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Critiques de Antonio Scurati (44)
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M, les derniers jours de l'Europe

Livre lu à sa sortie en Italien en septembre 2022

Livre relu à sa sortie française qui confirme le fantastique travail de la traductrice Nathalie Bauer...



"Je ne peux renoncer à ce que je considère comme mon devoir précis : je dois démontrer la méchanceté absurde des mesures racistes en attirant l'attention sur mon cas qui me paraît le plus typique de tous.

En me supprimant, je libère ma famille bien-aimée des vexations qui pourraient découler de ma présence : elle redevient purement aryenne et ne sera pas inquiétée.

Mes choses les plus chères, c'est-à-dire mon travail, mes créatures conceptuelles, au lieu de disparaître, pourront renaître à une nouvelle vie."

Voilà ce qu'écrit Angelo Fortunato Formìggini à sa femme, 18 novembre 1938. Angelo Fortunato Formìggini était un philosophe et éditeur italien, juif et franc-maçon. Il se jette du haut de la Torre Ghirlandina à Modène.



Il laisse, rédigé quelques jours auparavant, un épigraphe expliquant l'esprit de son geste :



Né ferro né piombo né fuoco

possono salvare

la libertà, ma la parola soltanto.

Questa il tiranno spegne per prima.

Ma il silenzio dei morti

rimbomba nel cuore dei vivi.



Ni le fer ni le plomb ni le feu

peuvent sauver

la liberté, mais la parole seulement.

C'est elle que le tyran éteint en premier.

Mais le silence des morts

résonne dans le cœur des vivants.



Voilà qui résume les années (1938-1940) qui sont abordées dans ce dernier volume de la trilogie initiée par Antonio Scurati. Ce livre est sorti en Italie le 14 septembre dernier, quelques jours avant les événements politiques italiens récents. Quand le passé rejoint le présent....



L'auteur avait prévu d'intituler ce dernier volume "Le Livre de l'infamie", et par infamie Antonio Scurati n'entend pas seulement les lois raciales, mais le fascisme en tant que mélange nauséabond de ruse, de calcul et de peur.

Il relu les mémoires du ministre des Affaires étrangères de Roumanie de l'époque, qui portent ce titre, et s'est rendu compte qu'il retranscrivait au mieux le sujet : une fin, qui n'est pas l'accomplissement, mais l'extinction, de la civilisation européenne, due au nazisme/fascisme.

L'actualité européenne récente comme la guerre russe en Ukraine, nous parle d'une nouvelle menace d'extinction : cela ne signifie pas que nous allons tous disparaître, mais que ce que nous croyions et espérions pourrait disparaître de notre horizon.



Dans ce troisième tome de "M", Antonio Scurati raconte comment le Duce entraîne l'Italie dans un gouffre moral et guerrier dans le sillage du Führer. "Il a été dévoré par la peur, la ruse et l'auto-tromperie"



Si on ose un parallèle avec un conte fantastique ou terrifiant, si un individu rencontre son double, un conflit éclate dans lequel il succombe. Les Allemands l'appellent Doppelgänger, le Russe Dostoïevski en a parlé dans Le Double. Figurant dans de nombreux folklores et croyances, notamment dans la mythologie germanique et la mythologie nordique, le doppelgänger se présente toujours comme une copie, un double d'un individu ou bien sa version alternative souvent maléfique. Selon les légendes, l'apparition d'un doppelgänger est un mauvais présage, annonçant des malheurs ou la mort de l'individu croisant son double.



Dans le cas de Mussolini et Hitler, avec leurs jeux de miroir et leurs jeux de manipulation diabolique, la terreur devient l'histoire.

Ce livre raconte comment une guerre éclate.

Une guerre dévastatrice au cœur de l'Europe.

Une guerre déclenchée avec une soif délibérée de conquête contre les peuples voisins et apparentés, menée avec une brutalité dévastatrice.

Pour de nombreux lecteurs, il peut sembler peu probable que les dirigeants du régime fasciste, Mussolini en premier lieu, aient décidé, après une longue hésitation et refusant toute offre des États libéraux, de jeter le peuple italien dans le carnage d'un nouveau conflit mondial , alors qu'il était bien conscient de l'impréparation militaire totale de l'Italie, de son manque chronique de ressources matérielles, de l'aversion de nombreux Italiens à combattre aux côtés des Allemands et, même, de la volonté de puissance délirante et sanglante incarnée par Adolf Hitler...

Mais tout cela a été balayé par l'illusion de pouvoir manipuler politiquement Hitler : une pensée malheureuse, pathétique et grotesque. Et puis, une fois attaché à Hitler, il s'est illusionné qu'il dirigeait un pays guerrier, une nation en armes. Il est choquant de découvrir à quel point Mussolini était à la fois lucide et conscient de cet abîme dans lequel il allait plonger par une auto-illusion macroscopique...

Pourtant, ce roman démontre l'inverse dans ses moindres détails en faisant appel, à l'instar, du choix narratif choisi dans les 2 premiers tomes, à des faits historiques largement documentés. Il n'y a là rien de fictif, si ce n'est la manière de raconter l'histoire.

Ce n'est pas le roman qui suit l'histoire ici, mais l'histoire qui devient roman.



"M. Mussolini, qui ne cache pas son admiration pour l'auteur du Prince, devrait bien méditer ses axiomes. "Le Prince ne doit vouloir qu'accroître sa puissance et ses terres au détriment de tous les autres." M. Mussolini a en effet conquis l'Ethiopie, qui en revanche lui semble un fardeau. Mais il laissa l'Allemagne s'installer au Brenner et encercler la Pologne. Il a également signé un pacte d'alliance militaire qui fait de l'Italie, quoi qu'il arrive, un vassal en temps de paix, un champ de bataille en temps de guerre."

Pol Harduin, « Mussolini et Machiavel », Express, journal suisse, 17 juin 1939"



Sa politique semble entachée par la surestimation constante de ses capacités personnelles. "Il se sent comme un homme d'État jouant aux échecs, sur plusieurs tables, avec l'Allemagne d'un côté et avec l'Angleterre de l'autre, s'appuyant sur sa ruse, une forme d'intelligence qui s'appelle la perspicacité et qui pousse au-delà du seuil critique jusqu'à en devenir une forme de bêtise.

L'entrée en guerre, pour beaucoup, est le moment où commence la chute de Mussolini.



Au regard de l'actualité récente en Europe, on peut s'empêcher d'y voir comme un bégaiement de l'histoire :

La première est l'idéologie impérialiste du pouvoir et de la domination sur d'autres peuples considérés comme sacrifiables, destinés à un état permanent de minorité, de pays satellites, de vassaux.

La rhétorique officielle qui justifie l'usage des armes est identique : envahir pour défendre une minorité. Hitler l'a fait pour les Sudètes germanophones en Tchécoslovaquie... Il se passe la même chose pour des territoires en Ukraine où il y a une composante russophone que le dirigeant russe prétend être persécutée voire exterminée, malgré toutes les preuves contraires. Les déclarations d'Hitler, rapportées dans le roman, ont également été démenties par la réalité.

Alors frappe l'itération du schéma : Autriche, Sudètes et Gdansk pour Hitler, Tchétchénie, puis Crimée, Géorgie, Ukraine pour Poutine... Même la violence destructrice des civils et des villes : c'est du terrorisme militaire d'État.

Enfin, le seconde réside dans la passivité consternée de certaines démocraties libérales européennes.

Et pour un parallèle plus proche avec ce qu'il se passe à l'ouest de l'Europe, et à la lecture de ce livre l'essence du fascisme en un mot, quel serait-il ? la peur. Le fascisme était, est, effrayant. Alors que la révolution promet le soleil du futur, l'espoir, il découvre qu'il existe une passion politique plus puissante, et c'est la peur.

Pas l'espoir de la révolution mais la peur de la révolution. Depuis le début, il a tout concentré sur les peurs des bolcheviks, de l'invasion, et a gouverné avec la peur, la violence. C'était effrayant et vivait de la peur. Mais Mussolini entre en guerre aux côtés d'Hitler aussi parce qu'il a peur d'être contre lui, la peur le dévore. La force de la peur est une autre analogie forte en Italie et en Europe, surtout à l'ouest. L'auteur de nous dire où nous prévenir : "Nous devons choisir entre résister ou céder à la séduction du dictateur, du pouvoir guerrier, du totalitarisme, résister ou céder à la peur d'aller contre quelqu'un qui vit de nos peurs"



Voici les derniers mots écrits par Scurati :

"Benito Mussolini a quitté le balcon, aspiré par la pénombre de l'immeuble, en contrebas la place se vide rapidement, sans à-coups, sans cris d'acclamations. Pas d'hosannas, pas de manifestations patriotiques, chacun chez soi avec sa pensée. Parmi ces nombreuses pensées, une seule demeure : la peur.



Comme je l'ai écrit dans les critiques précédentes : À croire que les démagogues d'hier se sont réveillés même s'ils nous font croire qu'ils se sont adoucis. Tout le contraire de la mise en garde de l'auteur...

Mise en garde qui n'a pas empêché à l'histoire de se répéter..
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M, l'enfant du siècle

C'est un vrai exploit de rendre passionnantes 800 pages sur l'accession au pouvoir de Mussolini entre 1919 et 1925, le sujet et le héros n'ayant rien d'attirant en représentant la défaite d'une démocratie devant une bande d'activistes.

Seulement Antonio Scurati a du talent, certes il a trouvé le scénario déjà écrit et le casting choisi mais a su réaliser une mise en scène de haute volée avec dialogues et décors de premiers choix.

La force de l'écrivain est de donner de l'épaisseur, de la chair aux hommes et aux évènements, là où l'historien retrace froidement et souvent platement les faits établis. Avec des chapitres nerveux, terminés par des extraits de presse ou de discours, Scurati donne un rythme soutenu qui lui permet de garder la main sur son lecteur surtout s'il est, comme moi, ignorant de la matière. Pas de commentaires de l'auteur sur les faits, mais l'on sent souvent de l'ironie et de la tristesse au coin d'une phrase devant les comportements attristants qui ont laissé M accéder au pouvoir.



L'aspect littéraire étant réussi, reste à évoquer l'essentiel : les faits historiques. A l'issue de la Grande Guerre l'Italie est dans le camp des vainqueurs mais se sent mal récompensée et l'amertume s'installe dans les esprits, particulièrement dans ceux des Arditis. Ces soldats hardis de première ligne ont pris le goût de la violence et du sang, désoeuvrés ils n'aspirent qu'à retrouver des combats et seront la base du mouvement fasciste. N'ayant rien à perdre ils sont prêts à toutes les extrémités.

Mussolini ancien socialiste ayant pris le parti de la guerre va comprendre qu'entre le socialisme qui fait peur à la société italienne et les partis conservateurs il y a une place à prendre pour des hommes déterminés que la violence n'effraie pas.

Virtuose du retournement de veste il saura jouer des antagonismes des partis et de la faiblesse de l'état pour s'imposer en n'hésitant pas à lâcher les chiens, en encourageant bastonnades, attentas et assassinats. Pour arriver à faire croire à l'Italie qu'il était l'homme fort dont le pays avait besoin pour arrêter les désordres qu'il avait lui-même organisés.



Evidemment comparer les années trente et notre époque est un exercice peu réaliste, mais il n'est pas inutile de retenir qu'un petit groupe violent et déterminé, face à une démocratie faible et divisée qui hésite à employer la force, peut l'emporter. Il aurait suffi lors de la marche sur Rome des fascistes en 1922 de quelques coups de canons pour que l'aventure de Mussolini finisse dans un fossé.

Ensuite la tentation de l'homme providentiel n'est jamais loin pour un peuple, la force physique, la virilité affichées par M ont su séduire une population déboussolée et qui en avait assez des années de violence. C'est quand même à méditer.

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M, l'enfant du siècle

Très belle entreprise que celle d’Antonio Scurati mais ô combien risquée : il romance la vie de Mussolini (En fait son ascension au pouvoir dans ce premier volume) accompagnant les passages romancés de documents authentiques (articles , lettres …) . L’entreprise me paraît réussie : j’ai lu plusieurs biographies du « Duce » en italien et en français (Milza entre autres) et le côté factuel me paraît respecté. Mais les dialogues , le style très lyrique donne de la vie à l’histoire . Quant au point de vue il est clair :l’image du dictateur et des ses sbires est clairement négative. Mais le point le plus intéressant c’est que l’auteur montre à quel point c‘est la faiblesse , la lâcheté , la corruption ,l’aveuglement des « élites » politiques en place (à de rares exceptions près) plus que la force d’un agrégat de brutes ,qui ont permis l’arrivée au pouvoir de cette poignée de truands . On voit les profondes faiblesses et les divisions du mouvement fasciste qui se serait effondré devant une opposition réelle. Ce livre est donc aussi une leçon pour nous (le risque est encore là sous d’autres formes) en espérant que ce ne soit pas une anticipation.
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M, l'homme de la providence

M-l'enfant du siècle racontait la conquête du pouvoir par Mussolini après la première guerre mondiale. M‐l'homme de la providence raconte l'exercice de ce pouvoir entre 1926 et 1932.

Ce sont des romans documentaires, ces œuvres d'Antonio Scurati sont salutaires, il y montre et démonte tous les mécanismes du pouvoir fasciste. Mussolini et ses acolytes détruisent grâce aux coups de poings et de force toute forme d'opposition, dirigent les médias, manipulent, soumettent et terrorisent l'opinion, imposent le culte de la violence comme seule réponse aux maux de la société, colonisent la Lybie à coups d'exécutions sommaires et de gaz moutarde, etc.



À aucun moment l'auteur ne cherche à créer une empathie avec les personnages, il réussit le tour de force de nous captiver avec un roman exempt de toute sympathie, qui ne fait que croître dans les coups et la haine, où l'intelligence ne sert que le mal, où tous les personnages sont dépeints dans leur brutalité. Un livre sans aucun bon sentiment. Jamais. Il nous balance en pleine gueule, sèchement et brillamment, cette histoire vieille d'un siècle. Il est à la fois proche et très éloigné des Philipp Kerr (avec Bernie Gunther) ou Volker Kutsher (à l'origine de Berlin Babylon) qui se servent de la fiction policière pour raconter l'Allemagne sous le nazisme.

Scurati n'invente pas, il s'appuie sur d'authentiques articles, télégrammes, courriers, etc, reproduits en fins de chapitres. Sa part de fiction réside uniquement dans sa manière de raconter, d'écrire l'histoire telle qu'elle s'est passée, avec les vrais personnages et les vrais événements. Il ne fait pas œuvre d'historien, ce n'est ni son but ni sa prétention.



Comme lors de ma lecture du premier volume, arrivé à la moitié de ces 800 pages, j'ai ressenti une grande lassitude, un profond écœurement non seulement face aux violences politiques et physiques multiples et réelles, mais face aux réflexions amenées par cette lecture, la comparaison avec ce que l'on voit monter depuis quelques années n'est pas fortuite.

C'est ça aussi lire : plonger pendant quelques jours dans les abysses de la politique, là où elle est la plus laide, la plus vile, et en remonter avec l'impression tenace d'être soi-même souillé.

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M, les derniers jours de l'Europe

.Troisième volet du cycle de romans historiques consacré à Mussolini par Antonio Scurati..Il couvre la période de Mai 1938 à Juin 1940 marquée principalement par la promulgation des lois raciales et la montée vers l’entrée en guerre. La méthode de l’auteur est toujours la même :chaque chapitre comprend le récit romanesque suivi d’extraits de documents (articles,journaux intimes,correspondance,discours) sur lesquels il s’appuie.L’ensemble est passionnant . Il est fascinant et effrayant de voir le vertige suicidaire (pour lui et le pays qu’il dirige) d’un homme pris au piège de l’image qu’il s’est construit et qu’il a imposé , face aux réalités économiques et militaires. Instructif aussi , pour le temps présent,la veulerie intéressée des entourages courtisans face aux délires des dictateurs.
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M, les derniers jours de l'Europe

Apothéose mortifère du système fasciste : l'Italie déclare la guerre aux démocraties au lendemain de l'écrasante ruée des armées allemandes sur les troupes françaises et britanniques.



Mussolini, le Duce vieillissant, aura tout tenté pour retarder l'échéance, sachant ses armées totalement impréparées et faute d'avoir préparé le moindre plan de bataille. le peuple italien refuse la guerre qui lui laissa tant de malheurs il y a tout juste vingt ans … mais il n'y a pas plus versatile que le peuple. Car l'Italie ne saurait rester inerte alors que le grand frère Hitler est assuré d'un triomphe irrésistible.



Antonio Scurati livre ici le troisième opus d'une biographie romancée mais largement documentée du dictateur fasciste et de ses principaux acolytes. Et ce n'est sans doute pas un hasard si ce livre est un best-seller en Italie depuis sa sortie en 2018, dans un contexte de résurgence au pouvoir de formations d'extrême droite.



Du lendemain de l'Anschluss de 1938 à l'ouverture des hostilités envers la France (sur terre) et l'Angleterre (sur mer), nous assistons à la lente dérive vers le désastre d'un potentat devant lequel, depuis 1921 et la création du Parti National Fasciste, tout s'est plié à sa volonté.

Une histoire racontée à travers les yeux de sa jeune maîtresse, Clara Petacci ou de celle qui, jeune, lui a mis le pied à l'étrier, Margaretha Sarfatti contrainte à l'exil, ou de certains de ses plus fidèles soutiens qui se voient rejetés à la suite de l'adoption des lois raciales.



C'est le cas de l'avocat Renzo Ravenna, ancien podestat de Ferrare, authentiquement italien, héros de la grande guerre, authentique fasciste et juif. Car selon les autorités, le problème racial n'a pas éclaté subitement chez les fascistes, mais est lié à l'Empire …



Ici encore une fois, la théorie de l'espace vital, la griserie de la conquête : l'Ethiopie, l'Erythrée, la Somalie, l'Abyssinie où le Duce envisage d'envoyer des colons pour mettre en valeur ces territoires au lieu d'émigrer en masse aux Etats-Unis. Bientôt ce sera l'Albanie, pourquoi pas la Grèce et la Roumanie ? Un objectif de son veule ministre des affaires étrangères, le comte Galeazzo Ciano, mari de sa fille préférée Edda, le « gendrissime » dandy qui court d'une chancellerie à l'autre, avale toutes les couleuvres et se fait berner par Hitler et Ribbentropp. L'Albanie du « roi » Zog sera « sa » conquête …



Chapitre courts, entrecoupés passages de journaux intimes, d'articles de presse, de citations de discours : le style est à la fois imagé, parfois poétique, toujours efficace, l'auteur est un orfèvre du langage que sa traductrice nous transmet brillamment.



On y rencontre à chaque instant le sentiment d'humiliation de l'Italie à la suite du traité de Versailles, son ressentiment envers la France, la fascination devant les succès politiques, diplomatiques puis militaires des nazis, les relents d'un passé devenu légendaire, les faiblesse d'un tribun fatigué, omniscient, brutal qui s'efforce en permanence à coller à son image, coûte que coûte. Pathétique.



Et d'une actualité incandescente ...
Lien : http://www.bigmammy.fr/archi..
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M, l'enfant du siècle

Voilà une lecture marquante pour moi en ce premier tiers de l’année, probablement un des livres qui finira au sommet de mes lectures 2021. Ce premier tome d’une série de trois consacrée à Benito Mussolini et au fascisme italien n’est pourtant pas exempt de défauts, loin s’en faut. Mais ce pavé de plus de 800 pages reste une lecture passionnante pour tous ceux qui s’intéressent à cette période charnière de l’entre-deux guerres, et à ce début de XXe siècle décisif pour notre monde contemporain.



Car comment ne pas faire de parallèle entre notre époque et celle qui mena le Duce au pouvoir en 1922 ? Cette défaite des institutions et cette défiance de tous contre chacun qui permit à la violence de devenir un argument politique et social décisif… 100 ans plus tard, la démocratie est malheureusement toujours mourante, les grands industriels sont toujours aussi prompts à fouler l’éthique pour garantir leurs profits, et la défiance envers les politiciens est à son apogée.



C’est d’ailleurs, peut-être, l’un des défauts du livre : très ancré dans l’époque, ce roman documentaire se veut d’une précision historique maniaque, citant régulièrement des correspondances privées et autres discours publics, et prend rarement du recul pour mettre en perspective les événements. Ce qui rend parfois ce tome 1 étouffant et éprouvant, tant les répétitions sont nombreuses – on aurait aisément pu se passer de 200 pages ou plus. Pour nous faire vivre cette période, Antonio Scurati a choisi un récit méthodique et presque quotidien des états d’âme de Mussolini et du pays qui l’a porté au pouvoir. On y redécouvre un homme qui est « comme les bêtes : [il] sent l’air du temps » et sait manipuler les foules, mais qui ne comprend pas les individus, leurs préoccupations, et refuse de se faire des amis.



De début 1919 à fin 1924, nous voilà plongés dans ses réflexions et ses manœuvres pour conquérir le pouvoir, avec l’objectif de faire de l’Italie « non une servante mais une sœur des autres nations européennes ». Même si Scurati n’est ni tendre ni complaisant avec Mussolini et ses acolytes Arditi, squadristes et autres anciens combattants ou partisans de Gabriele D’Annunzio, le fait de raconter la conquête du pouvoir du point de vue des fascistes (principalement) peut poser problème. Sur le fond, le travail documentaire est irréprochable (heureusement pour un roman documentaire et historique !), mais sur la forme le style de Scurati n’est pas des plus passionnants, et l’empathie pour Mussolini que son récit peut provoquer, peut-être malgré lui, reste relativement malhabile.



Aussi, on le sent fasciné par la violence incroyable de l’époque, où les rixes et meurtres politiques sont monnaie courantes. Les pages sont remplies d’exactions et de brutalité, pour nous faire toucher du doigt que cette histoire s’est écrite dans le sang, quelques années après le traumatisme de la Première Guerre mondiale. Un biais intéressant mais qui s’avère rébarbatif dans la durée.



Malgré ces quelques réserves, on dévore les chapitres courts de M, l’enfant du siècle, révisant une histoire qu’on connaît au moins dans les grandes lignes, et qu’on redécouvre dans des détails parfois surprenants. Voilà pourquoi j’ai vraiment hâte de lire les tomes 2 et 3, quitte à compléter ma lecture par la suite avec une biographie de Mussolini, un livre sur le futurisme, un autre sur Italo Balbo, etc. Car le roman de Scurati ouvre sur d’autres lectures, donne envie de se documenter à son tour sur l’entre-deux guerres. Et ça, c’est une très grande qualité.

Enfin, ce pari de rendre l’Histoire lisible pour tous par le biais d’un roman « vrai », dans lequel tous les personnages sont des personnes historiques, me paraît une idée assez fascinante et attirante pour ceux qui préfèrent les atours du roman à ceux de la biographie ou de l’essai. Une réussite donc, tant par l’ambition du projet que sa mise en œuvre.

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M, l'homme de la providence

Deuxième volume que Scurati consacre à la biographie romancée (et néanmoins précisément documentée) de Mussolini .Il couvre la période de 1925 à 1933 : après la conquête violente du pouvoir , il s’agit du moment de la consolidation du régime par l’élimination de toute opposition et de tout reste de démocratie . La composante impérialiste se déploie en Lybie où se mettent en place des techniques promises à un bel avenir (camps de concentration et guerre chimique) L’ennemi externe est certes écrasé mais c’est maintenant l’ennemi intérieur au parti , les rivaux potentiels qu’il faut éliminer pour s’acheminer vers un exercice de plus en plus personnel du pouvoir. L’auteur campe un dictateur qui pourrait faire sien le vers de Vigny « Seigneur vous m’avez fait puissant et solitaire » , écartant famille et ex-amis et ne tolérant plus que des adulateurs . Sans laisser ignorer les misères de son corps pourtant sacralisé aux yeux des foules. L’ouvrage se lit avec fascination et dégoût ,il provoque d’utiles réflexions sur l’asservissement d’un corps social , l’embrigadement, le ralliement des lâches et des opportunistes . Et pendant ce temps là , l’étoile d’un admirateur à mèche et moustache du Duce , s’élève en Allemagne.
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M, l'enfant du siècle

L'Italie c'est juste les spaghettis et Rocco Siffredi... Ou pas mais en tout cas l'Italie ce n'est pas que la Rome antique, les cités États et une association avec Hitler. L'Italie est l'un des «vainqueurs» de la première guerre mondiale mais le pays est exsangue, dirigé par une classe politique déconnectée et une monarchie de décorum. C'est dans ce contexte que Benito Mussolini, fils de forgeron, tourne le dos à ses amis socialistes pour ce rapprocher des Arditi, des soldats d'élite aux allures de tueurs à gage, et fonde le fascisme. Nous sommes en 1919, le fascisme et son chef sont risibles, à peine une milice violente, capable d'exactions pas d'organisation. Mais à force de mauvais chois des politiques, de retournements de veste, de coups d'éclats sanglants et de belles prises de paroles, Mussolini devient le Duce.

Antonio Scurati propose un récit fascinant et effrayant sur l'Histoire italienne et montre la manière dont les extrémismes gangrènent les sociétés. Le texte est également entrecoupé d'extraits d'archives (journaux, lettres, télégrammes...) qui nous rappellent que la réalité dépasse bien souvent la fiction.
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M, l'homme de la providence

A l'instar du premier tome deux raisons m'ont poussé à relire ce second tome

- La sortie du troisième tome en Italie, et

- L'actualité transalpine récente,



j'ai voulu le relire mais cette fois dans la langue de Dante, ce qui modifie quelque peu la critique



Dans le premier volume, l’auteur a parlé de la violence et de la force révolutionnaire du fascisme, dans ce second opus il parle des années du régime et de la dictature, mettant sur papier la tragédie d’une nation qui sacrifie l’individu sur l’autel de la Patrie.



« Tout dans l’État, rien en dehors de l’Etat, rien contre l’Etat ». Telle est la formule solennelle que le président du Conseil et chef du fascisme a employée pour résumer la nouvelle ère



Nous reprenons en l’Histoire en 1925 et finissons ce second volume en 1932



La construction narrative reste la même l’auteur et est toujours aussi efficace alternant des chapitres courts, intégrant de nouveaux personnages, et de référant toujours à des articles de presse, correspondances privées et nouveauté des écoutes téléphoniques….



Explication sur le titre : en dépit de ce qu’il a dû concéder, le succès personnel de Benito Mussolini est immense. Parvenu a un accord avec l’Église catholique romaine, apostolique, l’institution la plus ancienne sur la face de la Terre, le fils du forgeron de Dovia, minuscule bourg d’une ville insignifiante de la lointaine Romagne, n’est plus seulement « l’enfant du siècle ». Devenu le cousin du roi par l’attribution du collier de la Sainte Annonciade, le fils du forgeron s’inscrit désormais dans une histoire millénaire. Comme le dira l’archevêque de Prague en visite à Rome, et comme le répétera le pape devant les étudiants et les élèves de l’université catholique, Benito Mussolini est désormais « l’homme de la providence ».



La société italienne de l’époque sombre sous nos yeux. Dans un crescendo tout rossinien, le leader du fascisme démonte un à un les résidus de la démocratie. Chaque année apportant son lot de changements :



9 novembre 1926, n moins de quatre heures, la Chambre des députés a démoli ce qu'il restait de l'Etat libéral, s'est débarrassée de cent vingt-quatre députés élus et a anéanti une conquête qui constituait, en matière de droits civiques, une primauté de l'Italie dans le monde. L'opposition est morte, la liberté est abolie, la libre vie politique a pris fin.



En 1927, le piquet qui monte la garde devant le Quirinal est issu de la Milice nationale, l’armée personnelle qui a permis à Benito Mussolini de violer l’Etat et qui est devenue, après sa conquête, partie intégrante de ce même Etat selon une loi tyrannique, sans cesser cependant de servir Mussolini, et non le roi. Malgré tout, le roi rend les hommages qu’il reçoit avec exquise magnanimité royale. Bien qu’il ait manifesté en privé un peu d’agacement en apprenant la décision du Duce de faire figurer le faisceau de licteur sur l’emblème de la nation à côté du blason de Savoie, il qualifie Mussolini d’homme bon qui pense uniquement au bien du pays En public, c’est certain, le loue et le remercie. Le régime italien se mue en un système clos, le préfascisme est fini. Tant dans ses hommes que ses doctrines et ses mœurs. Et, à l’aube de 1927, les observations de ce genre — attachées obstinément à des concepts aussi obsolètes que la cohérence, la rectitude et la dignité personnelle — ont perdu leur pertinence, les voilà myopes, dépassées, peut-être même puériles.



En 1927, on se prépare à un second décollage, en 1927 on inaugure un nouvel horizon d’événements, en 1927 le calme absolu a commencé. La photographie ces débuts montre les hommes nouveaux, leurs nouvelles doctrines, leurs nouvelles mœurs, à côté des hommes du passé, leurs doctrines et de leurs mœurs anciennes, « finies ». Le régime se referme sur eux tous. Et l’on a beau aiguiser son regard, grand-peine à les distinguer. La photo, en effet, est prise sur un fond sombre. Tout comme l’avenir ?



En 1929, les élections du 24 mars ne devront pas être de vraies élections. Il s’agira d’un plébiscite : le bulletin de vote ne présentera que deux mots à l’intérieur d’un grand cadre, « oui » et « non ». L’éventualité du « non » n’est évidemment pas envisagée. Mussolini l’a expliqué clairement : un plébiscite peut consacrer une révolution, jamais la renverser. Achille Starace (homme d’une fidélité toute canine à son chef), dans son habituelle et grossière bêtise, l’a redit : même s’il obtenait aux élections non pas douze millions de « oui », mais vingt-quatre millions de « non », Benito Mussolini demeurerait au palais Chigi et l’on en déduirait que l’Italie est devenue une « maison de fous».

La campagne électorale est donc illogique avant même d’être superflue et, de fait, elle n’a pas lieu. L’abstention, qui montrerait du doigt l’opposant, est hautement improbable. Le résultat est évident. La crise économique a été surmontée au cours des derniers mois de l'année précédente, la bourgeoisie a définitivement épousé le nationalisme agressif du fascisme, l'opposition est totalement écrasée par les appareils policiers. Poussés par la Conciliation, le clergé, la presse et les associations catholiques invitent avec insistance et ouvertement à voter "oui"



L’auteur s’attarde également sur les détails des rapports de force entre les hiérarques et sur la conquête de l’arrière pays Lybien, entaché par l’usage du gaz moutarde et la mise en œuvre de camps de concentration. En effet, toutes les tribus du Djebel, cent mille âmes, seront arrachées au haut plateau et concentrées une bande semi-désertique située entre ses flancs et la mer. Le 25 juin 1930, des soldats italiens sous le commandement du général Graziani, sur l'ordre précis du maréchal Badoglio et avec la pleine approbation de Benito Mussolini, mettent en œuvre en Cyrénaïque, au nom du régime fasciste, l'une des plus grandes déportations de l'histoire du colonialisme européen.



L’ouvrage se conclue en 1932 à l’occasion du dixième anniversaire de la révolution fasciste ou l’on inaugure « la Troisième Rome », une ville éventrée. Le centre historique des 3 âges (moyen âge, renaissance est baroque) à été cureté en l’espace d’un an, pour l’inauguration de l’exposition de la révolution fasciste….



Comme son précédent volume de sa trilogie Antonio Scurati nous invite à ne pas adoucir les erreurs du passé et à veiller sur les démagogues d’aujourd’hui.



Thucydide disait : “L'histoire est un perpétuel recommencement.”, l'histoire lui donnerait-elle raison ?



A croire que les démagogues d'hier se sont réveillés mais s'ils nous font croire qu'ils se sont adoucis. Tout le contraire de la mise en garde de l'auteur...
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M, les derniers jours de l'Europe

Me voilà arrivé au terme de cette saga au coeur de l'Italie fasciste .Trois volumes qui j'ai littéralement dévoré .

Si son alter égo allemand est l'objet de nombreux livres ceux consacrés à Mussolini sont plus rares. La trilogie "M" comble ce vide.

C'est une lecture plaisante et instructive tout à la fois.

Le premier volume qui pose les bases de ce que sera l'Italie fasciste est le plus ardu à lire , beaucoup de noms à assimiler mais la suite se lit presque comme un roman noir et social à la fois.

J'espère qu' qu'Antonio Scurati nous contera les années de guerre et la fin du régime en 43 ainsi que la pitoyable fin de cet homme qu'un peuple adula .
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M, l'enfant du siècle

Ce livre est le premier volume d'une trilogie monumentale. C'est l'histoire de Mussolini et de l'Italie sous le régime fasciste qui est contée avec talent. Ce n'est pas un livre d'histoire, ce n'est pas un roman. C'est un objet littéraire hybride qui se lit comme un roman avec le souci constant d'être au service de l'Histoire. Tout les événements relatées dans ce livre proviennent de sources historiques ( lettres, articles de journaux, décrets, discours publics, communiqués confidentiels ou public, compte rendu d'écoutes téléphoniques…) . Pour résumer c'est une sorte de roman documentaire pour reprendre la formule de l'historienne Stéphanie Prezioso. Ce premier tome relate en 800 pages la période 1919-1923, c'est à dire les années où Mussolini et ses partisans vont peu à peu dissoudre de l'intérieur la démocratie italienne, écraser les oppositions politiques (socialistes, communistes mais aussi démocrates chrétiens). C'est aussi le tableau (trop souvent ignoré en France) d'une Italie qui ressort exsangue, divisés et surtout meurtrie du premier conflit mondial (Rappelons que cette guerre a fait payer un lourd tribut humain à l'Italie avec environ 600 000 hommes morts dans les combats sans compter les centaines de milliers de mutilés et de blessés). Mais le point fort de ce livre est ,à mes yeux, qu'il choisit de relater les évènements du point de vue de tous les protagonistes. Ce sont en effet les hommes qui font l'Histoire par leurs décisions, leurs actions mais aussi leurs affects. Le livre choisit donc de donner la parole à Mussolini qui se révèle dans toute sa complexité, sa démesure, ses ambiguïtés multiples (notamment pour assumer la violence politique) et bien entendu son immoralité au service d'un sens politique redoutable au moins pour cette période. La liste des protagonistes célèbres ( Margherita Sarfatti ou Gabriele D'Annunzio) mais aussi de simples anonymes est trop longue pour qu'on puisse tous les citer ici. On pourra retenir celle du député socialiste Giacomo Matteotti. Cet homme est l'exact opposé de Mussolini car c'est un pur, un idéaliste qui paye de sa vie son opposition méthodique au Duce à la chambre des députés où il semble le seul à ne pas avoir courbé l'échine. La mort de Matteotti a causé d'ailleurs un émoi considérable en Italie à l'époque et à cette occasion le régime fasciste naissant aurait pu sombrer corps et biens...mais n'en disons pas plus. Cette trilogie est un rappel utile bien au delà de cet épisode tragique de l'histoire de l'Italie : les régimes démocratiques sont fragiles et sont souvent désarmés contre ceux qui veulent les abattre.
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M, l'enfant du siècle

A l'occasion de la sortie du troisième tome en Italie, et au regard de l'actualité transalpine récente, j'ai voulu le relire mais cette fois dans la langue de Dante.

ce qui modifie quelque peu la critique



Roman historique ou l'Histoire en roman.



Difficile de trancher. L'auteur nous prévient dès le préambule : "Les événements et les personnages de ce roman documentaire ne sont pas le fruit de l’imagination de l’auteur. Au contraire, les faits, les personnages, les dialogues et les discours relatés ici sont tous historiquement documentés et/ou rapportés par plusieurs sources dignes de foi. Reste cependant que l’Histoire est une invention à laquelle la réalité apporte ses propres matériaux. Mais sans arbitraire."



Reste que le parti pris utilisant la technique de la multiplicité des points de vue est diablement efficace. 



Ce livre va de la fondation des faisceaux de combat de 1919 à l'assassinat de Matteotti (1924) en passant par des épisodes d'importance primordiale ou secondaire sur le plan historique, tous visaient cependant à démontrer la capacité du "fils du siècle" à tirer parti des difficultés de ses adversaires à prendre des décisions, et de son extrême adaptabilité et ténacité à poursuivre un objectif.



Explication du titre :

"Le 30 octobre 1922, à 11 h 05, alors qu’il montait l’escalier du Quirinal afin que le roi lui confie la tâche de gouverner l’Italie, Benito Mussolini, d’origine plébéienne, bohémien de la politique, autodidacte du pouvoir, dépourvu de toute expérience du gouvernement ou de l’administration publique, et député depuis seulement seize mois, était à trente-neuf ans le plus jeune Premier ministre de son pays, le plus jeune des chefs de gouvernement du monde entier, et il portait la chemise noire, l’uniforme d’un parti armé sans précédent dans l’Histoire. Malgré tout, ce fils de forgeron – l’enfant du siècle – avait gravi les échelons du pouvoir. Soudain, le nouveau siècle s’est ouvert et refermé sur ses pas."



Cette œuvre extraordinaire de Scurati, est à ne pas manquer et pour au moins deux raisons.

D'une part en raison de la nouveauté de la structure : il est difficile de le définir comme un roman historique, bien qu'il se réfère certainement à ce genre, car il n'a pas les caractéristiques littéraires, étant la narration centrée sur une séquence de scènes uniques dans laquelle les personnages ou les événements choisis de temps en temps occupent la narration avec une technique presque théâtrale, dans laquelle les acteurs tiennent la scène quelques instants avec une puissance expressive et une tension psychologique. L'effet est extraordinaire : une véritable explosion, qui donne un caractère toujours plus vigoureux à l'histoire et confère à l'ensemble une puissance expressive unique.

Ensuite, le choix du personnage Mussolini, mis en scène sans compromis et sans jugements moraux, comme il paraît : histrionique, violent, très rapide à saisir les opportunités, toujours sans scrupules, habile rhéteur, sachant saisir les forces inhérentes aux oubliés des tranchées qui forment le noyau dur de son parti et le lectorat de son journal. Tous ses adeptes les plus ardents sont des vétérans de la guerre, plus ou moins incapables de se réadapter et enclins à la violence, violence qui, entre 1921et 1922, prend de plus en plus une connotation antisocialiste, dépassant même ses intentions d'ancien socialiste.

Parmi les nombreux personnages qui sont évoqués, deux disputent la scène au principal protagoniste pour leurs charmes et leurs forces :

D'annunzio, le poète et héros de la grande guerre, celui qui inocule le germe de la subversion avec l'expérience de Fiume (ou Rijeka de nos jours) et

Matteotti, le socialiste réformiste très lucide qui dénonce sans hésiter la violence et la corruption du fascisme naissant, payant son courage de sa vie.



En tout cas on pourra saluer à l'auteur d'avoir retranscrit à merveille l'atmosphère de ces années par la myriade de faits et d'épisodes criminels qui ont marqué la montée du fascisme. Ce récit est le livre de la décomposition d’un monde, qui donne naissance à un monstre. Et ça n'en est que plus vertigineux. L’auteur nous explique dans le détail les mécanismes de cette prise du pouvoir : les acteurs, dépassés, incapables de comprendre ce qui se passe devant leurs yeux, les chefs locaux indisciplinés, qui eux voient que Mussolini n’est pas réellement des leurs, et qui en viennent à hésiter, un roi qui n'a pa su signer un décret au bon moment.

C'est l'Histoire qui s'écrit sous nos yeux.

Cette histoire est profondément actuelle, elle est par certains côtés, une leçon pour que  l’Histoire ne se reproduise pas...



si seulement c'était vrai....
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M, l'enfant du siècle

A l'instar d'Antonio SCURATI, je définirais cet ouvrage comme étant un "roman documentaire" car alternant une très longue série d'épisodes mis en scène à partir de documents d'archives. Chacun d'eux ayant sa propre vie et étant suivi par la reproduction de la source qui l'a inspiré.



Dans cet ouvrage, en plus du cas italien et de sa spécificité, on voit clairement quel est le terreau des autocraties alliant socialisme et nationalisme avec le soutien des lobbies économiques et la complicité tacite des gouvernants des démocraties dites progressistes. Il s'agit donc d'un sujet toujours d'actualité permettant de discerner le fait que la tentation autocratique, le fascisme en étant une variante italienne, ne se résume pas à la simple équation "extrême droite = autocratie" (le terme extrême droite étant souvent utilisé à tort pour désigner certains penseurs afin de jeter l'opprobre sur toute pensée patriotique) mais est beaucoup plus subtile car intégrant de manière évidente des origines de gauche tel que nous l'ont montré le fascisme et le nazisme. Ceci expliquant en partie certaines visions convergentes en France entre le Rassemblement National et La France Insoumise. "Dédiabolisation" oblige.



Cet ouvrage de plus de 700 pages est le premier d'une série qui me semble intéressante car reposant sur des faits sans tentative de révisionnisme. Il s'adresse néanmoins à des passionnés d'histoire contemporaine dans la mesure où le style neutre de l'auteur reflète un mode d'expression propre à la majorité des historiens et qui peut souvent paraître "soporifique" pour les néophytes.
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M, l'enfant du siècle

"M", une seule lettre pour une tranche d'histoire fondamentale de l'Italie. Avec comme sous-titre : "un enfant du siècle." Sans vraiment parler d'ambiguïté, ce choix n'est pas anodin. Celui, probablement (sûrement ?) d'atténuer un sujet complexe, particulier, pour ne pas dire explosif. Cette biographie temporelle romancée d'un des hommes, à la fois le plus vénéré et haï de son temps aurait pu tout aussi bien s'appeler "chronique des années de sang," tant elle est empreinte de violence, de terreur, de crimes impunis. Six années (1919-1925) qui ont permis au "Duce d'Italia" d'accéder au pouvoir. Fils de forgeron, émigré en Suisse pour éviter le service militaire avant de devenir un petit instituteur de province, militant socialiste de base puis élu, directeur de l'organe du parti "Avanti" avant d'en être évincé et de créer son organisation politique : les faisceaux de combat, à la fois, la base même du mouvement fasciste et sa structure armée ; enfin son propre journal, le Popolo d'Italia, Benito Mussolini a construit patiemment son ascension et son accession, se déjouant des pièges avec intelligence et malice.

M donc comme Mussolini, mais aussi comme Marasme politique et économique d'une Italie d'après-guerre exhangue, comprimée entre - surtout - deux factions, les socialistes attirés par la révolution bolchevique et la droite blanche, bourgeoise... fascisante. En s'appuyant sur la réalité des faits et sur une documentation abyssale, Antonio Scurati, narrateur de talent, précis, détaillé, lyrique sans être exalté, nous fournit un livre dense, réaliste, habile, sans concession. Nullement agiographe, il a fait une travail d'historien. Il met à jour les qualités premières et les défauts majeurs d'un être à la formidable ambition dans la recherche d'un pouvoir, guidé par le chaos ambiant et par ses chemises noires, les faisceaux de combat, les Arditi, anciens combattants puis les squadristes, véritables terroristes dans une guerilla rurale et urbaine. L'auteur rétablit un certain équilibre entre les clichés négatifs et la réalité plus nuancée où l'esprit de grandeur pour la nation de Mussolini a peut-être (probablement) dépassé sa propre ambition.

M aussi donc comme Manipulateur des masses, comme Marionnetiste, orateur de talent, stratège politique et grand spécialiste de, ce que l'on appelait à l'époque en France, le tango italien, un pas en avant, deux en arrière pour mépriser la pleutrerie des Italiens lors de la première guerre mondiale. Lui, il stigmatise son état-major : "le fascime se répand parce qu'il est porteur des germes de la vie, non ceux de la dissolution," "les agitateurs rouges, la race bâtarde de l'Italie," "qu'est-ce qu'un attentat contre le roi, sinon un accident du travail," la jouant bigenre lors de ses écrits dans son journal, ses contacts avec les dirigeants des autres partis, socialistes, libéraux comme lors de la marche sur Rome, retournant même ses adversaires lorsqu'il prend pour lui, la responsabilité de l'assassinat de Giacomo Mattéotti, son ennemi socialiste héréditaire. De même avec Gabriele D'Annunzio, le poète - soldat, dont il réfute la notoriété.

Du Machiavel avec un M comme Mussolini...



Merci à Masse Critique et aux éditions Les Arènes de m'avoir permis de découvrir ce livre.
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M, l'enfant du siècle

Monumental ! Le mot n’est pas trop fort pour qualifier le projet d’Antonio Scurati. L’écrivain italien, qui a reçu le prix Strega 2019 – l’équivalent du ­Goncourt – pour M. L’enfant du siècle, campe le portrait de Mussolini en un triptyque romanesque d’une ampleur inédite. La première partie, qui paraît aujourd’hui en français, traite de la période 1919-1924 et comprend déjà plus de 800 pages. Elle dresse, pour des générations exposées à tous les révisionnismes, le paysage de l’Italie au sortir de la première guerre mondiale, frustrée des fruits territoriaux d’une victoire qui a coûté plus d’un million de morts civils et militaires, déchirée par des affrontements confinant à la guerre civile entre les militants révolutionnaires et la poignée de fascistes lancés à la conquête de Rome. Le défi était ­immense. Il est magnifiquement relevé et offre ce qu’il y a de meilleur dans le genre du roman historique.
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M, l'enfant du siècle

860 pages consacrées à l'ascension de Benito Mussolini, de 1919, au lendemain de la Grande Guerre jusqu'à 1925 et à l'assassinat du député socialiste Giacomo Matteotti.



On aurait pu penser que nous serions face à un gros pavé aussi indigeste que long. Que nenni! Le tour de force de l'auteur est d'être parvenu à rendre tout cela passionnant. De bout en bout, on ne peut s'empêcher de suivre la montée en puissance du Duce comme on suivrait un véritable thriller.



On en ressort un peu retourné, avec un millier de questions en tête et avec une furieuse envie de faire des parallèles avec notre époque.



Passionnant et indispensable. Alors que dire? Chef d'oeuvre?







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M, l'enfant du siècle

Grace à ce pavé, Scurati nous offre une plongée aux premières loges de l’émergence du fascisme italien et l’éclosion de Mussolini jusqu’à son arrivée au pouvoir.

Que la taille du livre ne vous rebute pas, l’ouvrage et bien plus facile à lire que l’on pense, car le récit est dynamique, alternant scènes romanesques, discours politiques, et des vrais moments d’action, le tout saupoudré d’articles de journaux de l’époque. Si la montée du Totalitarisme nazi est archi documenté, le fascisme italien des « chemises noires » est quant à lui bien moins connu, pourtant il a posé de nombreuses bases du totalitarisme.



Dans M « l’enfant du siècle » nous découvrons un Mussolini, ancien socialiste, vrai histrion, qui va suivre et croire en son destin providentiel. Il donne un carcan idéologique au fascisme, en voulant construire des alliances d’abord, pour ensuite tout dominer tout seul. Il utilise la violence partiellement pour ensuite l’adouber totalement. Il fleurte souvent avec le patronat et l’Eglise pour parfois se les mettre à dos par la suite. Il est particulièrement intéressant de constater comment « le Duce » a toujours hésité entre l’arrivée au pouvoir par les urnes et les mouvements de masse de la rue. Les nombreuses scènes de conflits brutaux entre socialistes et fascistes en Emilie Romagne et en Lombardie son particulièrement saisissantes.



Si le récit se lit rapidement, il n’est pas toujours simple. En effet, se succèdent au fil des pages des dizaines de personnages historiques italiens (fascistes, communistes, socialistes, libéraux) que l’on ne connait pas forcement. Heureusement qu’un index de petites biographies est présent vers la fin. Parmi ces personnages à foison, certains leaders socialistes, ainsi que Gabriele D’Annunzio ressortent en particulier. Il est vrai que j’ai trouvé certains passages un peu trop détaillés et confus (pour un non italien). Mais l’ensemble reste vraiment solide. Je recommande la lecture a tout le monde s’intéressant à l’histoire du XXème siècle, ainsi qu’à l’émergence de régimes autoritaires. Il est assez curieux de voir comme une certaine rhétorique et pratiques du fascisme italien sont encore souvent utilisées de nos jours.



Il faudra encore attendre un peu pour avoir le deuxième tome traduit en français, qui s’annonce passionnant vu qu’il va retracer en détails l’installation de l’état fasciste en italien.

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Le Survivant

Un étudiant (prénommé ici Vitaliano) qui se présente le jour de son oral du baccalauréat et qui, subitement, sort une arme et tue tous ses professeurs ainsi que ses camarades de classe qui se trouvaient dans le gymnase où devait avoir lieu son épreuve, ça ne vous rappelle rien ? Eh oui, ce livre est largement inspiré du fait divers qui avait eu lieu à Columbine et qui inspira également le film « The elephent » qui avait été primé à Cannes. Enfin, quand je dis qu'il les tue tous, ce n'est pas exact puisqu'il en épargne UN : son professeur de philosophie. Pourquoi ? C'est ce que ce dernier va s'acharner à découvrir tout au long de ce roman. Pourquoi lui et pas un autre ? Après avoir ressenti une certaine culpabilité (celle d'avoir échappé à un massacre alors qu'il n'aurait pas dû en ressortir indemne , et surtout Vivant) , il va mettre tous les moyens en oeuvre pour essayer de COMPRENDRE. Je ne vous en dis pas plus car ce roman est absolument captivant, il soulève des questions, encore d'actualité, telles que l'origine de la violence, les conflits entre adultes et adolescents...La violence est-elle due à la société qui nous entoure ou est-elle intrinsèque en chacun d'entre nous ?
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M, les derniers jours de l'Europe

Avec ce troisième volet passionnant – à mes yeux l’un des romans les plus importants de cette rentrée littéraire – Antonio Scurati poursuit son projet d’une ampleur inédite dans la littérature italienne contemporaine. À la fois fresque romanesque et enquête historique méticuleuse, sa trilogie sur Mussolini et le fascisme s’inscrit d’ores et déjà comme une référence incontournable. En dépit de la somme colossale de documents mobilisés, Scurati parvient à donner vie à cette tragédie en plusieurs actes. Il offre au lecteur les clés pour comprendre l’engrenage fatal qui a précipité l’Italie du rêve impérial à l’abîme de la défaite. En fin de compte, cette trilogie n’est pas seulement un rappel du passé, mais un avertissement pour l’avenir. Dans une époque où, dans tous les pays d’Europe, les discours extrémistes et les idéologies radicales refont surface, il est impératif de se tourner vers des œuvres comme celle-ci afin de comprendre les dangers que représentent ces idées, si les laisse prendre racine. La responsabilité incombe donc à chaque citoyen de s’éduquer, de rester vigilant, et de défendre les valeurs de démocratie et de liberté contre toute forme d’oppression.
Lien : https://marenostrum.pm/anton..
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