Antonio Scurati

Giacomo Matteotti ne se tait pas. Pour certains hommes – ils sont rares –, prendre la parole et prendre position sont une seule et même chose.

La tactique de Mussolini est inchangée : doser, diluer, dilater, pour négocier ensuite depuis une position de force. Ce qui condamne à fixer l’horizon du haut des arbres carbonisés, afin d’apercevoir le feu du prochain incendie. La seule véritable différence entre le Duce et ses squadristes, c’est que la violence constitue aux yeux du premier un instrument aiguisé, alors qu’elle est aux yeux des violents un désir sanglant de lumière, une soif, un appétit ; pour lui, la bagarre est une petite réalité de la vie ; pour eux, le choc entre les escouades armées est un mythe. C’est indéniable.

Il est maintenant décidé. Puisque les socialistes le détestent, puisque ses camarades de la gauche interventionniste ne veulent pas de lui sur leur liste, puisque les partis de gouvernement traditionnels ne sont que "vieilleries" à liquider, les fascistes se présenteront seuls aux élections. Épaulés par les combattants et par les Arditi. Par personne d'autre. Et lui, Mussolini, sera la tête de liste.

"La politique se mue en religion"

Le marigot se referme ainsi sur sa propre boue.Une seule chose importe ,pour les hommes politiques de carrière :être réélus .Quoi qu'il arrive ,ils n'abandonneront leur fauteuil pour les beaux yeux de personne.

D’Annunzio interpelle la foule : “Confirmez-vous, devant le drapeau du Timavo, votre vœu du 30 octobre ?” À ses côtés, Antonio Grossich sursaute. Jusqu’à ce jour, aucun orateur n’avait jamais interpellé son propre auditoire. Le décor a brusquement changé, le quatrième mur est tombé. Le public a été appelé sur scène, le peuple est invité dans le royaume. Les citoyens de Fiume poussent un hurlement forcené. Ils crient trois fois “Oui !”, “Oui !”, “Oui !”. Gabriele D’Annunzio proclame alors l’annexion de Fiume par l’Italie. Il n’a mis que quatre mois pour tenir sa promesse.

Bref, pour freiner l'avancée des rouges, l'État liberal se laisse épauler par les fascistes et, pour la première fois, ceux-ci s'opposeront frontalement à une grève des masses populaires.

Il faut veiller sur la race, se soucier de la race, prendre soin de la race.
C'est pourquoi le régime fasciste a institué une taxe sur le célibat qui financera l'Oeuvre nationale pour la maternité et pour l'enfance. Et il envisage, pour la même raison, un impôt sur les mariages inféconds. Car nous ne sommes pas trop, nous sommes trop peu. Le fleuve ne déborde pas. Il coule de nouveau entre ses berges. La grève commence même à sécher. "J'affirme - la voix de Mussolini monte d'un octave au point même de s'étrangler, ou presque- que la puissance démographique est une donnée non fondamentale, mais préjudicielle, de la puissance politique d'une nation ! Qu sont quarante millions d'Italiens face à quatre-vingt dix millions d'allemands et à deux cents millions de Slaves ?!
(...)
Sans un "coup de fouet démographique", le destin de l'Italie est inexorablement celui de la "décadence".

Après la fierté, après les saluts, après la nique faite à la "mystérieuse divinité de l'opinion publique dont nous autres fascistes nous contrefichons", les premiers mots de politique sont consacrés à la violence :
"Vous savez ce que je pense de la violence. Elle est à mes yeux profondément morale, plus morale que le compromis et la négociation." Très bien ! Hurlements d'approbation. Vifs applaudissements.

Un empoisonneur. Tel du gaz moutarde, la parole du poète pénètre par voie aérienne jusque dans les alvéoles pulmonaires de la foule. Les gens s'y abandonnent, hébétés, intoxiqués par le mensonge comme par un pouson systémique.

Rome, Octobre 1932, Palazzo Venezia
Si Quinto Navarra [le majordome de Mussolini] voulait répondre sincèrement à la simple question [comment va-t-il ?] de Mme Sarfatti [maîtresse encombrante et vieillie de Mussolini] , il devrait lui décrire la condition mélancolique d'un leader qui, après les obsèques de son frère, le seul être en qui il avait confiance, a murmuré à une vieille connaissance avec un terrible sarcasme : "Il va falloir maintenant que je me fie à tout le monde"; il devrait lui dépeindre un chef d'Etat idolâtré par les foules qui s'installe jour après jour dans une voie peu enviable, celle de la méfiance la plus radicale envers chacun, et se voit dans l'obligation encore plus terrifiante de nourrir une confiance de plus en plus grande, absolue, anormale, envers lui-même.

Maintenant les regards se détournaient.

"Messieurs,le moment est venu de dire que l'homme a éprouvé le besoin del'ordre avant d'éprouver le besoin de la culture.On peut affirmer d'une certaine façon que ,dans l'Histoire, le policier a précédé le professeur." B.Mussolini

"Si un Mussolini allemand était donné à l'Allemagne...le peuple se jetterait à genoux pour l'adorer ,plus que cela ne s'est jamais produit avec Mussolini en personne." Adolf Hitler 1923

Parfois, comme à Ferrare, il suffit d’une mauvaise récolte pour déclencher la panique. Quelle merveille que la panique, c’est la sage-femme de l’Histoire !

Mussolini " ce héros de la lassitude"

Mussolini dispose d'une parade :susciter le désordre pour montrer que lui seul est en mesure de ramener l'ordre.Déchaïner les squadristes d'une main et les retenir de l'autre .

Les fascistes ,comme le souhaitent les industriels ,doivent soutenir une limitation libérale de l'Etat aux fonctions de soldat,de policier,de juge et de percepteur.