pacifique, possédant le charme endormeur du paysage tourangeau, berçait mollement Armand Debierne dans sa mélancolie persistante. Depuis son installation à la Fleurance, treize ans s'étaient écoulés et la cendre de ces treize années en s'amassant sur lui avait discrètement apaisé l'irritation de sa blessure. Bien que son âme fût restée triste, son caractère ne s'était point aigri. S'il avait perdu la fleur de ses illusions, il en avait conservé les racines vivaces. En lui, la passion était morte, mais il gardait un culte pour les idées généreuses et les enthousiasmes d'autrefois. Au moral comme au physique, il demeurait toujours le gentleman qu'il avait été jadis. Sa toilette était soignée comme au temps où il fréquentait les salons du Second Empire; seulement, fidèle aux modes de sa jeunesse, il portait toujours la redingote boutonnée, la barbe en éventail, les cheveux séparés par une raie au milieu de la tête et frisés légèrement de chaque côté du front. Cette tenue élégamment surannée était comme un témoin de l'époque où le livre de ses rêves avait été "achevé d'imprimer, - l'époque déjà lointaine où il avait souffert et aimé. Elle s'harmonisait avec son poil grisonnant, son bienveillant sourire attristé, ses yeux aux paupières mi-closes où dormait le regret des choses passées. Rien qu'à le voir, on devinait l'homme qui porte au cœur une secrète meurtrissure.
Armand Debierne avait eu, en effet, un roman dans sa vie, un roman chevaleresque et mélancolique comme son propre caractère. - À dix-huit ans, il s'était platoniquement épris de la fille d'un de ses voisins de campagne et cette délicieuse période de l'amour printanier, qui s'épanouit comme un pommier en fleurs, avait enchanté ses premières années de jeunesse. Orphelin à vingt ans, il avait quitté sa province pour entrer au Ministère des Affaires Étrangères, mais il avait emporté avec lui toutes ses illusions amoureuses et toutes ses espérances. Quatre ans s'étaient passés à faire l'apprentissage de la vie parisienne, puis un beau soir, dans les salons de son ministre, la passion de sa dix-huitième année, la belle Sabine de Vabre, lui apparaissait tout à coup plus séduisante encore qu'au temps de la Touraine et il essayait de recommencer son idylle d'amour. Malheureusement, comme la Charlotte de Werther, Sabine se trouvait déjà fiancée à un M. Lamblin, directeur des affaires politiques. Pressée par sa famille, elle avait accepté ce parti brillant qui flattait sa vaníté de jeune fille. Elle l'avoua franchement à Armand Debierne, tout en lui laissant voir le regret qu'il fût venu trop tard, et deux mois après, le mariage eut lieu.
Tout d'abord abasourdi, Armand chercha à se guérir en voyageant. Mais l'image de son infidèle le suivit partout et, de guerre lasse, il se remit à fréquenter les salons où il avait chance de la rencontrer, préférant encore souffrir près d'elle que de ne plus la voir. Ils avaient les mêmes relations et il lui fut facile de se faire présenter chez Sabine Lamblin. La jeune femme, qui le tenait en grande estime, l'accueillit amicalement et, mue par une tendre coquetterie, s'efforça charitablement de cicatriser la blessure qu'elle avait faite. À son tour, le chimérique Armand s'imagina qu'il pourrait tromper sa passion en jouissant de l'honnête amitié qu'on lui accordait. Mais il est des remèdes plus dangereux que le mal lui-même. Peu à peu, il s'aperçut que cette innocente intimité ne servait qu'à attiser la flamme qui le brûlait. Mme Lamblin était avant tout une mondaine; elle recevait beaucoup, aimait le plaisir, courait les soirées officielles et entraînait Armand dans ce tourbillon où elle était admirée et fêtée. Témoin de ces succès de jolie femme, Armand s'en offusquait bien plus que le mari. La jalousie exaltait sa passion; il ne savait plus la cacher et Sabine Lamblin, nature calme et bien équilibrée, plus disposée à se laisser adorer qu'à aimer elle-même, était forcée de rappeler à l'ordre son compromettant ami. De là, des orages, des menaces de bannissement suivis de mortifiants actes de contrition et d'humbles promesses de se montrer plus sage; puis Debierne se remettait à souffrir silencieusement près de celle qu'il ne devait jamais posséder.
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Sur la route unie où la lumière oblique du couchant alternait avec l'ombre allongée des grands ormes de bordure, la victoria filait en faisant doucement crier le gravier. Dans les champs moissonnés, s'élevait d'espace en espace, une meule de blé, au-dessus de laquelle tourbillonnait un vol d'étourneaux. Çà et là, une vigne très verte coupait la grise monotonie des éteules, ou bien une métairie laissait entrevoir ses toits rouges parmi les hautes branches d'un bouquet de noyers. Le silence du soir approchant n'était troublé que par les trois notes saccadées et brèves des cailles se rappelant dans le maïs; un aboiement de chien retentissait au fond d'une closerie lointaine; puis tout retombait dans un calme berceur.
Cette sérénité de l'air tiède et du ciel crépusculaire entretenait Armand Debierne dans les dispositions rêveuses et tendres qu'il rapportait de sa visite à La Varenne; elle surexcitait, au contraire, la nervosité de Pierre Lamblin. Le front barré d'une ride transversale, les lèvres serrées, il roulait maussadement une cigarette entre ses doigts et demeurait absorbé par de désagréables réflexions. Madeleine Éparvier ne se trompait-elle point ?... Était-elle aussi pauvre qu'elle le prétendait ?... II savait déjà qu'elle avait peu de chose à attendre de sa mère, mais il avait toujours compté que Prosper de La Jugie lui constituerait en avancement d'hoirie une dot très ronde, sans quoi il n'aurait jamais songé à ce mariage. - En quelques mots, la jeune fille venait d'ébranler ses convictions, et maintenant il n'était rien moins que rassuré. Ignorait-elle les intentions de son oncle ? Avait-elle voulu simplement mettre son amoureux à l'épreuve? Cette dernière hypothèse accueillie un moment par Lamblin, parce qu'elle le tranquillisait, fut, après examen, rejetée comme manquant de vraisemblance. Madeleine était trop sincère, trop peu calculatrice, pour qu'une semblable idée eût germé en son cerveau.
"Mais alors", se disait Pierre irrité, "je suis tombé dans un piège et je m'expose au ridicule de conclure un sot mariage ! Assurément, Madeleine est jolie et séduisante, elle possède de précieuses qualités morales, mais pour un homme qui est ambitieux et qui ne se nourrit pas d'illusions, tous ces avantages sans l'argent, sont purement négatifs. Je ne suis pas chevaleresque, moi, et je m'en glorifie !... J'appartiens à un monde où l'abnégation et les vertus héroïques sont regardées comme de niaises faiblesses. Si le bruit se répand que j'ai épousé une fille pauvre, je perds du coup tout mon prestige. On me jugera comme un garçon manquant de poigne et d'estomac, et on ne comptera plus avec moi. D'un autre côté, si j'abandonne cyniquement Madeleine à cause de sa pauvreté, le même monde me jettera la pierre; il est pétri d'illogisme; il subordonne tout au succès, mais il exige qu'on respecte hypocritement les apparences; il ne permet pas qu'on foule ouvertement aux pieds ses préjugés d'honneur et de tenue. Aux yeux de certains pharisiens rompre un mariage pour une question d'argent, après avoir engagé sa parole, est une vilénie presque aussi impardonnable que de tricher au jeu.
Il n'y a pas à dire je me suis trop avancé pour que cette rupture ne fasse pas scandale dans ce pays où je songe à débuter comme homme politique. J'ai sollicité la permission de venir à La Varenne et on me l'a accordée, en me considérant déjà comme un fiancé. Prosper de La Jugie, qui est un Saint-Jean bouche d'or, a sans doute déjà répandu le bruit du futur mariage de sa nièce. Me voilà donc par ma faute acculé à une impasse : si j'épouse, je me condamne à une existence médiocre et je me disqualifie; si je me retire, on m'accuse d'indélicatesse et de déloyauté, et je suis perdu de réputation parmi la bonne société tourangelle. Jolie entrée de jeu pour un homme qui aspire à représenter ses concitoyens au Parlement !..."
Alors la rage le prenait. Son amour-propre se révoltait; il ne pouvait pas admettre que lui, Pierre Lamblin, la plus forte tête de la conférence Turgot, se fût trompé aussi lourdement.
"Je n'ai pourtant pas la berlue, reprenait-il, j'ai de mes propres oreilles entendu le bonhomme Prosper déclarer qu'il regardait Madeleine comme sa fille et qu'il lui laisserait son bien. Un homme qui proclame ces choses- là devant un tiers, ne peut pas, à moins d'être un insigne farceur, marier sa nièce, son unique héritière, sans lui constituer une dot honorable... Non, j'aime mieux croire que Madeleine a manqué de perspicacité et qu'elle est trop portée à mesurer son oncle à l'aune de Mme Éparvier.."
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André Theuriet
LA VIGNE EN FLEUR


La fleur des vignes pousse,
Et j’ai vingt ans ce soir...
Oh ! que la vie est douce !
C’est comme un vin qui mousse
En sortant du pressoir.

Je sens ma tête prise
D’ivresse et de langueur.
Je cours, je bois la brise...
Est-ce l’air qui me grise
Ou bien la vigne en fleur ?

Ah ! cette odeur éclose
Dans les vignes, là-bas…
Je voudrais, et je n’ose,
Étreindre quelque chose
Ou quelqu’un dans mes bras !

Comme un chevreuil farouche
Je fuis sous les halliers ;
Dans l’herbe où je me couche
J’écrase sur ma bouche
Les fruits des framboisiers ;

Et ma lèvre charmée
Croit sentir un baiser,
Qu’à travers la ramée,
Une bouche embaumée
Vient tendrement poser…

Ô désir, ô mystère !
Ô vignes d’alentour,
Fleurs du val solitaire,
Est-ce là sur la terre,
Ce qu’on nomme l’amour ?
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André Theuriet
Le Coucou


Le bois est reverdi,
Une lumière douce
Sous la feuille, à midi,
Glisse et dore la mousse.
On dirait qu’on entend
Le bourgeon qui se fend
Et le gazon qui pousse.

Sur le bord des étangs
Où tremblent les narcisses,
Les trèfles d’eau flottants
Entrouvrent leurs calices.
Piverts et grimpereaux
Meurtrissent des bouleaux
Les troncs pâles et lisses.

La fauvette au buisson
Murmure une romance,
Courte et leste chanson
Qui toujours recommence.
Grives, pinsons, linots,
Merles et loriots,
Répondent en cadence.

Ô pénétrante voix
De la saison bénie !
Partout vibre à la fois
La tendre symphonie ;
Tout s’égaie aux entours.
Les bois sont pleins d’amours,
De fleurs et d’harmonie.

Mais dans la profondeur
Du taillis qui bourdonne,
Comme un écho pleureur,
Une note résonne :
Du coucou désolé
C’est l’appel redoublé,
La plainte monotone.

Quand les nids en émoi
Tressaillent d’allégresse,
Savez-vous, dites-moi,
Pourquoi cette tristesse ?
Pourquoi ce long soupir
Qui semble toujours fuir,
Et qui revient sans cesse ?...

Des saisons d’autrefois
Et des morts qu’on oublie,
Mes amis, c’est la voix
Dans l’ombre ensevelie ;
Au soleil, à l’air bleu,
Elle envoie un adieu
Plein de mélancolie.

Elle dit : « Rameaux verts,
Songez aux feuilles sèches !
Blondes filles aux chairs
Roses comme les pêches,
Amoureux de vingt ans,
Enivrés de printemps,
Songez aux tombes fraîches ! »
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Juin tout flambant verdoie en plein azur,
Les bigarreaux, la guigne et la merise
Ont pris couleur; un parfum de fruit mûr
Loin des vergers s'envole avec la brise.
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...notre siècle finissant assiste à un développement anormal de la vie scientifique et industrielle. Avant peu, l’industrie mettra la main sur ces champs, ces prés et ces bois où la petite culture agonise. Il se formera, comme en Amérique, de vastes syndicats pour cultiver par des procédés rapides et économiques de grandes étendues de terre. On défrichera les forêts, qu’un député traitait hier à la tribune de richesses improductives. L’usine remplacera la ferme. Les machines supprimeront l’emploi de ces élémentaires et décoratifs outils qui contribuaient à la poésie du travail rustique : la charrue à vapeur se substituera à l’arau antique, comme la batteuse s’est substituée aux fléaux et au van. Les moissonneuses et les faucheuses mécaniques enlèveront au travail individuel ce caractère spontané, cet imprévu, cette liberté d’allure, qui en constituaient la beauté plastique. Les bois feront place à des champs de betteraves ; on n’épargnera même pas les arbres épars dans les champs, ni les haies verdoyantes s’élevant en berceaux au-dessus des chemins creux. Tout ce qui ne sera pas d’une utilité directe disparaîtra. La campagne, sillonnée de routes rectilignes, de tramways et de voies ferrées, aura l’aspect d’un grand damier aux cultures méthodiques, où tout sera réglé, machiné et spécialisé comme dans une gigantesque usine.

Alors, ce sera fini de la vie rustique ; on n’en retrouvera plus le charme et le pittoresque que dans les livres des poètes ou les dessins des artistes.

Et qu’on ne croie pas à un tableau noirci et exagéré à plaisir. Il suffit de regarder autour de soi pour constater ce dégoût du travail des champs et cette invasion de l’industrie. Souvenez-vous du caractère intime et reposant, de l’aspect nature, qu’avaient encore, il y a trente ans, les environs de Paris, et voyez-les, aujourd’hui, amoindris, vulgarisés, empuantis par les usines. Étudiez, sur une carte forestière, la vaste superficie de nos bois, et vous la verrez se rétrécir d’année en année comme la peau de chagrin de Balzac. Consultez les statistiques et vous y constaterez la dépopulation graduelle des campagnes. Ce sont là des signes avant-coureurs, et dans un temps où les choses se modifient avec une rapidité électrique, vous pouvez facilement calculer, d’après les changements déjà opérés, dans combien d’années le paysan, que nos ancêtres et nous-mêmes avons connu, aura disparu presque complètement.
(écrit en 1888)
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Comme beaucoup de fonctionnaires sans fortune, il a reculé devant l’aléa du mariage, estimant que les obligations et les responsabilités de la société conjugale sont une entrave aux fonctions administratives. Il est resté célibataire et s’est absorbé de plus en plus en des besognes qui lui prenaient ses journées et souvent même ses soirées ; arrivant le premier à son bureau, en partant le dernier, dînant au restaurant ou à quelque table officielle, et ne rentrant chez lui que pour y dormir. Ainsi sa vie s’est écoulée de la trentaine à la cinquantaine, méthodique, correcte, digne et laborieuse, mais sans une chaude intimité, sans une douce halte dans le rêve ou la fantaisie.
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Brunette


Voici qu’avril est de retour,
Mais le soleil n’est plus le même,
Ni le printemps, depuis le jour
Où j’ai perdu celle que j’aime.

Je m’en suis allé par les bois.
La forêt verte était si pleine,
Si pleine des fleurs d’autrefois,
Que j’ai senti grandir ma peine.

J’ai dit aux beaux muguets tremblants :
« N’avez-vous pas vu ma mignonne ? »
J’ai dit aux ramiers roucoulants :
« N’avez-vous rencontré personne ? »

Mais les ramiers sont restés sourds,
Et sourde aussi la fleur nouvelle,
Et depuis je cherche toujours
Le chemin qu’a pris l’infidèle.

L’amour, l’amour qu’on aime tant,
Est comme une montagne haute :
On la monte tout en chantant,
On pleure en descendant la côte.
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