À l'occasion de la 33ème édition du festival "Étonnants Voyageurs", Ante Tomic vous présente son ouvrage "Qu'est-ce qu'un homme sans moustache ?" aux éditions Noir sur blanc.
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Le garçon apporta trois boissons verdâtres.
- C'est quoi , ça ? demanda Mile. Du liquide vaisselle ?
- Cocktail rhum blanc et limette, monsieur, dit le serveur en tiquant.
- Du rhum ? Chez nous, on met ça dans les gâteaux, remarqua Branimir.
- Monsieur, c'est sûrement le meilleur rhum du monde. Vingt-cinq ans d'âge.
- Vingt-cinq ans ? dit Mile. Mon garçon, s'il était aussi bon que tu le prétends, on l'aurait bu depuis longtemps.
(page 115)
Domagoj apporta à son père, devant la télévision, son habituelle chope de vin coupé, un tiers de vin, deux tiers d’eau gazeuse. Les deux prisonniers, qu’on avait laissés sortir de leur cellier pour leur donner à manger, se tenaient dans un coin de la cuisine. Le silence régnait, car Jozo ne tolérait aucun bruit quand il regardait sa série mexicaine, Ivres d’amour.
Il n'y a pas de plus grand malheur que lorsque les plus candides d'entre nous se mettent à réfléchir avec leur burette. Quand un homme, jeune, succombe au péché de la chair, il n'a plus sa tête et ne sait plus où il va. La femme s'en empare, elle le concasse, le brise, le réduit en bouillie. Ce jeune homme, hier encore fort comme un boeuf, se trouve laminé. Il salive comme un veau devant l'arrière-train de la femelle, on ne le voit plus au café, il ne joue plus à la pétanque, ni aux cartes, il ne va plus à la chasse, il fuit la boisson et la rixe. Tout ce que le Seigneur nous a donné de beau et de bon, à nous les hommes, il le rejette. Le diable l'a serré contre son sein et l'a anéanti. C'est tout ce que j'avais à vous dire, mes enfants. Et à présent, je vais me coucher, et vous, faites comme bon vous semble.
Ils sont étranges, les habitants de Smiljevo. La nouvelle du décès avait provoqué l’agitation, comme l’annonce d’un événement heureux et solennel – ici, les tragédies sont toutes vécues comme des événements heureux et solennels : nobles et graves, elles sont ce qui, dans la vie des habitants de Smiljevo, peut arriver de mieux. En vérité, les hommes d’ici ne sont jamais aussi bons et bienveillants, aussi obligeants et généreux que lors d’un décès : au seuil du trépas, les familles se réconcilient, elles oublient les contentieux fonciers, on réhabilite les flemmards et les ivrognes. Le mieux, c’est quand un médecin, un prêtre, un instituteur, voire un ingénieur, c’est-à-dire un citoyen en vue et instruit, passe l’arme à gauche. Tous se mettent sur leur trente et un, se raclent la gorge avec sérieux lors de la procession funéraire, tirent les oreilles des enfants qui jacassent en portant les couronnes. Et s’il y a du monde aux obsèques, on dit : « C’était un bel enterrement. »
À la télévision, la guerre apparaît comme un phénomène dynamique, mais en réalité, le plus souvent, les soldats ne font que jouer aux cartes, lire des romans de cow-boys, réchauffer du ragoût et péter. En neuf mois de combats, leur unité n’avait tiré aucune balle ni roquette sur les positions serbes.
Le lendemain matin, ayant retrouvé son sang-froid, il se rendit chez Stanislav. Le torrent fangeux de la haine qui épouvantait son entourage s’était tari. Il se sentait l’esprit clair, la colère ne l’étouffait plus. Pendant la nuit s’était opéré un changement qualitatif que seule la science juridique saurait décrire : le crime passionnel que l’émigré avait été sur le point de commettre s’était transformé en une envie de meurtre prémédité en tout point civilisée.
Comme si elle en avait fait vœu à la Sainte Vierge, Zora se tut jusqu’à son dernier soupir, où elle jeta un tendre et ultime regard à son époux et murmura :
– Tu es une merde.
Puis elle mourut, laissant Jozo seul avec quatre enfants, certes adultes, mais d’humeur belliqueuse : Krešimir, Branimir, Zvonimir et Domagoj.
– Stipan, dit Stanislav après un certain temps.
– Oui ?
– Ça fait un moment que j’aimerais te poser une question.
– Oui, dis-moi.
– Quelle est la position officielle de l’Église en ce qui concerne les nichons siliconés ?
– Jésus Marie Joseph, qu’est-ce qui te passe par la tête ?
– Je pensais à ça l’autre jour : les nichons siliconés sont inconciliables avec les Saintes Écritures.
– Ah bon ? s’exclama le curé. Et pourquoi ça ?
– Tu sais bien ce qui est écrit dans la Bible : « Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu redeviendras poussière. »
– Et ?…
– Les nichons siliconés ne peuvent pas se transformer en poussière. Ils sont imputrescibles.
– Imputrescibles ? s’étonna don Stipan.
– À mon avis, ils sont imputrescibles. C’est quand même du plastique, non ? Le plastique ne pourrit pas, il lui faut parfois des centaines d’années pour se décomposer. La femme meurt et pourrit, le cercueil se putréfie, mais les nichons, eux, demeurent intacts.
– Non, ça ne peut pas être vrai, contesta don Stipan.
– Puisque je te dis que ça l’est, fit le Glandu. Même après cent ans, on dirait que les nichons viennent de sortir d’usine.
– Mais non ?!
– Si, sortis d’usine.
Tap-tap-tap-tap-tap… Un bruit de bottes s’élevait du bord de la route qui longeait les vignes et les champs de maïs.
– Ne pleure pas, maman chérie ! hurla une des recrues qui couraient couvertes de branchages et de broussailles.
– Ne pleure pas, maman chérie ! répéta la troupe à l’unisson.
– T’as fait naître un abruti ! conclut le soliste dans la plus pure tradition lyrique militaire.
– T’as fait naître un abruti ! acquiescèrent les soldats d’une seule voix.
– Nous pouvons supposer, bien sûr, qu’il s’agit d’une manœuvre du crime organisé, mais il serait imprudent de tirer des conclusions trop hâtives, lança l’expert avec réserve. Le mode opératoire ouvre un large spectre de possibilités. Les mitrailleuses lourdes, par exemple, sont d’ordinaire utilisées par les combattants tchétchènes, les lance-roquettes sont la signature des Afghans, les explosifs sont généralement imputés aux indépendantistes basques. Tout cela est très confus, mais c’est peut-être l’objectif même des responsables sans scrupule de cet acte terroriste…
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