Le temps d'un café, Anne Hansen nous raconte sa frénésie pour l'écriture et l'expérience du premier roman écrit à la suite du traumatisme des attentats du 13 novembre 2015. Un parallèle réussi entre la violence dans les États et la violence dans l'Entreprise.
« Trois semaines auparavant, cent cinquante personnes avaient été massacrées dans la Ville. Pour rien et par hasard. »
Charles Blanchot, cadre supérieur dans l'Entreprise, est responsable d'un projet de réorganisation. Élément prometteur et zélé, il s'élève dans la hiérarchie grâce à ses projets réformateurs. Des progrès qui précèdent une chute tout aussi rapide, dévoilant une violence réelle et quotidienne. C'est le roman d'une décomposition et d'un forfait, celui de la violence qui écrase un salarié sous les regards de ses semblables, témoins impuissants ou indifférents jusqu'au désastre final.
L'histoire de Charles est une comédie, celle tragique des gens ordinaires, lorsqu'ils s'essaient au combat.
Anne Hansen est romancière. Massacre est son premier roman.
Journaliste : Marie-Clothilde Bailbé / Réalisation : Jonathan Vayr
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Caroline n’insista pas pour qu’il les accompagne, comme chaque fois à présent qu’elle avait l’occasion de se soulager de sa présence, sans pour autant de se départir de cette affabilité chargée d’indifférence plus cruelle pour lui qu’une vraie solitude.
On allait s’habituer aux massacres, on les intégrerait aux données d’avenir, les sociologues en étaient sûrs. Il existait, dans l’arsenal des ressources de défense des humains, un sentiment de dernière extrémité, qui portait un nom harmonieux, arrangé en un décasyllabe joliment altéré. L’ « Épuisement compassionnel » ne tarderait pas à se changer en une indifférence résignée, et l’on n’aurait plus assez de larmes, plus assez de révolte, pour poser de nouveau des lumières de plastique sur les pavés des places meurtries.
[La fête d’entreprise] ne manquait jamais de débuter par une prise de parole sans cérémonie des Responsables de service, qui félicitaient des efforts passés et réaffirmaient leur foi en l’équipe, dont ne doutait pas « qu’elle relèverait encore, dans les mois à venir, de nombreux challenges, et tendrait toujours plus vers l’excellence ». Ce constat anticipé semblait, à chaque fois, plonger l’orateur dans un état d’euphorie et de profonde satisfaction rappelant celui de la mère de famille qui embrasse d’un œil humide la grappe de bambins bien peignés et souriants, réunis pour lui rendre hommage à l’occasion d’une fête en son honneur.
Désormais entrés en état d’urgence, ils étaient en droit de passer outre certaines lois de l’Entreprise, telles que l’ « esprit corporate », qui ne s’imposait qu’en temps de paix.
La place qu’on s’est faire ne met en aucun cas à l’abri de la chute, tant il est difficile de plaire encore quand on a beaucoup plu.
Las, la fable nous apprend qu’il faut pour oser la critique appartenir au monde que l’on fustige.