Citations de Anna-Victoria Val (34)
Nook m'emboîte le pas, espérant sans doute que je descende aux cuisines réclamer au Chef quelques morceaux de viande. Ce chat est un intéressé, rien de plus. Tout comme son maître.
Ne m'abandonne pas. Mon soleil est déjà noir et l'horizon ne trouve plus de lumière. J'ai besoin que tu ravives mes espoirs.
– Et si tu allais chercher de la fausse neige ? propose mon frère.
– Ah non ! C'est trop galère à nettoyer et en plus ça devient marron bizarre.
– Il faudrait que le magasin soit plus festif...
– On est un magasin de farces, attrapes et cadeaux farfelus. C'est compliqué de faire plus festif.
- Quel âge as-tu ? je demande doucement.
- Dix-neuf ans. Et toi ? Vous... Toi... Eh merde ! PARDON !
Je suis partagée entre l'envie de rire et le choc profond qu'il ait pu pousser un juron devant moi. Je n'ai pas envie qu'il me vouvoie, après tout nous ne sommes pas si éloignés en âge.
- Nous allons rester sur le « tu », si tu le veux bien. J'ai dix-huit ans.
Il hoche la tête avec un sourire niais. Je réprime difficilement un petit gloussement. Son attitude est si différente de celle de mes sujets et de mon entourage. Je me passe volontiers du filtre qu'impose le protocole.
- Comment t'appelles-tu ?
- Noah !
[...]
- Pour ma part, je reprends, je m'appelle Elyna Olga Brynhild Thorstyrka.
Milo, tu es l'essence de ma vie. Tu es mon sang. Tu deviens mon âme.
J'ai un nœud à l'estomac depuis mon départ de New York. Pourtant Nolan, mon frère, m'a conforté dans mon choix de tout quitter pour vivre à Thorstyrka. Il m'a dit : « ton avenir est là-bas ». Et je sais qu'il a raison. Je ne supporte plus de voir la princesse seulement pendant ses doléances d'été à l'ambassade de New York. Et jusqu'à aujourd'hui, je n'ai pas eu le temps de visiter son royaume.
L'amour à distance, c'est un poids énorme au quotidien. Il y a eu de nombreux soirs où j'aurais aimé pouvoir simplement rentrer dans mon appartement et raconter ma journée à Elyna. Mais non, pour la contacter je devais prendre rendez-vous et passer par cinq interlocuteurs avant de pouvoir la joindre sur la ligne fixe du palais car, à Thorstyrka, il n'y a pas de réseau pour les mobiles. Ni Internet.
— Tu t’es encore disputée avec ce garçon ? Mais bon sang, Carter, tu cherches les ennuis ? Je me laisse tomber dans l’un des fauteuils en cuir, mon ongle gratte la matière. Ce raisonnement a le don de m’agacer. C’est exactement le même que celui des profs.
— Je ne cherche pas les ennuis, je me contente de défendre des victimes et de me défendre!
— Les victimes n’ont pas besoin de toi, il y a des profs ! tempête ma tante.
— Je tâche juste de ne pas me laisser faire et de faire le job des profs qui ne se bougent pas !
— Tu as le caractère de ton père ! Je sais. C’est la phrase qui clôt toujours nos minuscules engueulades.
Je ne crains rien ni personne. Et je n’ai pas l’intention d’être une victime seulement parce qu’il y a une stupide règle, ou tradition, qui veut que les nerds soient les têtes de Turcs des sportifs depuis que Jake a pris leur tête. Je ne sais pas ce que c’est son problème avec nous, mais je n’ai pas peur d’eux. Je suis fière de celle que je suis en dehors de la chasse. J’assume d’être passionnée par des sujets qui ennuient les gens. Je n’ai pas peur pas de dire que je préfère réviser devant des animés japonais plutôt qu’aller à une soirée. Et, surtout, je ne redoute pas de remettre Jake à sa place. D’autant plus que certains profs, à l’image de monsieur Stile, se bornent à croire que c’est aux nerds de se remettre en question et à ouvrir le dialogue avec les sportifs.
Je me penche en avant, fais une tresse plaquée qui part de ma nuque jusqu’au sommet du crâne où j’attache mes cheveux en un chignon flou. Avant, ils étaient d’un blond sage. Mais, depuis que je vis avec ma coloriste de tante, ils sont lavande-pastel. Me colorer les cheveux a été une véritable bouffée d’oxygène après mon deuil. Durant des mois, je n’ai porté que du noir en pleurant mes parents. Puis, un jour, j’en ai eu marre du noir. J’en ai eu marre d’être transparente. Et j’en ai eu marre de pleurer. Alors, je suis passée au lavande pour remettre de la couleur dans ma vie. Et j’ai tout organisé en petites cases à mon entrée au lycée. Pour être forte. Pour ne plus m’effondrer partout dans ma vie. Désormais, si je m’effondre dans une case, ça ne débordera pas dans l’autre. Et pour évacuer le trop-plein d’émotions, toutes ces choses que j’ai du mal à gérer, je cours. Comme je le faisais avec mes parents.
C'est la même chose depuis des semaines. L'Armée Verte. Les manifestations. Cette France en proie à la violence et dans laquelle je suis plongée. Je poise la main sur mon ventre. Je veux le meilleur pour mon fils. Je veux lui offrir une belle vie. [...]
Je frisson non plus de froid mais de peur. À chaque minute qui passe, la crainte grandit.
Je quitte la galerie à dix-neuf heures. Dans le silence et l'écho de mes pas. Il n'y a plus de vigile. Il n'y a plus personne pour fermer la galerie. La lumière de mon téléphone guide mes pas. Et dehors, il n'y a que moi et la neige. Cette neige que j'ai juré ne jamais voir tomber un 15 novembre. Cette neige qui me hurle maintenant à quel point nous sommes dans la merde. Cette neige qui m'évoque ma soeur et son combat.
« Sous mes cils, je le regarde partir. J’aurais voulu que ce moment dure pour toujours. J’aurais voulu que son père ne soit pas là. Que cet instant nous appartiennent pleinement. Il rentre rapidement dans le gymnase sans un regard pour l’amas de cadeaux et de cartes. Il n’a pas vu mes chocolats… La déception est mordante. »
Je refuse que mon fils grandisse sous le joug de l’Armée Verte qui nous prive peu à peu de nos droits les plus élémentaires. Je veux pouvoir aller et venir librement. Je veux pouvoir bosser et lui offrir de jolies choses. Je veux me déplacer sans la crainte de me faire buter. Je veux vivre, tout simplement.
Immédiatement le sourire de mon mari vient inonder mon cœur. Mika est mon prince charmant. D’un romantisme fou, il a les traits volontaires d’un héros de conte de fée, une peau réchauffée par le soleil et des ondulations sombres.
J’aimerais que l’Armée Verte se lasse. Qu’elle passe à autre chose. Mais le mouvement ne cache pas sa volonté de nuire à la consommation. Un combat contre la société ultra consumériste et une manière de faire bouger le Gouvernement dans leur sens en les privant de la précieuse T.V.A qu’il récupère sur chaque vente.
Je caresse mon ventre. Ce geste a le don de m’apaiser. Je prends plaisir à sentir les petits coups de mon bébé. Et je ne suis pas inquiète pour son avenir. Après tout, le Gouvernement a déjà formulé tout un tas de conseils et pris des décisions pour sortir de la crise climatique. Et j’ai confiance.
Chaque semaine, la violence devient plus forte. Plus féroce. Des pavés arrachés au sol. Des cocktails Molotov. Des barres métalliques en guise de matraques. Des images impressionnantes et inquiétantes de villes qui deviennent des zones de guerre sous le prétexte de l’urgence climatique. Les infos me font mal au bide.
Je n’ai pas envie de contrarier mes parents. J’ai suivi les règles toute ma vie, mais depuis ma rencontre avec ce garçon et son audace de me donner son numéro, j’ai des envies de liberté. J’en sais peu sur lui, mais j’ai envie de tout découvrir. Je veux aller dans un centre commercial, voir à quoi ça ressemble. Je veux marcher librement dans la rue sans escorte. Je veux acheter à manger à un vendeur des rues. Il y a tant de choses que je désire que mon cœur papillonne d’impatience et d’envie.
Je ne peux pas m’éveiller le matin et sentir le froid de ton absence dans les draps. Je ne peux pas subir un monde où tu seras le passé. Je ne peux pas regarder les photos alors que tu seras un souvenir. Tu es mon soleil qui se lève le matin. L’oxygène qui me fait vivre.
M’éloigne de l’humanité quand l’ombre des ronces grandit sur mon cœur et en vient à scarifier mon âme.
Après tout, il est dans son intérêt que j’accomplisse ma mission. Peut-être que ce livre me convaincra de séduire un innocent pour ensuite le tuer. Un frisson désagréable grimpe sur ma colonne, comme une créature des enfers plantant ses griffes dans mes os.