Anne Reeve

Tant d’hommes parmi lesquels choisir. Ce n’était pas étonnant qu’une femme de mon âge se retrouve seule. C’est tellement difficile de choisir un homme, juste un homme, parmi les centaines qui envahissent le net.
Encore une fois, j’avais tellement de choses en tête que j’ai complètement oublié que nous étions vendredi. Et, bien sûr, vendredi c’est le jour… Après manger (J’avais une faim de loup alors j’ai commandé un burger avec du pain au charbon, et après je fus très surprise de recevoir un burger noir. Mark n’en revenait pas – il est tellement vieux jeu qu’il est abasourdi par n’importe quelle nouveauté et j’ai tendance à le taquiner), j’ai eu un gros coup de fatigue et j’ai essayé de me tenir éveillée en buvant du thé noir (je ne buvais jamais de café, je n’aimais vraiment pas le goût).

J’avais trente-six ans et le temps dictait quelque chose à mon corps, qui à son tour dictait quelque chose à mon cerveau : c’était ma dernière chance. Si j’échouais, je n’en aurais pas une seconde.
Étrangement, tandis que je méditais à tout cela, dans mon lit, caressant Noodle distraitement, je me sentais paisible et calme. Des idées se matérialisaient dans mon esprit et je m’y accrochais. J’allais m’acheter un nouveau téléphone – ça faisait un moment qu’il m’en fallait un. J’allais faire les démarches pour mon nouveau passeport, que j’utiliserai. J’allais voyager en Sardaigne ou en Andalousie – la vraie Andalousie, pas ma version fantasmée.

Nous avions eu quelques grosses disputes – de très grosses disputes, en fait. C’était le genre de personne à vite s’emporter et il y avait eu beaucoup de cris et de portes claquées, mais ce qui empira sans doute les choses, c’est que je gardais toujours mon sang-froid et il ne supportait pas ma passivité. Ce n’était pas que je m’en fichais, c’est simplement que je ne me souviens pas de m’être déjà énervée. C’est une chose pour laquelle je ne suis pas programmée. La plupart de nos disputes avaient pour sujet l’argent, ce qui me rendait malade parce que je n’ai que faire de l’argent.

C’est drôle comme ces objets peuvent définir une personne, une relation et un moment précis dans le temps. Chaque chose était lourde de souvenirs et de sens. Il y avait aussi un tableau posé contre le mur. Un petit tableau, représentant un paysage typiquement anglais – avec des vaches et tout – que j’avais peint pour lui. Au cours de notre dernière dispute, il m’avait dit de le garder, mais je n’avais jamais su dire s’il le pensait vraiment ou pas. Enfin bref, il avait fini par partir aussi. Il l’avait accepté au final, à contrecœur, les larmes aux yeux.

Les gens peuvent même être ouvertement polyamoureux. La première personne à me répondre au sujet du laps de temps qui s’était écoulé ce fut Anna. Elle trouvait cela très étrange et me mit en garde.
— Garde une distance de sécurité, si tu peux.
— Je peux, mais je ne le ferai pas.
— Pourquoi ça ?
— Pas envie. dis-je de façon têtue, telle une enfant. Je veux le revoir, un point c’est tout.
— Tu n’es pas très raisonnable.
— Je sais. Mais tu verrais à quel point il est canon !

Ne devrais-je pas tout de même savoir ce qui est mieux pour moi à la longue ? Ou peut-être pas ? Peut-être que je n’arrêtais pas de faire les mauvais choix ? Comme sortir avec les mauvais hommes ? Ou alors peut-être étaient-ils les bons hommes, mais que j’étais la mauvaise ? Voyez-vous, je n’avais pas besoin de livres de développement personnel ou même d’un thérapeute pour me poser les bonnes questions.

Quand j’étais en couple, j’avais souvent du mal à me concentrer sur un seul et unique homme. Beaucoup de mes amis me dirent que c’était parce que je ne rencontrais pas les bons hommes, mais encore une fois, je ne pouvais m’empêcher de me dire que je n’étais peut-être pas la bonne, moi. Peut-être que la moi monogame n’était pas la bonne moi ? Peut-être qu’il me fallait essayer d’adhérer à quelque chose de différent ?

En parlant de jalousie, durant la semaine j’avais commencé à avoir des rêves dérangeants où je voyais mon ex au lit avec d’autres femmes, des femmes que je connaissais et dont j’avais toujours envié la féminité. Ce n’est pas que je n’étais pas moi-même féminine, mais j’étais davantage comme une femme enfant, un spécimen avec une éternelle coupe courte à frange d’enfant, avec un sourire maladroit et d’épaisses lunettes de vue.

La façon dont il m’avait regardé droit dans les yeux pendant qu’on faisait l’amour, comme s’il essayait de voir à l’intérieur de mon âme. La façon dont il s’était émerveillé de chaque partie de mon corps, me donnant l’impression que j’étais quelqu’un de très spécial à ses yeux. Il avait agi comme s’il n’en revenait pas de la chance qu’il avait, alors que j’estimais que c’était moi qui avais eu de la chance.

À l’époque je voulais devenir écrivain. À vrai dire, c’est toujours le cas, même si ce rêve devient de moins en moins vivide avec le temps. Mais être capable d’entrer dans un temple de la littérature tous les jours, c’était déjà pas mal. Je savais à quel point il était difficile de trouver un boulot intéressant de nos jours et je lui étais reconnaissante de m’avoir fait confiance durant toutes ces années.