C ET automne de 1893 était d’un blond doux, paisible, plein de lumière.
Le marronnier était roux, les hêtres cuivrés et les premiers mousserons sortaient au champ de la Pia.
La mère se dépêchait de traire les chèvres et cailler le lait. Elle n’était pas bien.
Maintenant, elle posait les faisselles1 sur le faisselier de terre cuite avec de petits sursauts qui lui crispaient le visage, et les remplissait avec le caillé du lait de la veille.
Le petit-lait s’écoulait aux trous des faisselles. Parfois il giclait. Le caillé était parfait, lisse, dense, lourd. La biche2 était presque vide. La mère répartit les dernières cuillerées sur chacune des faisselles pour avoir de belles tommes3. On disait partout : « Les tommes de Rosalie sont les meilleures du coin, les plus bleues et les plus grosses ! » et elle tenait fort à cette réputation.
Mais ce matin, cependant, elle expédia les choses. Il y avait urgence. Elle attendait son petit pour la fin septembre. On était le 30 et il se manifestait. Elle cala sa main au creux de ses reins et reconnut bien la crispation circulaire. Le petit homme allait naître — car ce serait un garçon.
Un vif et un beau qui serait agile à naître comme ses trois frères.
Dix garçons et cinq filles, c'est vous dire que les filles avaient fort à faire pour tenir leur place de filles. Mais, comme chacune d'elles parlait autant que deux garçons, le compte, au fond, était bon.
Dans cette Ecole Ronde tout se passait donc très bien. On se détendait aux récréations, on s'appliquait le reste du temps, c'était très exactement ce qu'il fallait faire.
Cabriole a une grande barbiche au menton mais peu de plomb dans sa tête folle de chevrette.
Il tourne et retourne devant la cheminée comme un poulet à la broche.
- Je suis tout cuit ! dit-il en riant. Je suis tout rôti !
Claudinet, lui, est comme du vif argent. Il aime beaucoup être le premier, parce qu'ainsi, il a sa maîtresse pour lui tout seul.
Elle avait dit cent fois qu'il était interdit d'apporter ses rêves à l'école. On devait les laisser avec son pyjama.
Un oiseau jette, par à-coups, quelques notes gaies et pressées. Puis tombe un bref silence. Et la chanson revient parmi les feuilles neuves, attendrissantes d’être si duvetées encore, si blondes sous le soleil.