La question du sacré est loin d’être pour Spinoza une question de simple piété ou de soumission au divin. Elle est au contraire une source de problèmes, et l’un des éléments fondamentaux qui favorisent le mélange entre la philosophie et la théologie, ainsi que l’ingérence de la religion dans le monde de la politique ; la conséquence de ceci étant la déstabilisation de la paix au sein de la cité, et l’intolérance vis-à-vis de la liberté de penser. La suprématie de la politique et la soumission du religieux, ainsi que la séparation entre la philosophie (la vérité) et la théologie (l’ignorance) passent pour Spinoza par une désacralisation de la religion, à travers une exégèse historico-critique des textes appuyée par sa vision philosophique de l’existence. Le problème du sacré, qui est pour Spinoza à la source du problème politique au XVIIe siècle, devrait être résolu par une désacralisation qui le redéfinit, et qui l’assigne au domaine de la morale qui constituera désormais le contenu adéquat de la théologie. Cet article a comme but de montrer comment Spinoza comprend ce problème, et d’examiner la solution qu’il propose à travers son programme de désacralisation radicale de l’Écriture, qui ne garde au sacré aucune consistance politique ou ontologique, mais seulement morale.
Quand Spinoza traite de la Bible, il l’aborde en connaisseur. La période juive engagée de sa vie, son étude approfondie de l’Écriture à la synagogue et sa parfaite connaissance de la langue hébraïque, l’autorisent à avoir un regard d’aigle sur la question, et c’est à partir de son expérience et de ses connaissances religieuses que Spinoza va définir le sacré, avant de s’y attaquer. Quant à sa lecture désacralisante de la Bible, bien qu’elle s’appuie sur sa philosophie pour nier au surnaturel son existence, c’est par le biais de sa « méthode historico-critique » qui va être l’outil principal de son entreprise, qu’elle va lui permettre d’atteindre son but. Nous tenterons, en traçant le schéma de la compréhension spinoziste du sacré, de montrer comment il désacralise l’Écriture d’une manière qui contribue, selon lui, à résoudre le problème du sacré.